Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

Les Echos Mercredi 25 mars 2020 ENTREPRISES// 17


Les pouvoirs publics
sont au plus près de ce
secteur particulièrement
frappé par la crise.
Le dispositif inédit de
généralisation d’à-valoir,
afin d’éviter les
remboursements,
en témoigne.

Des mesures


pour éviter


la faillite


du tourisme


Christophe Palierse
@cpalierse

Dans le tourisme, l’enjeu du
moment, pour le gouverne-
ment, est de maintenir à flot à la
fois des champions nationaux
qui pourraient être très fragili-
sés par l’effondrement de la
demande, comme Accor (qui,
pour l’instant, suspend son pro-
gramme de rachat d’actions) ou
Groupe Pierre & Vacances-
Center Parcs, mais aussi une
myriade d’acteurs de toutes
tailles. Le tourisme est en effet
une filière stratégique qui
génère 7 à 8 % du PIB et 8 à 9 %
de l’emploi salarié, soit 1,1 mil-
lion de salariés en équivalent
temps plein, mais aussi quelque
56 milliards d’euros de recettes
liées au tourisme international.
Dans un point p resse t éléphoni-
que, Jean-Baptiste Lemoyne, le
secrétaire d’Etat en charge du
secteur, n’a pas manqué de sou-
ligner, mardi, que la filière était
« particulièrement impactée »
par la crise sanitaire mondiale.

Au-delà du plan général de
soutien aux entreprises, le gou-
vernement a pris la mesure du
choc en concoctant, en lien
avec les représentants du sec-
teur et la Commission euro-
péenne, un dispositif inédit
généralisant le principe d’à-va-
loir – limitant les rembourse-
ments pour annulation de
voyage ou de séjour. Ce disposi-
tif, qui fait l’objet d’une ordon-
nance présentée ce mercredi en
Conseil des ministres, vise à évi-
ter « un mur de trésorerie », une
« faillite généralisée », observe
Jean-Baptiste Lemoyne.

Repousser
les remboursements
La mesure, qui doit beaucoup à
la mobilisation des voyagistes
et agents de voyages via leurs
organisations Seto et EdV,
s’applique à l’ensemble de la
filière, à l’exception de la presta-
tion de vol sec, précise le secré-
taire d’Etat. Sont ainsi concer-
nés les tour-opérateurs, « tous
les hébergeurs » en France, y
compris les campings, et même
les loueurs de voitures.
La mesure, valable dix-huit
mois, couvre toute demande
d’annulation effectuée entre le
1 er m ars et le 15 septembre. A
l’issue de la période de dix-huit
mois, le consommateur qui
n’aura p as s ouhaité reporter son
voyage ou séjour aura alors « la
possibilité » d’être remboursé.
S’agissant de la billetterie
aérienne, qui d onne lieu à un vif
contentieux entre les agents de
voyages et les compagnies
aériennes, le secrétaire d’Etat
aux Transports, Jean-Baptiste
Djebbari, a entamé un dialogue
avec Bruxelles. Pour mémoire,
les compagnies sont tenues de
rembourser en cas d’annula-
tion de vols de leur fait.n

Sont concernés par
les à-valoir les tour-
opérateurs et tous
les hébergeurs en
France ainsi que les
loueurs de voitures.

Denis Fainsilber
[email protected]


Nous sommes fin 2008 et c’est la
panique. Les concessionnaires
automobiles de l’Hexagone venti-
lent : le marché automobile natio-
nal s’effondre en quelques mois,
miné par un phénomène exogène,
non pas une pandémie mondiale
mais une crise financière qui
secoue l’ensemble du monde occi-
dental. Le malaise qui couvait
depuis l’été 2007 au sujet des
fameux « subprimes » est devenu
un maelström planétaire en sep-
tembre 2008 avec la faillite retentis-
sante de Lehman Brothers – qui
n’affecte plus seulement les aspi-
rants à l’achat d’une maison à crédit
dans le Midwest américain.


Il y a douze ans, dans toute
l’Europe, les candidats au leasing
automobile sont dans la nasse et
gardent leur v ieille g uimbarde « qui
ne roule pas si mal » en attendant
des jours meilleurs. En France, le
gouvernement rejoue en décembre
l’éternelle scène de la prime à la
casse. Mais ce énième remake des
populaires « Juppettes » et « Balla-
durettes », payées par le contribua-
ble, fait les beaux jours des Dacia
Sandero assemblées en Roumanie
et des Renault Twingo slovènes
comme des Citroën C1 et Peugeot
107 venant de République tchèque.
Il faut donc trouver autre chose
pour sauver l’industrie automobile
nationale, qui pèse 10 % de l’emploi
industriel français, tout en respec-
tant scrupuleusement les contrai-
gnantes règles européennes. A la
manœuvre, le président d’alors,
Nicolas Sarkozy, s’appuie sur Luc
Chatel, secrétaire d’Etat à l’Indus-
trie (aujourd’hui à la tête de la Plate-
forme de l’automobile (PFA), un
lobby professionnel) et sur Chris-
tine Lagarde, alors ministre de
l’Economie et des Finances
(aujourd’hui à la tête de la BCE).

Pour la France, l’un des berceaux
de l’automobile, le temps presse :
en ce mois de février 2009, les mau-
vaises nouvelles pleuvent. Avec sa
très mauvaise fin d’année, Renault
a vu sa production chuter de 33 %
dans ses usines françaises, et celle
de PSA recule de 10,7 %. Seuls leurs
sites étrangers s’en sortent. Mais le
marché automobile mondial, qui
pesait encore 69 millions de véhi-
cules neufs en 2007, tend dangereu-
sement vers les 50 millions d’unités
pour 2009!

9.000 départs chez Renault
Chez Renault, un certain Carlos
Ghosn, auréolé de sa réputation de
« cost killer » conquise chez Nissan,
sent que son plan stratégique
« Contrat 2009 » est dans l’impasse.
Détestant avoir affaire aux politi-
ques, il laisse son numéro 2, Patrick
Pélata, mettre en œuvre un plan de
9.000 départs, majoritairement en
Europe, dont une grosse part de
retraites naturelles.
Chez PSA Peugeot Citroën, le
groupe déjà trop européen enterre
les succès de l’ère Jean-Martin Folz
avec une p erte historique de

343 millions d’euros, une chute de
7,4 % du chiffre d’affaires et un dou-
loureux plan de 11.000 départs
volontaires. D’où un sauvetage
massif organisé par l’Etat, sur le
thème du donnant-donnant.
Dans la balance : une enveloppe
totale de 6,5 milliards d’euros de
prêts bonifiés sur 5 ans, répartis
équitablement à 3 milliards pour
Renault et 3 milliards pour PSA,
plus 500 millions pour le fabricant
français d e camions Renault
Trucks, nouvelle propriété du sué-
dois Volvo. Ces « prêts participa-
tifs » sont assortis d’un taux préfé-
rentiel de 6 %, inférieur à ceux du
marché de l’époque, taux variable
en outre en fonction de l’évolution
ultérieure du résultat opérationnel
des deux groupes...
Par ailleurs, l’Etat double des
aides aux deux sociétés de crédit de
PSA et Renault, essentielles pour
relancer les crédits auto (2 mil-
liards d’euros), et versera 600 mil-
lions d’euros aux équipementiers
auto en détresse, à travers un nou-
vel organisme, le FMEA. Et les diri-
geants des constructeurs s’enga-
gent à modérer les dividendes et à

renoncer à leurs bonus. La contre-
partie de ce plan sans précédent :
freiner les délocalisations, et
renoncer à des fermetures d’usines
en France.
Chaque décision industrielle
lourde sera donc soumise à l’exa-
men de l’Etat, jusqu’à la fermeture
d’Aulnay par PSA, finalisée en 2014.
La sauvegarde de l’emploi est à
ce prix. Il faudra aussi batailler
longuement à Bruxelles, pour
répondre aux accusations de pro-
tectionnisme venant des Etats qui
comptent sur leur sol des usines de
PSA, comme la Slovaquie ou la
République tchèque.
Chez les constructeurs français,
pas question de refuser les aides
d’Etat. « Nous avons besoin de bien
plus que 3 milliards, mais ce plan est
une bonne base », déclare chez PSA
un Christian Streiff affaibli, qui sera
bientôt débarqué pour raison de
santé par la famille Peugeot. Celle-ci
sera d’ailleurs contrainte de lâcher
son emprise sur « son » construc-
teur en 2013, l’Etat français et le chi-
nois Dongfeng arrivant en pom-
piers au sein du capital pour j uguler
l’hémorragie financière.n

Il y a douze ans, Nicolas Sarkozy avait débloqué


8 milliards d’euros pour sauver le soldat automobile


A la suite de la crise
financière de l’automne
2008, l’Etat français
a mis en place un plan de
sauvetage pour aider Renault
et PSA. Contrepartie :
aucune fermeture d’usine
en France, et si possible
zéro licenciement.


Anne Feitz
@afeitz


Lignes de production arrêtées, con-
cessionnaires fermés. En France
comme en Europe, l’industrie auto-
mobile est frappée de plein fouet
par la crise. « L’automobile ne tourne
quasiment plus, les chiffres d’affaires
affichent des chutes vertigineuses, de
80 % à 85 % »,
a insisté le ministre de
l’Economie, Bruno Le Maire, lors de
son point presse, mardi.
Renault et PSA, tout comme les
grands équipementiers Valeo, Fau-
recia et Plastic Omnium, ont pro-
gressivement annoncé l a fermeture
de tous leurs sites industriels dans
l’Hexagone, et au-delà. Avec u n effet
domino inéluctable. « C’est une
filière stratégique. Des centaines de
milliers de PME sont touchées, qui
occupent parfois des territoires
entiers »,
a poursuivi le ministre,
citant en exemple la vallée de l’Arve
et ses entreprises spécialisées dans
l’usinage de pièces en métal.
Selon une estimation de la Plate-
forme automobile ( PFA),
200.000 emplois sont déjà concer-
nés par les fermetures d’usines,
dans un secteur qui compte
400.000 emplois industriels dans
l’Hexagone. « Deux mois de ventes
de voitures neuves à l’arrêt e n France,
cela représente 5 à 7 milliards de tré-
sorerie qui manqueront à la filière, en
cascade »,
avance Marc Mortureux,
directeur général de la PFA. Et il
s’agit sans doute d’une estimation a
minima, la France ne représentant
qu’une part minoritaire des ventes
des constructeurs tricolores.
Même si tous les regards se sont
tournés vers Renault lorsque
Bruno Le Maire a évoqué la possi-
bilité de recapitaliser – voire de
nationaliser – des entreprises en
difficulté, l’ex-Régie n’en est pas
tout à fait encore là. Le groupe dis-
posait au 31 décembre de 12,3 mil-
liards d’euros de trésorerie brute et
de 3,5 milliards de lignes de liqui-
dité disponible.
« Renault aborde la crise en étant


200.000 salariés de


l’automobile à l’arrêt


dans l’Hexagone


Les constructeurs
ont arrêté la quasi-totalité
de leurs lignes de production
en Europe, avec un effet
en cascade sur la chaîne
des sous-traitants.


plus faible que ses pairs, mais sa
situation de trésorerie est bien
meilleure que lors de la crise de
2008-2009, relève l’analyste Gaë-
tan Toulemonde, chez Deutsche
Bank. C’est d’ailleurs le cas pour
l’ensemble des grands acteurs du
secteur. » En meilleure forme, PSA
disposait de son côté, fin 2019, de
17,4 milliards de trésorerie et de
3 milliards de lignes de crédit.

Dans une interview au « Pari-
sien » le week-end dernier, le prési-
dent du Losange, Jean-Dominique
Senard, a écarté tout risque de
nationalisation. « Ce n’est pas à
l’ordre du jour », a-t-il indiqué, rap-
pelant qu’un tel scénario n’avait pas
été nécessaire lors de la dernière
crise. L’ex-Régie a, en revanche, évo-
qué la possibilité de solliciter des
garanties d’Etat. De l’avis de plu-
sieurs observateurs, le groupe
pourrait dans ce cas se voir con-
traint de différer le sévère plan de
restructuration annoncé en février


  • en tout cas pour son volet hexago-
    nal. « En réalité, personne n’en sait
    rien. Tout dépendra de la durée de la
    crise »,
    souligne Bernard Jullien,
    maître de conférences à l’université
    de Bordeaux.


Reprise molle du marché
Dans toute la filière, le recours au
soutien de l’Etat sera bienvenu mais
pas forcément suffisant. « Une partie
des charges sera réduite, via les mesu-
res de chômage partiel ou l’arrêt des
livraisons qui ne seront plus payées,
poursuit Bernard Jullien. Mais il res-
tera des charges fixes majeures,
comme la R&D par exemple. »
Si la crise a aggravé la situation
des entreprises du secteur déjà en
difficulté, sous l’effet de la chute du

Le président
de Renault a écarté
tout risque de
nationalisation.

L’ex-Régie a,
en revanche, évoqué
la possibilité
de solliciter
des garanties d’Etat.

diesel notamment, la PFA n’a pas eu
vent, à ce s tade, de défaillance d irec-
tement liée au coronavirus. « Nous
saluons la réactivité des pouvoirs
publics pour soutenir la trésorerie
des entreprises les plus fragiles,
insiste Marc Mortureux. De leur
côté, les deux grands c onstructeurs se

sont engagés auprès de Bruno
Le Maire à tenir leurs délais de paie-
ment vis-à-vis de leurs fournis-
seurs. » La sortie de crise est déjà
dans tous les esprits. « Il est fonda-
mental que les PME ne soient pas
alors exsangues, p our p ouvoir repar-
tir », insiste le dirigeant. D’autant

que la reprise du marché risque
d’être assez molle, et c’est un euphé-
misme. « Les Français et les Euro-
péens ne vont pas se mettre à acheter
des centaines de milliers d’automobi-
les dès que ce sera fini. Il n’y aura pas
de coup de baguette magique », a
asséné Bruno Le Maire.n

Comme Renault et les équipementiers français, PSA a annoncé la fermeture de tous ses sites
industriels dans l’Hexagone (ici, l’usine de Mulhouse). Photo Sébastien Bozon/AFP
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