Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

18 // ENTREPRISES Mercredi 25 mars 2020 Les Echos


Depuis lundi, la banque
KfW publique a reçu
34 dossiers. Le Bundestag
doit donner son feu vert
mercredi à la création
d’un fonds de sauvetage
pour les entreprises
stratégiques.

Allemagne :


les demandes


de crédit


affluent


Ni non Renaud
@NinonRenaud
— Correspondante à Berlin

La c ourse contre l a montre pour
sauver les entreprises touchées
par l’épidémie de coronavirus
est entrée dans le dur lundi en
Allemagne. Bruxelles a donné
son feu vert dimanche à plus de
800 milliards d’euros de prêts
garantis à hauteur de 80 à 90 %
par l’Etat allemand, selon la
taille du crédit. A peine quaran-
te-huit heures plus tard, mardi à
la mi-journée, la banque publi-
que KfW avait, selon nos infor-
mations, déjà reçu 34 sollicita-
tions représentant un total de
1,985 milliard d’euros.
La palette des acteurs en ap-
née est large. Trente entreprises
affichaient des besoins de liqui-
dités pour un montant inférieur
à 3 millions d’euros. L’examen de
leur dossier étant dans ce cas
directement mené par leur ban-
que habituelle pour gagner du
temps, la KfW assure avoir pu
verser les sommes dans les heu-
res suivantes. Pour quatre entre-
prises, l es montants dépassaient
les 10 millions et totalisaient
1,968 milliard d’euros.

Malgré les procédures accé-
lérées d’autorisation mises en
place par la banque publique,
l’argent devrait prendre quel-
ques jours à arriver sur le
compte de ces acteurs. « De
nombreuses entreprises sont au
bord de couler, chaque jour
compte », souligne dans un
communiqué le directeur géné-
ral de la Fédération allemande
de l’industrie, Joachim Lang.
Le Bundestag doit valider ce
mercredi la création du fonds
de stabilisation de l’économie
de 600 milliards d’euros destiné
à soutenir les plus grandes
entreprises, voire à procéder à
leur nationalisation partielle si
besoin. Pour l’heure, aucun
dossier n’est officiellement sur
la table du ministre de l’Econo-
mie, Peter Altmaier.
Alors que l’industrie automo-
bile est en première ligne des vic-
times de la pandémie, « Daimler
n’a actuellement pas besoin
d’aide d’Etat. Nous avons une
position de liquidité solide », a
assuré mardi, dans une inter-
view au « Handelsblatt », le
patron du groupe, Ola Källenius.
Le patron de Lufthansa, Carsten
Spohr, a en revanche reconnu
que, plus la crise durerait, plus
grande serait la probabilité que
l’avenir de l’aviation p asse par un
soutien du gouvernement.
Alors que la majorité des éco-
nomistes anticipent une con-
traction du PIB plus importante
que les – 5,7 % enregistrés lors de
la précédente crise, en 2009,
Peter Altmaier a martelé mardi
que le « bazooka » financier déjà
présenté n’était qu’un « premier
pas ». Quel pourrait être le pro-
chain? Chez les économistes, la
question de l’opportunité d’un
plan de relance fait débat.n

Trente entreprises
affichaient
des besoins de
liquidités pour un
montant inférieur
à 3 millions d’euros.

Laura Berny
@lb


Lorsque la banque américaine Leh-
man Brothers fit faillite, le 15 sep-


tembre 2008, les Etats e t les b anques
centrales, qui se préoccupaient
davantage de maîtriser l’inflation
que de soutenir le crédit, durent
intervenir massivement.
Dès le 16 septembre, les Etats-Unis
nationalisent ainsi à hauteur de
80 % l’assureur AIG, au nom de ce
qui allait devenir le fameux principe
du « too big to fail » (trop gros pour
faire faillite). Les vannes sont alors
ouvertes, et le 18 septembre, le plan
Paulson met 700 milliards de dollars
sur la table pour racheter et gérer les
actifs toxiques des banques.

Partout, en moins de trois semai-
nes, les établissements en difficulté
sont recapitalisés, rachetés, soute-
nus pour rassurer clients et inves-
tisseurs, à l’instar du belgo-néer-
landais Fortis, partiellement na-
tionalisé avant d’être repris par BNP
Paribas, ou du franco-belge Dexia.
En Allemagne, Hypo Real Estate
bénéficie d’un plan d’urgence de
50 milliards d’euros. Au Royaume-
Uni, six banques sont partiellement
nationalisées (HBOS, RBS, Lloyds
TSB, Standard Chartered,
Nationwide et Abbey).

Garantie et rachats
Début octobre, le G7 de Washing-
ton va s’inspirer de toutes ces mesu-
res pour mettre en place une
réponse concertée à cette crise sans
précédent. Celle-ci s’articule autour
de quatre axes : suspension de
l’application des normes compta-
bles internationales aggravant les
difficultés des banques ; garantie de
l’Etat afin d’aider les établissements
de crédit à trouver des finance-
ments ; renforcement des fonds
propres des banques ; soutien à la
consolidation du secteur via la
reprise des établissements les plus

fragiles par d’autres acteurs.
L’essentiel étant d’éviter que la crise
financière ne se transforme en crise
économique. D’où le conditionne-
ment des aides publiques à la pour-
suite de l’activité de crédit des éta-
blissements.
En France, Christine Lagarde,
alors ministre de l’Economie,
annonce dans la foulée un plan de
sauvetage d’un montant de 360 mil-
liards d’euros. Sur ce total, 320 mil-
liards sont dédiés à la garantie de
l’Etat pour le refinancement des
banques. Créée à cet effet, la Société
de financement de l’économie fran-
çaise (SFEF) n’émettra finalement
que 80 milliards d’euros.
Le plan prévoit également un
soutien des banques en fonds pro-
pres de 40 milliards. La Société de
prise de participation de l’Etat
(SPPE) en injectera in fine un peu
plus de la moitié. Le résultat est au
rendez-vous : les cinq grandes ban-
ques françaises dégagent de nou-
veau des profits en 2009 et accrois-
sent de 1,8 % leurs e ncours d e crédit.
Le dispositif a en outre rapporté
2 milliards à l’Etat au titre de la
garantie et des intérêts. Entre 2008
et 2017, les Etats européens auront

effectivement déboursé 665 mil-
liards d’euros en capital e t
1.296 milliards en trésorerie – con-
tre plus du double approuvé par
Bruxelles pour soutenir le secteur.
On attend encore le résultat de
l’audit de la Cour des comptes euro-
péenne sur le coût final de ce colos-
sal plan de sauvetage du secteur
bancaire.n

En 2008, les Etats à la rescousse des banques


Après la faillite de Lehman
Brothers, en septem-
bre 2008, les Etats sont
intervenus massivement
pour aider les banques. En
dix ans, les pays européens
ont déboursé 665 milliards
d’euros en capital et
1.296 milliards en trésorerie.


genr e de question. Les prêts garantis
sont conçus pour être remboursés
sur une période de six ans maxi-
mum. Cela laisse du temps. »
Au-delà de l’outil des garanties,
la BPI sera nécessairement en
première ligne s’il est nécessaire
d’entrer au capital d’une entreprise
fragilisée. Un scénario qui pourrait
se faire plus pressant en fonction de
la durée de la crise et de son impact
sur l’activité des entreprises. Le
ministre de l’Economie et des
Finances ne l’a pas exclu. Bpifrance
pourra-t-il être un véhicule d’inves-
tissement privilégié par l’Etat?
« Nous vous tiendrons informés en
temps voulu des instruments que
nous emploierons si nécessaire », a
répondu Bruno Le Maire mardi.
Une chose est sûre, bpifrance

stratégiques. L’équipementier auto
Valeo fut l’un des premiers groupes
à en profiter.
Aujourd’hui, la banque publique
a encore des participations impor-
tantes dans des grands groupes
cotés comme Orange et PSA, qui
avait beaucoup contribué aux
résultats financiers en 2018. Elle
vient encore de monter début mars
au capital de Technicolor, dont elle
détient 7,6 % des actions.
Avant la crise du coronavirus,
elle venait d’ailleurs de finaliser la
première phase de constitution du
« Lac d’argent », un fonds d’investis-
sement à la française, qui sera doté
de 10 milliards d’euros (déjà abondé
en partie par Abu Dhabi), et aura
pour mission de stabiliser le capital
de grands groupes cotés hexago-

naux. Difficile toutefois de savoir
pour l’instant quel rôle précis ce
fonds pourrait jouer dans les mois
à venir, dans le contexte actuel.
En attendant, bpifrance est déjà
conscient des problèmes de finan-
cement que peuvent rencontrer les
plus petites sociétés. Il va mettre
sur pied, dans les prochains jours,
deux fonds dédiés de 100 millions
d’euros, l’un pour les PME, l’autre
pour les start-up, avec des tickets
de 1 à 1,5 million. L’investissement
pourra se faire via des OBSA (obli-
gations à bons de souscription
d’actions). Là encore, i l s’agit de pou-
voir soutenir l’économie française
et ses entreprises dans une période
certes très incertaine mais seule-
ment temporaire. C’est du moins ce
qu’espèrent les autorités.n

a les outils et l’expérience pour
entrer, ou accroître sa présence, au
capital de grandes entreprises. C’est
lui qui gère l’ex-Fonds stratégique
d’investissement (FSI), c réé en 2 009

pour venir en aide aux entreprises
en difficulté à cause de la crise
financière, et les protéger d’éven-
tuels raids hostiles d’investisseurs,
notamment dans les secteurs jugés

Bpifrance a les outils
et l’expérience pour
entrer, ou accroître
sa présence, au
capital de grandes
entreprises.

Romain Gueugneau
@romaingueugneau


Le dispositif est inédit, les sommes
exceptionnelles, la mobilisation
totale. Nicolas Dufourcq, le direc-
teur général de bpifrance, se veut
rassurant. « Des prêts garantis, on
en fait tout le temps, ça fait partie
de notre mission au quotidien
, rap-
pelle-t-il. C’est sûr que là, il y aura
beaucoup, beaucoup plus de dossiers
à traiter
. » D ans le d ispositif d égainé
par l’Etat pour venir en aide aux
entreprises mises en difficulté
par la crise sanitaire liée à l’épidé-
mie de coronavirus, la banque
publique d’investissement va jouer
un rôle essentiel. C’est par elle que
vont en effet passer la majeure par-
tie des 300 milliards d’euros de
prêts bancaires garantis jusqu’à
90 % par l’Etat (PGE), dont le mode
d’emploi a été précisé mardi par
le ministre de l’Economie et des
Finances, Bruno Le Maire. Les
entreprises pourront, à partir de ce
mercredi, demander à leur banque
un p rêt pouvant représenter j usqu’à
trois mois de chiffre d’affaires.
L’institution, qui traite en temps
normal 80.000 prêts garantis par
an, se dit prête à faire face à l’afflux
de demandes. « On a l’expérience
de ce type de plan d’urgence. Lors de
la crise de 2008-2009, on octroyait
des prêts garantis à 90 %, qui ont
beaucoup aidé
», rappelle le direc-
teur général de bpifrance. Même si
les besoins sont plus importants
aujourd’hui pour les entreprises
touchées.


Prises de participation
Reste à savoir ce qu’il adviendra des
entreprises qui ne pourront rem-
bourser les sommes empruntées.
Les fonds seront-ils convertis en
capital dans les sociétés en ques-
tion? « Il est trop tôt pour se poser ce


Bpifrance en première ligne

pour soutenir les groupes français

Intervenant en financement
et en capital, la banque
publique est un rouage
essentiel dans le dispositif
dégainé par l’Etat. C’est elle
qui apposera la garantie
publique sur les prêts
en trésorerie octroyés
aux entreprises. A terme,
elle pourra aussi servir
de véhicule en cas de prise
de participation publique.


Bpifrance, qui traite en temps normal 80.000 prêts garantis par an, se dit prête à faire face à l’afflux de demandes. Photo Ludovic Marin/AFP

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Les chiffres clés


360

MILLIARDS D’EUROS
Les crédits alloués au plan
de sauvetage décidé en
2008 par l’Etat français.

80

MILLIARDS D’EUROS
La somme finalement émise
par la Société de financement
de l’économie française,
créée à cet effet.
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