Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1
du transport aérien français et son
écosystème », assure Pascal de Iza-
guirre, le PDG de Corsair, dont l’acti-
vité sera totalement stoppée à partir
de jeudi, après un dernier vol retour
des Antilles. « Aucune compagnie
ne peut s’en sortir par ses propres
moyens, poursuit-il. Non seulement
nous n’avons plus le droit de voler
nulle part, hormis aux Antilles, mais
plus personne ne réserve, même pour
l’été prochain. Pour q u’il existe encore
un minimum de concurrence demain
dans le transport aérien, nous avons
donc besoin de mesures fortes du
gouvernement, et pas seulement
des reports de charges et de taxes. »
Reste à savoir quelle forme d’aide
étatique conviendrait le mieux aux
compagnies françaises. En clouant
provisoirement leurs avions au
sol et en mettant au chômage
technique leurs personnels, elles
semblent avoir réussi à stopper
l’hémorragie de cash et à écarter
le spectre d’une faillite imminente.
Corsair a même pu renforcer sa
trésorerie grâce à la cession d’un
A330-200, prévue de longue date.
Chez Air France-KLM, de nouvelles
lignes ont permis de porter le

niveau de liquidités à 6,1 milliards
d’euros, assurant ainsi plusieurs
mois d’activité quasi nulle. « Notre
situation de trésorerie est meilleure
que celle du groupe Lufthansa », sou-
ligne-t-on chez Air France-KLM.

Finances au supplice
Assez pour éviter de recourir à une
recapitalisation d’urgence d’Air
France-KLM, qui nécessiterait un
accord complexe entre les princi-
paux actionnaires : Etats français et
néerlandais, Delta Air Lines, China
Eastern, sans oublier les représen-
tants des salariés actionnaires d’Air
France et de KLM. Mais si la cessa-
tion de paiements n’est pas pour
demain, les compagnies aériennes
s’attendent à une crise longue, avec
une reprise très lente du trafic, qui
mettra leurs finances au supplice.
« Le risque, c’est d’avoir à relancer
l’activité et les dépenses, avec une
demande qui tarderait à repartir, et
d’arriver exsangues à la saison
d’hiver », explique Pascal de Iza-
guirre. D’où l’idée d’un soutien dans
la durée, qui passerait plutôt par
des facilités d’accès au crédit ban-
caire avec la garantie de l’Etat,

assorties d’exonérations de charges
et de taxes sur une longue période,
plutôt que par des aides directes.
Mais d’autres mécanismes plus
sophistiqués et plus vertueux
seraient aussi envisageables,
comme des aides d’Etat à l’achat
d’avions neufs et moins polluants.
« Quand on remplace un avion
ancien par un avion neuf, on fait des
économies. Et si l’avion neuf est
financé, on a même une rentrée de
cash », explique un bon connais-
seur du secteur. Explication : pour
un avion à 100 millions de dollars, la
compagnie verse 30 millions
d’acomptes à la commande. Mais
au moment de la livraison, la ban-
que qui finance l’achat lui prête
100 millions d’euros. Ce qui fait une
rentrée de cash.
De quoi satisfaire les défenseurs
de l’environnement et les compa-
gnies aériennes, sans oublier Air-
bus? « Nous demandons depuis
longtemps des mécanismes d’incita-
tion à un comportement vertueux
pour l’environnement, assure Pas-
cale de Izaguirre. Cette crise pour-
rait jouer le rôle de catalyseur du
changement. » n

Les compagnies aériennes espèrent un « plan Marshall »


Bruno Trévidic
@BrunoTrevidic


En p remière ligne depuis le début de
l’épidémie, les compagnies aérien-
nes françaises espèrent figurer en
tête de liste des entreprises éligibles
au soutien financier promis par
l’Etat. A commencer par A ir France-
KLM, dont l’activité se résume
désormais aux rapatriements et à
la desserte de quelques destinations
stratégiques. Mais l’impatience est
peut-être encore plus grande parmi
les autres compagnies françaises,
comme Corsair, Air Caraïbes,
French Bee, ASL Airlines, dont
l’activité est également proche de
zéro et qui n’ont pas la surface finan-
cière d’Air France-KLM.
« Il n’y a pas qu’Air France. Il faut
un plan Marshall pour l’ensemble


Plutôt que des mesures
d’urgence, les compagnies
françaises, dont la situation
financière n’est pas si
mauvaise sur le fond,
souhaitent un soutien de
l’Etat jusqu’à la sortie d’une
crise qui s’annonce longue.


effectifs. Par ailleurs, le projet de
réorganisation d’EDF et de
réforme de la réglementation du
nucléaire qui devait permettre à
l’Etat de sauver le modèle écono-
mique du groupe risque d’être
sérieusement r elégué d ans la liste
des priorités de l’exécutif.
Le temps ne joue pas en faveur
de l’électricien. « Plus le temps
avance, plus EDF est exposé aux
risques de la réglementation du
nucléaire actuelle (Arenh) et p lus la
dette financière du groupe aug-
mente, notamment car une grande
partie des investissements néces-
saires pour entretenir le parc de
réacteurs ne peuvent pas être
reportés à 2022 », met en garde
Claire Mauduit, directrice chez S
& P Global Ratings. A fin 2019,
l’endettement net d’EDF attei-
gnait 41 milliards d’euros.
Dans le secteur pétrolier, le
champion national, Total, est
assez solide p our t raverser la tem-
pête, même si la crise est a ggravée
par la guerre d es prix, qui fait chu-
ter les cours du brut. La situation
est beaucoup plus inquiétante
pour les entreprises du secteur
parapétrolier, déjà fragilisées par
le précédent krach, en 2014. L’Etat
est présent au capital de certaines
d’entre elles : TechnipFMC (5,5 %)
et Vallourec (près de 15 %).
« Le secteur parapétrolier, qui a
déjà perdu 80 % de sa valeur bour-
sière depuis 2014, va souffrir à un
point qui va conduire certains
Etats à intervenir pour éviter la
disparition d’acteurs industriels
clefs et d’emplois », estime Eric
Oudenot, associé au Boston Con-
sulting Group.
La France a la chance d’avoir
des leaders mondiaux dans leurs
domaines : TechnipFMC, Vallou-
rec, CGG, Bourbon, Altrad. Mais,
selon le consultant, « les gouver-
nements successifs n’ont jamais
développé de stratégie claire vis-à-
vis de la filière, contrairement à la
Norvège ou au Royaume-Uni ». n

Sharon Wajsbrot
@Sharonwaj
et Vincent Collen
@VincentCollen

EDF et les fournisseurs d’énergie
vont prendre leur part de l’effort
gouvernemental, puisqu’ils
devront décaler le paiement des
factures des entreprises en diffi-
culté pendant toute la crise du
coronavirus. Toutefois, à leur
tour, certains d’entre eux pour-
raient avoir besoin d’un coup de
pouce de l’Etat.
Frappé par la chute brutale de
la demande d’électricité en
France et en Europe, EDF a d’ores
et déjà annoncé une revue à la
baisse de son hypothèse de pro-
duction nucléaire pour 2020. Cel-
le-ci est « en cours de réexamen ».
Pour le moment, le groupe main-
tient ses objectifs financiers, mais
le calendrier comme les condi-
tions du redémarrage économi-
que restent très incertains.
« L’objectif d’Ebitda, 17,5 à
18 milliards d'euros pour 2020, est
maintenu à ce stade pour ce qui con-
cerne le seuil bas de la fourchette. Il
est susceptible d’être revu lorsque
les prévisions de disponibilité ainsi
que les évaluations des coûts asso-
ciés auront pu être affinées », a indi-
qué lundi l’énergéticien.

Chantiers retardés
Po ur le groupe public, cette crise
inédite risque de retarder plu-
sieurs projets clefs. A Flaman-
ville, dans la Manche, le chantier
maudit de l’EPR a été mis sous
cloche afin d’enrayer la propaga-
tion de l’épidémie au sein des

Demande en berne, chute
vertigineuse des prix,
incertitudes sur le
calendrier de la réforme
de la régulation du
nucléaire. Les perspectives
s’assombrissent pour le
secteur de l’énergie.

EDF et le secteur


parapétrolier fragilisés


et du rythme de redémarrage de
l’activité à son issue. Si la situation
du secteur aérien paraît aujourd’hui
alarmante, elle pourrait se redres-
ser rapidement une fois les mesures
de confinement levées, plus que
pour l’industrie automobile, sur
laquelle pèse le risque d’un ralentis-
sement prolongé des achats de
biens durables de la part des Fran-
çais. Auquel cas, l’Etat pourrait
intervenir sous forme de prêts,
comme il l’a fait en 2009. Les cons-
tructeurs avaient rapidement rem-
boursé cette aide publique, néan-
moins assortie de contreparties.

Une aide sous conditions
Cette fois encore, les aides de l’Etat
pourraient être conditionnées à
des engagements de la part des
entreprises. Concernant la garantie
de 300 milliards pour les prêts
bancaires (une garantie à 80 %

pour les groupes comptant plus de
5.000 salariés et plus de 1,5 milliard
d’euros de chiffre d’affaires, et à
70 % pour ceux qui dépassent les
5 milliards de recettes annuelles),
Bruno Le Maire a déjà posé comme
condition que les entreprises qui en
font la demande soient en règle sur
leurs délais de paiement. Il y a fort à
parier qu’e n cas d’aides supplémen-
taires, l’Etat demande des garanties
sur le maintien de l’emploi.
Reste aussi la question des
moyens dont dispose l’Agence des
participations de l’Etat (APE) pour
intervenir, sachant que la privatisa-
tion du groupe ADP est exclue dans
ce contexte boursier agité. L’APE
pourra réinvestir ses recettes tirées
du rapprochement de La Poste et
de CNP Assurances, évaluées à
1 milliard d’euros, et dispose de
réserves liées aux opérations des
années précédentes.

Viendra enfin la troisième phase
de cette intervention de l’Etat, qui
passe par un plan de relance com-
munautaire. « Un certain nombre de
secteurs demanderont des dispositifs
de soutiens appropriés, massifs et
européens », a martelé Bruno
Le Maire, qui demande en attendant
à toutes les entreprises, « notam-
ment les plus grandes », de « faire
preuve de la plus grande modération »
dans leur politique de dividendes.

4
À NOTER
Les défaillances d’entreprises
devraient progresser de 8 %
après quatre années de recul,
selon l’assureur-crédit Euler
Hermes, qui explique que la
trésorerie des entreprises
françaises était déjà fragilisée
avant l’épidémie de Covid-19.

lLe ministre de l’Economie a annoncé mardi que la liste des entreprises devant être soutenues par l’Etat était prête.


lLeurs noms restent évidemment confidentiels, a aussitôt précisé Bruno Le Maire.


L’ Etat s’apprête à monter au front

pour sauver son patrimoine industriel

Ingrid Feuerstein
_@InFeuerstein
et
Julien Dupont-Calbo
@jdupontcalbo


Qu’il paraît lointain, le temps où
Bruno Le Maire s’évertuait à répéter
que l’Etat « n’a pas vocation à diriger
des entreprises concurrentielles à la
place d’actionnaires qui ont les com-
pétences et les savoir-faire pour le
faire mieux que lui ».
En quelques
semaines, les débats houleux sur la
privatisation d’A DP ont laissé place
à une situation d’urgence, où les
pouvoirs publics s’apprêtent à tout
moment à intervenir pour voler au
secours d’une entreprise terrassée
par la crise sanitaire mondiale.
« La liste des entreprises indus-
trielles qui doivent être soutenues par
l’Etat est prête, à la demande du prési-
dent de la République »,
a déclaré
mardi sur franceinfo le ministre
de l’Economie et des Finances, pré-
cisant aussitôt qu’elle comprenait
« plusieurs entreprises » mais qu’elle
restait « évidemment confidentielle ».
Après les premières mesures
d’urgence, qui passent par des
reports de charges et du chômage
partiel, viendra une seconde phase
d’intervention, pour venir en aide
aux entreprises à court de trésore-
rie. « Nous n’allons pas laisser des
fleurons industriels sur lesquels
nous avons investi des milliards
d’euros partir en fumée parce qu’il y a
une crise économique qui est d’une
violence sans précédent depuis la
grande dépression de 1929 »,
a
avancé Bruno Le Maire, rappelant
la situation de l’automobile, par
exemple, qui subit une « baisse ver-
tigineuse de son chiffre d’affaires ».

La nationalisation peut être envi-
sagée, mais uniquement « en der-
nier recours ».
Pour l’heure, aucune
participation de l’Etat ne se trouve
dans une situation critique. Même
Air France-KLM, dont plus de 90 %
des vols sont cloués au sol, a indiqué
disposer de 6 milliards d e liquidités.
Les modalités d’intervention de
l’Etat au chevet des grands noms de
l’industrie française dépendront
surtout de la durée du confinement


CORONAVIRUS


Bruno Le Maire. P hoto X. Popy /RÉA

ENTREPRISES


Mercredi 25 mars 2020 Les Echos

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