Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

Eric Benhamou
[email protected]


Le s « Factors » sont en première
ligne pour le maintien à flots des
entreprises. L’affacturage, cette
technique qui consiste à racheter à
J+ 1 les factures à 60 jours émises par
les entreprises à leurs clients, est
devenue, en dix ans, la première
source de financement à court
terme des entreprises, devant le
découvert bancaire. En croissance
de 10 % par an, l’affacturage a pris en
charge un volume de créances de
350 milliards d’euros en 2019. Mais


la crise du coronavirus risque de
gripper cette belle mécanique.
Face à ce double choc d’offre et
demande, la profession – qui inclut
des filiales de grands groupes
comme BNP Paribas Factor, BPCE
Factor, CA Eurofactor ou l’indépen-
dant Factofrance – fait face à deux
enjeux. Tout d’abord, assurer le
recouvrement des créances. Si les
impayés augmentent, alors les Fac-
tors auront moins la capacité à
financer leurs clients dans le futur.
Ensuite, maintenir les lignes de
garantie des assureurs crédit. « La
norme est de financer en fonction de
la garantie apportée par l’assureur
crédit » , rappelle un professionnel.
En clair, si la garantie d’assurance
crédit se réduit, le financement par
affacturage se réduit d’autant. C’est
pourquoi il est « si important de
demander aux assureurs crédit de
maintenir leurs lignes de couverture
dans les prochains mois » , prévient

Patrick de Villepin, président de la
commission affacturage de l’Asso-
ciation française des sociétés finan-
cières (ASF), qui s’est réunie ven-
dredi dernier.

Baisse d’activité à prévoir
Po ur le premier enjeu, les Factors
demandent à bénéficier du fonds de
garantie de 300 milliards d’euros
mis en place par l’Etat. « Intégrer les
Factors dans un dispositif de garantie
adapté permettrait de compléter les
solutions de soutien mises en
place par l’Etat au profit des entrepri-
ses » , souligne Patrick de Villepin.
Sur le second enjeu, l ’Etat a décidé
de soutenir les assureurs crédit avec
une garantie publique de 10 mil-
liards d’euros p our é viter des coupu-
res de garantie. Ce dispositif avait
déjà été mis en place pendant la
crise de 2008, mais il ne concernait
pas les polices e ntre l es Factors et l es
assureurs crédit. « Si les conditions

d’éligibilité devaient faire l’objet de
négociations, il serait souhaitable que
les Factors soient invités à la table des
discussions afin d’être inclus dans la
liste des bénéficiaires » , souligne
Patrick de Villepin, au nom de la
profession.
Pour l’heure, la crise du coronavi-
rus n’a eu que peu d’impact sur l’acti-
vité. De fait, l’affacturage « inversé »,
qui permet à un fournisseur d’être
payé avant l’échéance de sa facture,
est peu développé en France (6 %
des encours contre 50 % en Espa-
gne), ce qui a limité les e ffets du choc
de l’offre. De plus, de nombreux
clients, notamment les grandes
entreprises, ont remis l eurs factures
par anticipation avant le confine-
ment. « Mais une baisse d’activité
s’annonce pour avril et surtout mai,
quand les entreprises n’auront plus
de factures à nous céder. Ce sera alors
aux banques de prendre le relais » ,
estime Patrick de Villepin.n

Les « Factors » souhaitent bénéficier


des garanties d’Etat


Premier contributeur
des financements à court
terme des entreprises,
le secteur de l’affacturage
se prépare à une augmenta-
tion des impayés et
à une baisse des garanties
des assureurs crédit.


Des dizaines de milliers d’entreprises sont confrontées à la chute brutale de leurs revenus et au risque d’impayés, au fur et à mesure
de la propagation de l’épidémie de coronavirus. Phot o Alain Jocard/AFP

Laurence Boisseau
@boisseaul

Les distributions de dividende ris-
quent d’être fortement perturbées
par le coronavirus. Le ministre de
l’Economie, Bruno Le Maire, a
appelé mardi matin toutes les
entreprises à faire preuve de la
plus grande modération sur le ver-
sement des dividendes. « C’est un
moment où tout l’argent doit être
employé pour faire tourner les
entreprises ». Plus tôt dans le mois,
le ministre avait déjà mis en garde
les entreprises du secteur finan-
cier, tandis que la Banque centrale
européenne appelait les banques
à une « attitude responsable » sur
le sujet. Idem pour le régulateur
européen des assurances.
Certaines entreprises ont déjà
revu leur p olitique de distribution.
Lundi, Airbus, qui se prépare à
une longue crise, a annoncé qu’il
renonçait au versement du
1,5 milliard d’e uros promis à ses
actionnaires. Mardi, c’était Uni-
bail-Rodamco-Westfield qui indi-
quait réduire son dividende de
moitié. En Europe, Lufthansa,
Inditex (propriétaire de Zara),
H&M, les hôtels InterContinental,
ou encore Electrolux ont déjà fait
savoir qu’ils ne verseraient pas de
dividende cette année. La banque
espagnole Santander a, elle,
décidé de le décaler. Aux Etats-
Unis, Ford et Boeing n’en verse-
ront pas. Mardi soir, les organisa-
tions syndicales d’Engie sont
montées au créneau. Dans une let-
tre adressée à Bruno Le Maire,
elles ont demandé la suppression
du dividende prévu pour 2019.

L’Etat détient 24 % de l’énergéti-
cien. Le sujet divise les entreprises
et certaines préfèrent suspendre
les rachats d’actions, comme
Total, qui a par ailleurs maintenu
son dividende. Société Générale a
également décidé de le maintenir.
« D’ici à l’assemblée générale où les
actionnaires doivent approuver le
dividende, la situation peut évoluer
et les sociétés changer d’avis », croit
savoir un gérant.

Ils promettaient
d’être élevés
« Plusieurs raisons expliquent
l’arrêt des dividendes. Certaines
entreprises n’ont pas les moyens de
payer. D’autres font preuve de pru-
dence. Et une troisième catégorie va
bénéficier des aides d’Etat. Lequel
leur demande en contrepartie de
restaurer leurs bilans avant tout »,
explique Florian Allain, gérant
d’un fonds rendement, Manda-
rine Equity Income, chez Manda-
rine Gestion. Cette année, les divi-
dendes promettaient d’être élevés,
car l’exercice 2019 avait été solide.
Les plus grandes entreprises fran-
çaises cotées à la Bourse de Paris
ont cumulé près de 80 milliards
d’euros de bénéfices, un peu
moins que l’année précédente
(88,37 milliards). Au titre de 2018,
les groupes du CAC 40 avaient
versé 49,2 milliards sous forme de
dividende, un record, selon la Let-
tre Vernimmen.net. Certains pro-
fessionnels prennent comme réfé-
rence la période qui avait suivi la
chute de Lehman Brothers. « En
2008-2009, les entreprises ont
coupé de 30 % leurs dividendes
pour des bénéfices e n repli de 41 %. Il
est probable que l’ampleur des cou-
pes soit identique », ajoute Florian
Allain. Le cabinet d’analyse finan-
cière AlphaValue estime qu’une
réduction de 25 % des dividendes
en France se traduirait par 17 mil-
liards d’euros en moins pour les
actionnaires. Au niveau euro-
péen, ce serait 90 milliards.n

Plusieurs entreprises
ont déjà revu leur politique
de dividende à la baisse, du
fait de la crise liée à la
pandémie. Bruno Le Maire
a exhorté mardi les
entreprises cotées à faire
preuve de modération.

Les versements de


dividende sous pression


vont devoir retourner voir leur ban-
quier pour dire s’ils veulent rem-
bourser tout de suite, ou dans 1, 2, 3,
4 ou 5 ans. « Ce sera le moment d’éta-
blir un avenant en fonction de
l’option choisie , explique Thierry
Laborde. Nous verrons dans un an le
coût de cette ressource ». Le disposi-
tif prévoit que la prime de garantie
évolue selon la durée de prêt choi-
sie. A cinq ans, elle p asse ainsi à 1 % à
2 % par an selon la taille de l’entre-
prise. Pour bpifrance, les entrepri-
ses devraient largement rembour-
ser leur emprunt sans utiliser la
garantie. C’est en tout cas son retour
d’expérience de la période 2008-


  1. « A la fin, tout le monde avait
    été surpris par la faible sinistralité »
    ,
    a indiqué Nicolas Dufourq, son
    directeur général.
    - LES BANQUES
    SONT-ELLES PRÊTES?

    La mobilisation est f orte, ne
    serait-ce que parce qu’en jouant le
    jeu, les banques espèrent sauver


leur fonds de commerce. « Nous
avons toute confiance dans les ban-
ques pour déployer le dispositif de
manière rapide et massive », a souli-
gné Sébastien Raspiller, chef du ser-
vice du Financement de l’économie
au Trésor.
Chez BNP Paribas, plus de 4.000
personnes ont été formées en
48 heures à ce nouveau produit et
s’apprêtent à activer ce « pont
aérien de cash ». « Nos 35.000 com-
merciaux sont fortement mobilisés
pour répondre aux entreprises fragi-
lisées par la crise. Toutes les procédu-
res d’examen seront accélérées »,
explique aux « Echos » Christine
Fabresse, directrice de la Banque de
détail chez BPCE.
Au-delà d es engagements,
répondre à la demande sera aussi
une épreuve pratique, pour des
équipes parfois en moindre nom-
bre, ou en télétravail. L’espoir des
prêteurs : que les entreprises ne se
présentent pas toutes en même
temps à leurs guichets.n

Anne Drif,
Romain Gueugneau,
Edouard Lederer,
Thibaut Madelin


Neuf jours après son annonce par le
président de la République, l’Etat et
les banques ouvrent ce mercredi le
robinet géant de 300 milliards de
prêts garantis. Un bazooka à la hau-
teur de l’enjeu, alors que des dizai-
nes de milliers d’entreprises sont
confrontées à la chute brutale de
leurs revenus et au risque
d’impayés, au fur et à mesure de la
propagation de l’épidémie de coro-
navirus.
« Le lancement du p rêt garanti p ar
l’Etat permettra à toutes les entrepri-
ses françaises de faire face à leurs
besoins en trésorerie d ans les c ircons-
tances d ifficiles des prochains mois
, a
déclaré le ministre de l’Economie et
des Finances, Bruno Le Maire.
L’Etat met en œuvre un instrument
massif et inédit pour protéger les
entreprises françaises du ralentisse-
ment d’activité
. »
Le principe est simple : jusqu’au
31 décembre, les entreprises de
toute taille pourront demander à
leur banque un prêt représentant
au maximum le quart de leur chif-
fre d’affaires réalisé en France en



  1. Sous réserve de l’accord de la
    banque, qui instruira le dossier, et
    de b pifrance, q ui apposera son tam-
    pon, ce prêt sera garanti à hauteur
    de 70 à 90 % par l’Etat, selon la taille
    de l’entreprise.
    - QUI Y AURA DROIT?
    To utes les entreprises, de la start-up
    au grand groupe, en passant par les
    PME, des sociétés privées aux
    entreprises publiques, en passant
    par celles contrôlées par des fonds
    de capital-investissement ou des
    fondations. Pour les s ociétés de plus
    de 1,5 milliard d’euros de chiffre
    d’affaires et de 5.000 salariés, la
    garantie sera accordée directement
    par le ministre de l’Economie.


Une façon notamment de con-
trôler le comportement de certains,
soupçonnés de ne pas payer dans
les temps depuis l’éclatement de la
crise p our préserver leur trésorerie.
« Les grandes entreprises qui ne res-
pecteront pas les délais de paiement
ne bénéficieront pas de la garantie de
l’Etat sur les prêts bancaires », a
averti Bruno Le Maire.
Pour le reste, c’est l’efficacité qui
prime. « Je peux vous le garantir, il
n’y aura pas de rationnement », a
assuré Frédéric Oudéa, président
de la Fédération des banques fran-
çaises (FBF) et directeur général de
Société Générale. « Il n’y aura pas de
rationnement, mais on va d’abord
traiter les situations d’urgence, à
savoir les entreprises à court d e tréso-
rerie », précise aux « Echos »
Thierry Laborde, directeur général
adjoint de BNP Paribas.
Selon les textes européens qui
encadrent les garanties publiques,
les entreprises en difficulté ne
devraient pas y avoir droit. Dans ce
cas, les sociétés qui étaient en cessa-
tion de paiement ou faisaient l’objet
d’une procédure collective au
31 décembre ne seront pas éligibles,
a indiqué le Trésor. Mais celles qui
respectent un programme de
redressement pourront l’être.

- QUELLES SERONT
LES CONDITIONS?

« Le coût du prêt sera constitué du
coût de financement propre à chaque
banque (taux d’intérêt), sans marge,
auquel s’ajoutera le coût de la garan-
tie de l’Etat
», précise Bercy. Concrè-
tement, la première année, le Prêt
garanti par l’Etat (ou PGE) est fac-
turé de 0,25 % par an pour les entre-
prises de moins de 50 millions
d’euros de chiffres d’affaires et de
0,50 % au-delà.
Aux conditions de marché
actuelles, ce taux couvre à la fois le
prêt et la garantie, et permet de
rémunérer à la fois l’Etat (pour la
garantie) et la banque (pour le prêt).
Mais attention, dans un an, les
emprunteurs – qui ne doivent rien
rembourser la première année –


lLes banques peuvent proposer, dès


ce mercredi, aux entreprises frappées


par l’épidémie des prêts garantis pour


un montant total de 300 milliards.


lUn dispositif de crise qui va mettre


le secteur sous tension.


lMot d’ordre : pas de rationnement.


L’ Etat et les banques lancent

le « pont aérien de cash »

CRÉDIT


FINANCE & MARCHES


Mercredi 25 mars 2020 Les Echos

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