Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1
Mardi, Bruno Le Maire n’a pas caché la brutalité de la crise économique liée au coronavirus. Ph oto Romuald Meigneux/Sipa

à changer en fonction de l’évolution
de la situation sanitaire.

Chute de l’indice d’activité
Mardi, l’indice d’activité publié par
Markit, retraçant les attentes des
chefs d’entreprise pour la France
pour le mois de mars, a chuté de
plus de 20 points. En s’établissant à
seulement 30,2 points, l’indice PMI
a atteint son niveau le plus bas
depuis que cette enquête existe,
c’est-à-dire depuis vingt-deux ans.
Le plongeon des services est bien
plus fort que celui de l’industrie.
Tous ces chiffres font dire au minis-

tre de l’Economie que « cette crise,
qui touche l’économie mondiale et
l’économie réelle, n’est comparable
[...] qu’à la crise de 1929 ». Il ne croit
pas, qui plus est, à un redémarrage
rapide : « Les Français et les Euro-
péens ne vont pas se mettre à racheter
des centaines de milliers de voitures
du jour au lendemain. »
« Je n’imagine pas que du jour au
lendemain, après un choc d’une telle
violence, l’activité économique va
revenir à la normale. Il faudra
accompagner la reprise » , a-t-il expli-
qué. « Le scénario sur lequel je tra-
vaille est celui d’un retour progressif

à la vie normale » , a-t-il insisté. C’est
pourquoi le ministre appelle à une
réponse européenne massive.
S’il se félicite des décisions de la
Banque centrale européenne et
notamment de son nouveau pro-
gramme de rachat d’actifs, « il fau-
dra faire beaucoup plus » , prévient-il.
Une relance et un soutien pendant
la période de sortie de crise seront
nécessaires et devront être accom-
pagnés par « l’activation de mécanis-
mes européens ». La France souhaite
aussi « pouvoir utiliser les lignes de
crédits du Mécanisme européen de
stabilité (MES) ». Elle est « favora-

ble » à des eurobonds, des obliga-
tions émises au niveau européen.

Des nationalisations
dans les tuyaux
Un d es problèmes est qu’aujourd’hui
une partie des Etats membres,
emmenés par les Pays-Bas, ne sont
prêts à activer ces lignes de crédit
qu’en cas de mise en œuvre de réfor-
mes structurelles dans les pays qui
en bénéficieront. En attendant, l’Etat
soutient les entreprises via la garan-
tie publique à des crédits de trésore-
rie. Le chômage à temps partiel se
développe massivement. Des natio-

nalisations sont dans les tuyaux et
les charges et les impôts pourront
être supprimés pour les entreprises
« en cas de risque de faillite » , selon
Bruno Le Maire.
Mais il va nous falloir « adapter
notre économie à la réalité de cette
crise sanitaire » , a prévenu le minis-
tre. Emmanuel Macron l’avait
répété huit fois la semaine dernière
dans son discours : « Nous sommes
en guerre. »

(


L’éditorial de
Jean-Francis Pécresse
Page 14

lLe ministre de l’Economie a estimé mardi que le PIB chuterait cette année bien au-delà de 1 %.


lIl juge que le retour à la normale sera progressif et ne prévoit pas de rebond rapide de l’activité en sortie de crise.


Une crise économique comparable

à celle de 1929, selon Bruno Le Maire

« Je m’inquiète pour ces entreprises en fragilité et dans le flou total »


Propos recueillis par
Pierre-Alain Furbury
@paFurbury


Emmanuel Macron n’est pas
favorable à un « confinement
total » réclamé par certains
médecins. Faudrait-il, selon
vous, aller jusque-là?

Ce qui est sûr, c’est q ue l ’on doit avoir
un confinement plus strict et mieux
respecté. Le jogging, aussi impor-
tant soit-il, devrait être interdit
actuellement. Il faut réduire au
strict minimum les transports en
commun et ne maintenir que les
activités e ssentielles à la survie d e la
population. Il faut aussi renforcer
les moyens policiers dans les zones
où l e confinement n’est pas r especté
et accroître encore le régime de
sanctions.


Entre les exigences sanitaires


- rester chez soi – et économi-
ques – éviter un arrêt
complet –, la France a-t-elle
trouvé le bon équilibre?

Ce qui est bancal, c’est la communi-
cation et parfois les i njonctions con-
tradictoires. Je m’inquiète notam-
ment pour toutes ces entreprises
intermédiaires, de 15 à 150 salariés,
qui sont en fragilité parce qu’elles
n’ont pas la trésorerie suffisante et
sont dans le flou total sur ce qu’elles
peuvent faire. Face à ce flou juridi-
que, il y a deux réflexes : celui des


salariés qui utilisent le droit de
retrait ; celui des employeurs qui
parfois ferment leur usine pensant
pouvoir f aire bénéficier à leurs sala-
riés du chômage partiel. Pour per-
mettre aux entreprises de savoir si
elles peuvent mettre leurs salariés
au travail ou pas, je demande au
gouvernement de sortir au plus vite
un guide des b onnes pratiques et de
mettre sur pied un « 15 » économi-
que, un numéro d’urgence décliné
dans chaque département. Cela
concerne une large part du tissu
économique. Et il y a urgence.

Le dispositif mis en place

- chômage partiel, congés
payés, etc. – est-il suffisant?

Le dispositif annoncé par Emma-
nuel Macron semblait suffisant.
Mais la réalité économique est éloi-
gnée des annonces médiatiques.
Beaucoup d’entreprises n’ont pas
droit au chômage partiel. Sur le ter-
rain, dans la région Auvergne-Rhô-
ne-Alpes, quasiment un dossier sur
deux est actuellement rejeté. Nous
sommes enfermés dans nos con-
traintes réglementaires et adminis-
tratives. Trois semaines pour traiter
un dossier à la BPI, c’est aussi beau-
coup trop long. Pour réduire le
temps entre l e moment d u décaisse-
ment et celui du remboursement, je
demande que l’on applique le
modèle suisse : une déclaration
immédiate de chômage partiel avec


signature sur l’honneur dématéria-
lisée sur Internet. Comme sur le
plan sanitaire, je pense qu’il faut être
très vigilant pour éviter une sorte de
tri économique qui conduise à choi-
sir les entreprises que l’on aide et
celles que l’on laisse mourir. Il faut
aussi penser à l’après. Pour favoriser
la reprise via des entreprises de
proximité, je propose d’assouplir le
Code des marchés publics.

Quid des autoentrepreneurs?
Il ne faut pas les oublier. Beaucoup
d’autoentrepreneurs sont
aujourd’hui s ans r evenu et ils n e sont
intégrés à aucun dispositif de l’Etat.
Je pense notamment à tous les
autoentrepreneurs qui ont com-
mencé leur activité il y a moins d’un
an. Pourquoi ne pas reprendre ce
que l’administration Bush avait
engagé en 2008? Je propose que l’on
envoie immédiatement à chacun
d’entre e ux un chèque de 1.500 euros.

Quels enseignements tirez-vous
de cette crise sur le modèle
économique et social français?
Cela nécessitera une redéfinition
des frontières entre l’Etat et le mar-
ché. De redéfinir aussi ce qu’e st la

souveraineté économique. Il faut
une indépendance sanitaire – on ne
peut pas dépendre de la Chine pour
la production de masques, de gels
ou de médicaments –, mais égale-
ment une indépendance alimen-
taire et numérique. Toute baisse de
la politique agricole commune
serait une faute politique majeure.
On peut c onnaître demain une crise
climatique qui entraîne les mêmes
situations de confinement. Et notre
dépendance aux technologies amé-
ricaines et chinoises est telle qu’il
suffirait à l’Oncle Sam ou au dragon
chinois d’appuyer sur le bouton
« shutdown » pour mettre notre
économie à plat.
Retrouver de la souveraineté ne
veut pas dire la fermeture des fron-
tières ou la fin de l’économie de
marché. Mais face à la mondialisa-
tion, il faut avoir des moyens d’agir
et de peser. Cela passe aussi par la
territorialisation de l’action écono-
mique. Il faut sortir du jacobinisme
économique et faire des régions de
vrais pilotes sur le terrain.

L’ hôpital public se plaignait
d’un manque de moyens avant
le coronavirus... Faudra-t-il
les lui donner?
Je l’avais déjà dit avant la crise : la
réduction du nombre de fonction-
naires ne peut pas concerner la
fonction publique hospitalière.
Mais au-delà du nombre de soi-

gnants, il faut tout remettre à plat


  • c’est l’esprit de la commission
    d’enquête dont j’ai annoncé la créa-
    tion pour l’automne. Il y a des biens
    supérieurs de la nation et la santé en
    est un. Il doit y avoir une prise de
    responsabilité et de conscience :
    une erreur a été faite. L’économie de
    la santé ne peut pas obéir à des
    règles uniquement comptables,
    basées sur la tarification à l’activité
    et l’Ondam, l’Objectif national des
    dépenses d’assurance-maladie.


Des pétitions citoyennes
demandent le reversement
des amendes aux personnels
soignants. Est-ce une bonne
idée?
C’est une idée généreuse et je la sou-
tiens. Même si ces montants sont
symboliques, tous les gestes de soli-
darité sont bons à prendre. Je veux
aussi saluer les dons des entrepri-
ses. Si l’Ain, mon département, n’a
pas de pénurie de masques, ce n’est
pas parce que l’Etat nous en a distri-
bué, mais parce que les entreprises
ont fait des dons aux hôpitaux.
Et c’est parce qu’on a besoin de
solidarité dans cette crise que je
propose que l’on compense les per-
tes des commerces non alimen-
taires. Pour ce faire, je souhaite que
l’on ressorte le Fisac, le Fonds
d’intervention pour les services,
l’artisanat et le commerce, et qu’il
soit abondé par les supermarchés
et commerces qui peuvent conti-
nuer à fonctionner et vendent aussi
du non-alimentaire. Enfin, sur le
modèle de l’état de catastrophe
naturelle, nous p roposons d’instau-
rer un état de catastrophe sanitaire
afin que les assurances puissent
prendre en charge les pertes
d’exploitation des entreprises.

a
L’ intégralité de l’interview
sur lesechos. fr

DAMIEN ABAD
Président du groupe
Les Républicains
à l’Assemblée

Guillaume de Calignon
@gcalignon


Du sang, d e la sueur et des larmes. Le
discours du ministre de l’Economie
et des Finances, Bruno Le Maire,
avait mardi matin des accents chur-
chilliens. Le locataire de Bercy, dont
la conférence était retransmise sur
Twitter, n’a pas caché la brutalité de
la crise é conomique liée à l’épidémie
de coronavirus.
Des secteurs comme le tourisme,
l’hôtellerie-restauration ou encore
l’événementiel connaissent des bais-
ses d’activité « de 90 % à 100 % » ,
l’automobile fait face à une chute de
son chiffre d’affaires « de 80 % à
85 % »
, selon le ministre. Et « l’indus-
trie tourne à 25 % de ses capacités »
,
a-t-il redit. Dans l’ameublement, la
cosmétique, la mécanique ou encore
la plasturgie et le textile, l’activité a
chuté de 80 %. Dans le bâtiment, la
semaine dernière, 80 % des chan-
tiers étaient à l’arrêt. Seuls l’agroali-
mentaire et la grande distribution
fonctionnaient correctement.


Conséquence logique de cet
effondrement : « Le chiffre de la
croissance pour 2020 sera bien infé-
rieur à celui prévu dans le projet de
loi de finances rectificative »
, pour-
tant voté la semaine dernière. En
clair, la baisse du PIB sera supé-
rieure à 1 %, sachant que « chaque
semaine, chaque mois de confine-
ment supplémentaire aggrave cette
prévision »,
a-t-il souligné.
Pour l’instant, les économistes
tablent sur un recul de l’ordre de 5 %
du PIB de la zone euro et de la
France cette année. Mais ces antici-
pations sont évidemment appelées


ÉPIDÉMIE


Le ministre appelle


à une réponse


européenne massive.


Il a dit


« Il y a des biens
supérieurs de
la nation, et la santé
en est un. Il doit
y avoir une prise
de responsabilité et
de conscience : une
erreur a été faite. »

Ludovic Marin/AFP

EVENEMENT


Mercredi 25 mars 2020 Les Echos

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