Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

28 // FINANCE & MARCHES Mercredi 25 mars 2020 Les Echos


dit, la prochaine chute pourrait être
dans quelques jours plutôt que dans
quelques semaines ». En attendant,
l’heure est à la détente sur les mar-
chés mondiaux. Le dollar s’inscrit
en baisse. Il s’était rapidement
apprécié ces derniers jours, les
investisseurs se ruant sur le cash
face à l’incertitude causée par la
pandémie. L’euro gagne environ 1 %
face au billet vert, tandis que la livre
sterling grimpe de 1,7 %.

Espoir au Sénat,
vaste plan de la Fed
En France, les grands groupes fran-
çais saluent les nouvelles annonces
de soutien du gouvernement. Le
CAC 40 est notamment porté par les
très bonnes performances du
groupe Safran (+20,9 %), de STMi-
croelectronics (+13,9 %) et même de
Total (+15 %). La tendance haussière
n’a pas été inversée par la publica-
tion des chiffres européens de l’acti-
vité du s ecteur privé (PMI), pourtant
en c hute libre. En France, l’indice est
au plus bas depuis les débuts de sa
publication, en 1998, à 30,2 points,
contre plus de 50 pour le mois de
février. Les espoirs de relance bud-
gétaire s’ajoutent aux plans de sou-
tien massifs des banques centrales.
Le Sénat américain pourrait adop-
ter dès ce mardi un plan de soutien à
l’économie a méricaine de
2.000 milliards de dollars, c’e st-à-
dire bien plus que les 800 milliards
dépensés pour combattre la crise de


  1. Lundi, la Fed a, de son côté,
    garanti au système financier qu’il ne
    se trouverait pas à court de liquidi-
    tés. En agissant sur trois canaux
    financiers fondamentaux : le finan-
    cement de l’Etat, le financement des
    entreprises via le marché du crédit
    et, enfin, le financement bancaire.


(


Lire « Crible »
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Service marchés


Les séances se suivent et ne se res-
semblent pas. Après a voir clôturé en
baisse de quelque 3 % lundi, les pla-
ces financières du Vieux Continent
ont enregistré l’une de leurs
meilleures séances de la décennie
écoulée. Portés par les annonces de
la Fed qui font p asser a u second plan
les mauvais chiffres de l’activité du
secteur privé européen, les princi-
paux indices e uropéens ont e nregis-
tré de fortes hausses. Le CAC 40
parisien a gagné 8,39 %, tandis que
le Dax, à Francfort, a progressé de
10,98 % et que le FTSE à Londres a
pris 9,05 %.
Wall Street a démarré en trombe,
avec des hausses supérieures à 5 %
sur l’ensemble des principaux indi-
ces boursiers. A la clôture euro-
péenne, le Dow Jones gagnait plus
de 9,6 %, en route pour sa plus forte
hausse depuis 2008, alors que le S &
P 500 montait de plus de 8,6 % et le
Nasdaq de 7,5 %.
Pour autant, ce rebond pourrait
bien se révéler n’être qu’une brève
accalmie. « Le yo-yo des marchés a de
bonnes chances de se poursuivre
encore dans les prochains jours »
,
estime Tangi Le Liboux, stratégiste
chez Aurel BGC. Les vétérans de la
crise des « subprimes » se souvien-
nent que le programme de relance
et les actions massives de la Réserve
fédérale en octobre 2008 n’avaient
pas empêché les marchés actions d e
continuer à chuter pendant plu-
sieurs mois. Plusieurs séances de
fortes hausses avaient émaillé cette
descente aux enfers, jusqu’au point
bas de mars 2009. « 2020 suit le
même schéma que 2008, mais deux à
trois fois plus vite »
, explique Nicho-
las Colas de DataTrek. « Autrement


BOURSE


« L’actuelle
préférence
pour la liquidité
et le dollar
fait de l’ombre
au statut
de valeur refuge
dont jouit l’or. »
CARSTEN FRITSCH
Analyste chez
Commerzbank

tent avec des décotes qui peuvent
atteindre 8 %. En cause : l’évapora-
tion de la liquidité. Le marché est lit-
téralement gelé et les opérateurs
n’ont plus aucune visibilité sur la
valorisation des obligations sous-
jacentes. Bon nombre de profes-
sionnels des marchés d éplorent q ue
l’arsenal r églementaire mis en place
à suite de la dernière crise financière
aggrave la situation. Les banques
sont désormais soumises à de lour-
des exigences en capitaux propres
lorsqu’elles achètent des obliga-
tions, particulièrement celles à haut
rendement, plus risquées. Alors que
le marché a fortement grossi ces
dernières années, il y a moins
d’acheteurs en période de stress.
Aujourd’hui, « il est possible de
vendre, mais la prime de liquidité est
très élevée, idéalement il vaut mieux
ne pas traiter » , témoigne Roman
Gaiser, gérant sur le haut rende-
ment européen chez Columbia
Threadneedle. Les vendeurs sont
bien plus nombreux que les ache-
teurs, et il peut être difficile d’obtenir
un prix pour certains titres. Cette
crispation du marché a déjà
entraîné la suspension – souvent
temporaire – de plus d’une dizaine
de fonds au Danemark, en Suède et
en Norvège, ceux-ci invoquant des

plus circonscrit, sur une semaine
seulement. Il en était ressorti que
40 % des fonds à haut rendement
européen étaient vulnérables. Une
poursuite des tendances actuelles
de décollecte risque donc de mettre
de nombreux fonds en difficulté.
Alors certes, « il n’y a pas de “mur
de maturité” à venir et les entreprises
n’ont pas forcément besoin d’avoir
accès au marché primaire immédia-
tement » , comme le souligne Erwan
Guilloux. D’ailleurs, aucune entre-
prise ne s’est risquée à tester le mar-
ché depuis la fin février.
Mais la crise actuelle est sans pré-
cédent, avec la mise à l’arrêt de pans
entiers de l’économie, et notam-
ment de secteurs habituellement
très stables, comme la restauration.
Les mesures des banques centrales
portent sur les obligations des
entreprises les plus solides financiè-
rement. Leur effet sur le marché du
haut rendement sera seulement
indirect. Les interventions gouver-
nementales prendront du temps à
être mises en place, ce qui pourrait
entraîner des défauts en cascade. A
court terme, le comportement des
investisseurs sera déterminant : si
les sorties perdurent au rythme
actuel, le scénario noir se révélera
finalement optimiste.n

Bastien Bouchaud
@BastienBouchaud


Le marché des obligations à haut
rendement se détériore à une
vitesse sans précédent. En un mois,
le taux d’intérêt demandé aux entre-
prises à la structure financière la
plus fragile est passé de 5 % à près de
11 % en moyenne aux Etats-Unis. De
quoi mettre sérieusement en péril la
capacité de refinancement de ces
sociétés. Si ces niveaux restent infé-
rieurs à ceux atteints lors de la crise
de 2008, la rapidité de la correction a
choqué l’ensemble du marché.
La dynamique est la même en
Europe, avec un taux moyen qui
atteint désormais près de 9 %. Les
fonds indiciels cotés (ETF) affichent
des baisses de près de 20 % et se trai-


Le marché de la dette risquée capitule


Alors que les coûts de
financement des entrepri-
ses explosent, les fonds
investis dans la dette à haut
rendement font face
à des sorties massives
qui assèchent la liquidité
sur le marché. Les sorties
risquent bientôt de
surpasser le scénario
catastrophe des récents
« stress tests » de l’Esma.


Spectaculaire rebond des places

financières mondiales

l Les Bourses européennes ont


rebondi vigoureusement avec des


gains de plus de 8 % mardi, portées


par l’intervention massive de la Fed.


lMais le répit pourrait se révéler


de courte durée, préviennent


les professionnels des marchés.


poraire comparable à l’automne
2008 , quand l’or a été sous pres-
sion plusieurs semaines avant
de grimper substantiellement
et d’atteindre, trois ans plus tard,
un record historique toujours en
vigueur ».

Niveaux extrêmes
de spéculation à la hausse
Es t-ce à dire que les ventes mas-
sives d’or sont terminées? Loin
de là, met en garde Georgette
Boele, stratégiste chez ABN
AMRO. En raison du ralentisse-
ment de l’économie mondiale,
l’experte a nticipe u ne plus f aible
demande en Chine et en Inde
pour la bijouterie. Par ailleurs,
le billet vert devrait prendre
encore 5 % dans les prochaines
semaines, selon les analystes de
la banque néerlandaise, ce qui
va mettre le lingot sous pres-
sion. D’autant plus que, ces der-
niers temps, le dollar grimpe
quand la volatilité s’emballe sur
les marchés, « une combinaison
défavorable » pour le métal.
Georgette Boele s’inquiète
surtout des positions spéculati-
ves à la hausse qui sont « encore
à des niveaux extrêmes », lais-
sant un potentiel de liquidation
important. De plus, les déten-
tions d’or dans les ETF sont
comparables à 2013. A cette épo-
que, quand les investisseurs ont
liquidé pour 23 millions d’onces
dans des ETF or, les cours sont
passés de 1.660 d ollars à
1.200 dollars. « Un mouvement
similaire ne peut pas être exclu »,
prévient-elle. A court terme, les
analystes révisent à la baisse
leurs prévisions de prix. Chez
ABN AMRO, on estime que
l’once devrait t oucher les
1.300 dollars en septembre et
commencer à remonter en fin
d’année, et atteindre 1.600 dol-
lars fin 2021. A plus long terme,
l’optimisme est de mise : Gold-
man Sachs table sur une once
à 1.800 dollars d’ici à un an. En
raison des fortes baisses de taux
de la Fed, les données histo-
riques suggèrent une once à
1.900 dollars, calcule Benjamin
Louvet. Chez Schroders, le
gérant matières premières
James Luke serait surpris de ne
pas voir l ’or crever le p lafond des
2.000 dollars dans les prochai-
nes années. Les mesures prises
par les Etats pour soutenir leurs
économies, vont déboucher
sur un endettement massif,
qui selon le gérant rendra toute
normalisation des politiques
monétaires impossible : « cela
va entraîner les taux réels pro-
fondément en territoire négatif
et focaliser l’attention sur le ris-
que souverain. Deux facteurs très
favorables à l’or ».n

Etienne Goetz
@etiennegoetz

Av ec la crise du coronavirus,
les particuliers se ruent vers l’or.
« Les achats d’or sont multipliés
par quatre ou cinq. Nous avons
autant d’inscriptions en deux
jours que sur un mois en temps
normal », détaille Jean-François
Faure, fondateur d’AuCOF-
FRE.com. En s’appuyant sur
des fournisseurs industriels,
l’acteur français peut répondre
à la demande, mais outre-Man-
che le site BullionByPost, lui
aussi submergé de demandes,
a dû suspendre ses envois.
« C’est un peu comme le papier
toilette », raconte au « Financial
Times » le fondateur Rob Halli-
day-Stein.
Malgré cette f rénésie d’achats
sur Internet, l’or, pourtant tradi-
tionnelle valeur refuge, n’a pas
la cote sur les marchés finan-
ciers et enchaîne même les
semaines de baisse, chutant de
concert avec les Bourses mon-
diales. Après avoir testé les
1.700 dollars, l’once a dégringolé
jusqu’à passer sous les
1.500 dollars. Dans le sillage des
annonces d’interventions mas-
sives de la Fed, l’or a bondi au-
dessus des 1.600 dollars.

Le roi dollar
D’abord, les investisseurs ont
liquidé leurs positions en or
pour lever du cash rapidement
et répondre à des appels de
marge. Ensuite, l’une des
valeurs refuge du moment reste
le dollar, et le renforcement de
la devise américaine pénalise
le métal puisqu’il r end son achat
moins attractif p our les investis-
seurs étrangers. Enfin, avec le
krach pétrolier, les perspectives
d’inflation se sont évaporées
d’un seul coup, relâchant la
pression sur les taux réels. Il
s’agit du rendement des obliga-
tions prenant en compte la
hausse des prix. Plus ils sont
proches de z éro, v oire e n
territoire négatif, plus ils ren-
dent intéressant l’achat d’or, un
actif qui n’offre ni coupon ni
dividende.
La chute du pétrole a eu un
autre effet indirect. « De nom-
breux investisseurs exposés aux
matières premières, au travers
de grands indices diversifiés sur
matières premières, ont alors
liquidé c es allocations. Les grands
indices étant également exposés
aux métaux précieux, cela a
entraîné une nouvelle vague de
baisse », ajoute Benjamin Lou-
vet, gérant matières premières
chez OFI AM. « L’actuelle préfé-
rence pour la liquidité et le dollar
fait de l’ombre au statut de valeur
refuge dont jouit l’or , résume
Carsten Fritsch chez Commerz-
bank. Cependant, nous ne parta-
geons pas le point de vue de ceux
qui pensent que l’or a déjà perdu
ce statut. Nous voyons dans la fai-
blesse actuelle u ne anomalie t em-

La dégringolade
des marchés actions
entraîne le cours de l’or,
qui subit lui aussi la
crise du coronavirus.
Mais à plus long terme,
l’once est vouée à
remonter et pourrait
même atteindre
de nouveaux records.

Pourquoi l’or


va remonter


« difficultés de valorisation ». « La
semaine dernière, nous avons vu une
forme de capitulation. Des gérants
ayant besoin de maintenir des
niveaux de cash élevés ont dû vendre
des actifs, y compris ceux qui avaient
le moins souffert » , explique par
ailleurs Erwan Guilloux, gérant de
fonds à haut rendement chez
Ostrum, affilié de Natixis IM. En
cause, des sorties massives sur les

fonds concernés, surtout depuis
début mars. En Europe, les seuls
particuliers ont retiré près de 4 %
des encours totaux sur la semaine
au 18 mars, et près de 8 % sur les
trois dernières semaines, d’après les
données EPFR Global.
Ce scénario noir est quasiment
aussi sévère que celui retenu par
l’Autorité européenne des marchés
financiers (Esma) dans ses récents
tests de résistance. Ceux-ci modéli-
saient un choc plus important mais

Une poursuite des
tendances actuelles
de décollecte risque
de mettre
de nombreux fonds
en difficulté.
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