Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

Florian Dèbes
_@FLDebes


Ils sont nombreux à évoquer un
« risque de pandémie numérique ».
Tandis que le Covid-19 mobilise les
services de santé du monde entier
et désorganise les secteurs écono-
miques, les professionnels de la
cybersécurité redoutent particu-
lièrement un autre mal, celui des
vols de données et du rançonnage
informatique.
Le volume d’attaques liées au
coronavirus est tel qu’il est devenu,
ces derniers jours, le leurre à
phishing « le plus utilisé depuis des
années, voire depuis toujours! »

d’après les chercheurs de l’éditeur


de logiciels de protection des
e-mails Proofpoint.
La crainte est particulièrement
forte dans l es milieux médicaux. Les
serveurs des Hôpitaux de Paris ont
subi une attaque, heureusement
sans perturber l’offre de soin, et
l’Organisation mondiale de la santé
a été la cible de hackers espions...
manifestement repartis b redouilles.
Mais le risque existe de partout,
pour les entreprises comme pour
les Etats. Quand bien même l’heure
devrait être à la coopération inter-
nationale pour diminuer la létalité
du coronavirus, « ces six dernières
semaines, nous avons vu des acteurs
menaçants chinois poursuivre leurs
opérations contre leurs cibles exté-
rieures habituelles » , a indiqué à
l’AFP B en Read, du service d’analyse
en cyberespionnage de la société
américaine FireEye. « Ce que l ’on voit
est conforme aux modèles : pas de
signe de trêve » , a-t-il ajouté, pointant
la poursuite des activités en Corée
du Nord, Asie du Sud et Russie. Plus
insidieuse qu’une attaque informa-

tique, la désinformation fait des
ravages. De ce point d e vue, la Russie
est particulièrement pointée du
doigt. Un groupe de travail de
l’Union européenne lui a déjà attri-
bué 110 campagnes de désinforma-
tion en deux mois.

Cyberdéfense confinée
Côté entreprises, si l’Agence natio-
nale de sécurité des systèmes
d’information n’a pas détecté de
grosses attaques, on sait qu’elles
sont les premières destinatrices des
e-mails vérolés sous couvert d’une
information sur l’épidémie. « La
période actuelle est très propice aux
tentatives d’intrusion sur le long
terme et au vol de données personnel-
les » , souligne Nicolas Arpagian,
directeur de la stratégie c hez
Orange Cyberdefense.
Déjà en manque criant d’effectifs
depuis plusieurs années, l es services
de sécurité informatique sont
aujourd’hui sursollicités par la mise
en œuvre du télétravail. Eux-mêmes
confinés, les cyberdéfenseurs n’ont

pas forcément la main sur l’environ-
nement informatique des salariés à
leur domicile. « Les entreprises n’ont
pas laissé le temps aux services infor-
matiques de se préparer car il fallait
permettre à tous ceux qui le peuvent
de télétravailler », déplore Frans
Imbert-Vier, PDG d’Ubcom et con-
sultant en protection des secrets. Les
informaticiens reconnaissent, eux-
mêmes, être susceptibles de laisser
traîner des erreurs de code. Les atta-
quants peuvent aussi profiter de la
peu sûre connexion wi-fi d’un sala-
rié chez lui pour s’introduire sur le
réseau de sa société et y déposer une
bombe logicielle à retardement,
activable après la crise...
« C’est une p ériode plus chaude q ue
d’habitude s ur le front cyber » , recon-
naît Jean-Noël de Galzain, PDG de
Wallix. Egalement président du
groupement d’entreprises Hexa-
trust, il appelle les sociétés du sec-
teur à proposer gracieusement
leurs offres pour parer à l’urgence.
Notamment auprès des entreprises
essentielles à la nation.n

Pas de trêve pour les cyberattaques


En pleine crise sanitaire, les
cyberattaquants ne relâchent
pas la pression. Les milieux
médicaux sont concernés,
mais plus largement les
entreprises, que le télétravail
rend plus vulnérables,
et aussi, toujours, les Etats.


En quelques jours, les restrictions d’activité liées à la crise sanitaire se sont répercutées sur toute la chaîne de sous-traitants des réseaux.

Tw itter envoie un


avertissement sur résultat


mais rassure Wall Street


Ni colas Richaud
@NicoRichaud

La firme à l’oiseau bleu vient, elle
aussi, d’annoncer qu’elle allait
replier ses ailes sur le trimestre en
cours. Twitter vient de faire savoir
qu’il n’atteindrait pas ses objectifs
affichés de chiffre d’affaires entre
janvier et mars. En début d’année,
le site de microblogging avait
annoncé qu’il anticipait une four-
chette de r evenus c omprise
entre 825 et 885 millions de dollars
lors du premier trimestre. Mais la
crise majeure due au coronavirus
est passée par là depuis.
« L’impact du Covid-19 a com-
mencé en Asie, et comme le virus
s’est développé en une pandémie
mondiale, il a eu un impact plus
important sur les revenus publici-
taires de Twitter au niveau mondial
au cours des dernières semaines » , a
souligné Ned Segal, le directeur
financier. Twitter a précisé que ses
revenus seraient « en légère baisse »
par rapport à la même période en
2019 – la firme californienne avait
alors dégagé 787 millions de dol-
lars de chiffre d’affaires.
Mais ce « warning profit » ne
s’est pas traduit par une dégringo-
lade boursière. Au contraire. Wall
Street semble même avoir été ras-
suré par cette annonce de la firme
dirigée par Jack Dorsey. A l’ouver-
ture des marchés financiers amé-
ricains, mardi, le titre était stable.
L’explication? La perte de chiffre

Le groupe californien a
annoncé qu’il n’atteindrait
pas son objectif de revenus
lors du premier trimestre,
mais voit le nombre de ses
utilisateurs augmenter.
A l’ouverture des échanges
sur les marchés américains,
mardi, le titre était stable.

d’affaires de Twitter reste mesurée
comparativement à d’autres
entreprises – particulièrement
pour une société dont le modèle
économique repose en majorité
sur les revenus publicitaires, des
budgets coupés en premier lieu
par les grands groupes.
Mieux, les services de Twitter
sont utilisés par un nombre gran-
dissant de personnes qui com-
mentent énormément l’actualité
portant sur le coronavirus. Le site
de microblogging comptabilise
désormais 164 millions d’utilisa-
teurs actifs au quotidien et dits
« monétisables » – ce qui signifie
que ces usagers peuvent être expo-
sés à de la publicité sur la plate-
forme. Cela représente une hausse
conséquente de 23 % sur un an.

Un modèle hybride
Tw itter bénéficie à plein de la
nature particulière de son service


  • un modèle hybride, à la croisée
    entre tech et média – et faisant de
    lui un média social permettant
    essentiellement de suivre et diffu-
    ser de l’information en temps
    réel. « L’objectif de Twitter est d’être
    au service du débat public et en ces
    temps difficiles, notre travail n’a
    jamais été aussi critique »
    , a fait
    valoir Jack Dorsey lundi soir.
    Début mars, celui qui est l’un
    des cofondateurs du site de micro-
    blogging avait réussi à conserver
    son poste après avoir trouvé un
    terrain d’entente avec le fonds acti-
    viste Elliott qui souhaitait que le
    quadragénaire soit démis de ses
    fonctions. Elliott lui avait notam-
    ment fixé comme objectif d’aug-
    menter de 20 % au moins le nom-
    bre d’utilisateurs actifs journaliers
    « monétisables » et, par là même,
    le chiffre d’affaires. Pour l’heure, le
    premier de ces objectifs est déjà
    atteint sur le trimestre en cours.n


leur porte à un technicien télécoms
pour doper leur connectivité. Cer-
taines remontées du terrain font
état d’une chute de près de moitié
des demandes de raccordement en
l’espace d’une semaine après
l’annonce du confinement.

Des particuliers frileux
« L’ADSL permet déjà de faire beau-
coup de choses et d’avoir du haut
débit. Dans ce contexte compliqué, les
gens ne veulent pas changer de techno-
logie avec le risque de se retrouver en
panne » , explique-t-on chez SFR. Les
opérateurs o nt aussi a rrêté toutes les
réunions publiques et mis le holà sur
le démarchage téléphonique, qui
sont deux vecteurs très importants
d’abonnements à la fibre. « Les gens
ont d’autres priorités et, par ailleurs,
les boutiques des opérateurs sont fer-
mées , ajoute Gianbeppi Fortis, PDG
de l’installateur Solutions 30, qui
réalise d’ordinaire 35.000 raccorde-

ments par jour en France pour le
compte des grands opérateurs. Mais
nous nous attendons à un pic d’acti-
vité après la crise car les particuliers
ont compris l’importance vitale des
réseaux télécoms. »
Gérer l’« après », c’est la préoccu-
pation de tous les industriels de la
fibre. Ils sont convaincus que les
autorités publiques, qui se mon-
traient jusqu’alors réticentes à
remettre quelques centaines de
millions d’euros pour apporter la
fibre à l’intégralité des foyers fran-
çais, seront mieux d isposées après la
crise. Mais dans quel état sera alors
l’outil industriel? « Il nous faudra
certainement plusieurs trimestres
pour retrouver le rythme de fin
2019 , explique Etienne Dugas.
Aujourd’hui, le plus important, c’est
de garder la machine en mouvement,
même au ralenti. Il fait grand beau et
il n’y a personne dans les rues. Ce sont
des conditions idéales en un sens. » n

lUn foyer français sur deux


est aujourd’hui éligible à la fibre.


lMais les déploiements de nouvelles


lignes et les raccordements d’abonnés


sont quasiment à l’arrêt depuis


le début de la crise du Covid-19,


suscitant l’inquiétude des industriels.


Le coup d’arrêt de la fibre optique,

plus grand chantier de France

Sébastien Dumoulin
@sebastiendmln
et
Raphaël Balenieri
@RBalenieri


Un, deux, trois... soleil. Comme le
reste de la France, son plus grand
chantier d’infrastructure, le plan
Très Haut Débit, s’est soudainement
figé avec l’épidémie de Covid-19. En
fin d’année dernière les opérateurs
poursuivaient le maillage du terri-
toire en fibre optique, à raison de
18.000 entreprises et ménages par
jour, soit l’équivalent d’une ville
comme Metz c haque semaine. Mais
le coup de frein imposé par le virus
est brutal. « C’est de plus en plus diffi-
cile de travailler
, explique Etienne
Dugas, le président d’InfraNum, la
fédération des industriels du sec-
teur. Le chantier ralentit très très
fort. Le risque aujourd’hui est qu’il
n’y ait aucune nouvelle prise installée
au deuxième trimestre. »
Il est
encore trop tôt pour évaluer le
retard par rapport aux objectifs.
Mais apporter la fibre à 30 millions
de foyers d’ici à 2022, contre 18 mil-
lions à date, sera un sacré défi.


Contrôles de police
En quelques jours, les restrictions
d’activité liées à la crise sanitaire se
sont répercutées sur toute la chaîne
de sous-traitants qui effectue les
relevés topographiques, creuse les
tranchées, pose et soude les fils de
verre dans les rues jusqu’aux domi-
ciles et locaux p rofessionnels. « Il y a
beaucoup de défections
, pointe un
industriel. Le déploiement de la fibre
optique repose sur une multitude de
TPE, qui n’ont qu’une à deux semai-
nes de trésorerie. Elles ont intérêt à
tout fermer. Même si les chantiers
publics ne sont pas officiellement
arrêtés, c’est compliqué de continuer.
Les magasins de matériel sont fer-
més, par exemple. »

Les blocages sur le terrain sont
multiples. Certaines collectivités


TÉLÉCOMS


iStock

interdisent les déploiements de
fibre. Souvent, les techniciens sont
renvoyés chez eux par la police. En
zone rurale, où la fibre emprunte la
voie aérienne, l’accès aux poteaux
électriques est impossible, car
Enedis se c oncentre s ur son cœur de
métier. « Nos salariés sont aussi
inquiets, légitimement. Nous ne som-
mes pas en mesure de fournir des
masques pour l’instant. Et on ne peut
pas maintenir 1 mètre de distance à
plusieurs dans une fourgonnette » ,
reconnaît Etienne Dugas.
Enfin, du côté des opérateurs, la
priorité est ailleurs. « Le premier
objectif aujourd’hui, c’est d’assurer la
qualité des services à travers la main-
tenance et la supervision de nos
réseaux pour éviter la surchauffe ,
explique-t-on chez SFR. Les déploie-
ments fibre s e poursuivent mais d ans
la mesure du possible compte tenu de
la situation. » Chez un autre opéra-
teur, le constat est encore plus dras-
tique : « Même nos techniciens de
maintenance ne font plus de préven-
tif. Les visites d’entretien sont termi-
nées. On ne fait que du dépannage. »
Seule bonne nouvelle, avec l’arrêt
des autres chantiers de travaux
publics, les ruptures de câbles par
des pelleteuses se font beaucoup
plus rares qu’à l’accoutumée.
Du côté des clients, les demandes
sont en fort recul. A peine un tiers
des Français éligibles à la fibre sont
abonnés. Mais même confinés et
obligés de se reposer sur un ADSL
de moindre qualité pour le télétra-
vail, les loisirs ou l’école à domicile,
les particuliers rechignent à ouvrir

« Le risque est
qu’il n’y ait aucune
nouvelle prise
installée
au deuxième
trimestre. »
ÉTIENNE DUGAS
Président
d’InfraNum

HIGH-TECH & MEDIAS


Mercredi 25 mars 2020 Les Echos

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