Les Echos - 25.03.2020

(Sean Pound) #1

Les Echos Mercredi 25 mars 2020 EVENEMENT// 03


Retrouv ez Nicolas Barré dans


le journalde7hpour« L’ éditoéco »


dansle 6h-9h de MatthieuBelliard


De l’idée à la vision


de cauchemar


LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE

Cécile
Cornudet

L


a preuve par
l’Ehpad? Le drame
que sont en train de
vivre certains d’entre eux est
en passe de changer notre
rapport au coronavirus.
On le craignait parce que
ravageur mais caché,
insidieux. On le découvre
faiseur de morts, en vrai, se
refermant comme un piège
sur nos vieux les plus
fragiles. Coupés du monde,
proies idéales et
concentrées. « On se protège
au maximum avec les
moyens du bord, mais quand
il entre, c’est le loup dans
la bergerie, on sait que ce sera
le carnage » , rapporte un
directeur d’établissement
pour l’instant épargné.
Pendant longtemps, le virus
est resté au stade d’idée.
D’autres pays le vivaient
(la Chine, l’Italie...),
les médecins avaient la voix
nouée en racontant ce qu’ils
affrontaient à l’hôpital,
et pourtant, il perçait mal le
mur de notre réalité. C’était
loin encore, impalpable, cet
ennemi-là ne produisait pas
d’images. La raison agissait,
bien sûr, alors on rentrait
chez soi et on se confinait.
Mais n’était-ce pas un peu
absurde tout de même?
Cette semaine, autre chose
se produit, l’idée devient
vision, et même vision

d’enfer. La mort prend corps,
pourrait-on dire. Des
médecins morts au front
d’abord. Des familles aussi,
qui racontent l’indicible,
l’interdiction de rendre
visite à leurs proches en
réanimation, et a fortiori
celle de se recueillir auprès
du corps. Des funérariums
et des cimetières sans
places. L’impossible deuil.
En Italie déjà, les images
de cercueils entassés avaient
d’un coup ouvert les yeux
des confinés : fini de chanter,
il faut tenir. Ce moment-là
commence. Préfets et élus
locaux cherchent des
solutions sur le terrain.
Non, la crémation ne sera
pas généralisée, tentent-ils
de faire passer, pour casser
la rumeur. L’exécutif, tant
bien que mal, prépare les
esprits. Des enterrements
restreints à 20 personnes
pourront se tenir, indique
Edouard Philippe.
Emmanuel Macron a réuni
les représentants des
religions lundi. Le temps
du spirituel. De l’écoute.
Le ministère de l’Intérieur
devra mettre en place
« une cellule de soutien
moral, voire spirituel » face à
la maladie. Et d’une certaine
douceur aussi. Si l’opinion
semble prête à des mesures
fortes de durcissement du
confinement, l’exécutif reste
prudent. L’interdiction des
marchés, sauf si le maire
et le préfet en décident
autrement. Certaines
visions sont plus fortes que
des contraintes, parie-t-il.
En Italie ce fut le cas.
[email protected]

Les ravages que fait le coronavirus dans certains
Ehpad, lieux de protection devenus pièges
pour personnes fragiles, choquent.
Espérons qu’ils favoriseront le civisme.

Municipales : des recours en justice
pour l’annulation du premier tour

POLITIQUE Scrutin « insincère » , « mascarade » , « impossibilité
de certains é lecteurs de se rendre aux urnes » : d e Saint-Germain-
au-Mont-d’Or (Rhône) à Conches-sur-Gondoire (Seine-et-
Marne) en passant par Mitry-Mory (Seine-et-Marne), des candi-
dats éliminés dès le premier tour des municipales dans des
petites communes demandent l’annulation du scrutin dont ils
contestent la sincérité, la crise du coronavirus ayant conduit de
nombreux électeurs à déserter les bureaux de vote. Les juristes
anticipaient d’ailleurs de nombreux recours contre ce scrutin
hors normes, dont le second tour a été reporté. Il pourrait se
dérouler « idéalement le 21 juin » , selon le gouvernement.

en bref


Dessins Kim Roselier pour

« Les Echos »

AFP

miers scolaires, en entreprise ou au
chômage technique. Seuls 123 pos-
tes ont été pourvus p our l’instant. De
même, quelque 900 professionnels
de santé se sont inscrits sur la plate-
forme de télésuivi Covidom, créée
par l’AP-HP afin d’éviter des hospita-
lisations et qui suivait mardi plus de
10.000 malades.
Alors que l’AP-HP évoque la
« hausse exponentielle du nombre de
patients Covid » – une centaine de
plus en 24 heures, pour dépasser
900 –, le directeur général de l’ARS
Hauts-de-France note une évolu-
tion p lus modérée. « Les placements
en réanimation évoluent de façon
linéaire, 146 patients samedi,
160 dimanches, puis 179 lundis » ,
énumère Etienne Champion. Néan-
moins, la région qui a abrité l’un des
premiers clusters, dans l’Oise, fait
elle aussi partie de la deuxième
vague. Elle se prépare à des jours
difficiles. « En f in de semaine, o n sera
en très forte tension. Néanmoins,
j’espère que le confinement commen-
cera à produire s es effets à ce moment
et nous permettra de gérer nos capa-
cités » , confie Etienne Champion.
Le vœu que font t outes les A RS, t ous
les hôpitaux, tous les Français.n

Les hôpitaux franciliens au bord


de la rupture


Solveig Godeluck
@Solwii


« Av ant, j’étais pneumologue, expert
en maladies rares infectieuses, et
maintenant je ne fais plus que du
Covid-19. »
Bruno Crestani, chef du
service pneumologie à l’hôpital
Bichat-Claude Bernard, à l’Assis-
tance publique-Hôpitaux de Paris
(AP-HP), a basculé dans un autre
monde depuis que le coronavirus a
envahi les hôpitaux franciliens. Les
180 lits Covid de son établissement
se remplissent à vue d’œil, dans les
services de maladie infectieuse, en
pneumologie, en rhumatologie, en
gériatrie. « Nos 40 lits de réanima-
tion sont pleins, on va en ouvrir
6 autres dans la journée, et encore 6
les deux jours suivants,
indique-t-il.
O n ferme des pans de services entiers
pour récupérer du personnel et
armer les lits permettant d’accueillir
les patients Covid. »

L’hôpital Bichat renvoie égale-
ment de 15 à 20 patients par jour
dans d’autres établissements
publics ou privés de la région, mais
« il n’y a plus de lits nulle part » ,
témoigne le médecin. « On va cher-
cher du personnel partout et former
rapidement des étudiants en méde-
cine à partir de la 4e anné e pour rem-
placer les infirmières manquantes »
,
poursuit-il. Quelque 628 soignants,
dont 40 % de médecins, sont mala-
des à l’AP-HP. Dans les jours qui
viennent, et même si ce ne sera pas
une obligation, « il est possible que
certains aient à continuer de tra-
vailler malgré la maladie »
, a
reconnu François Crémieux, l’un
des dirigeants du groupe.


Le risque d’un fonction-
nement dégradé

Des hôpitaux qui se reconfigurent
quotidiennement pour accueillir
plus de malades contagieux ; des
ouvertures de lits nuit et jour
immédiatement remplis ; une
limite de capacités qui se rappro-
che : à partir de vendredi, si la pro-
gression des admissions ne fléchit
pas, il faudra fonctionner en mode
dégradé, et non plus en médecine
« normale », prévoient plusieurs
sources franciliennes.
La région capitale est en train
d’absorber la deuxième vague de
coronavirus, avec un temps de
décalage sur le Grand Est, qui éva-
cue des malades depuis la semaine
dernière. L’A gence régionale de
santé (ARS) d’Ile-de-France joue la


Les établissements publics
et privés d’Ile-de-France
et des Hauts-de-France
ouvrent des lits
à tour de bras.


dérique Vidal, sur les décisions
médicales et scientifiques à pren-
dre face au Covid-19. « C’est grâce à
la science et à la médecine que nous
vaincrons le virus. J e réunis
aujourd’hui nos meilleurs cher-
cheurs pour progresser sur les dia-
gnostics et les traitements » , a
déclaré Emmanuel Macron via
Twitter avant l’installation de ce
comité.

Deux mandats distincts
et complémentaires
Ce comité, qui devra pouvoir se pro-
noncer en quarante-huit heures,
est plus technique et plus directe-
ment opérationnel que le Conseil
scientifique. Ce dernier rend ses
avis directement au président de la
République et au Premier ministre.
« Ce sont deux mandats distincts et
complémentaires. Le Conseil scienti-
fique propose un éclairage scientifi-
que, public et indépendant qui peut
orienter les politiques publiques,
alors que le Care est un organisme

autorités sur la doctrine en matière
de tests et la capacité à la mettre en
application. Le ministre de la Santé,
Olivier Véran, a en effet annoncé
qu’il souhaitait faire monter en
puissance la capacité nationale de
dépistage en prévision de la sortie
de confinement, mais cela ne sera
pas forcément chose aisée.

Innovations technologiques
Le Care doit aussi se prononcer sur
les innovations technologiques.
Par exemple, pour éclairer le gou-
vernement sur « l’opportunité de la
mise e n place d’une stratégie numéri-
que d’identification des personnes
ayant été au contact de personnes
infectées » , explique-t-on au sein de
l’exécutif. De manière plus géné-
rale, comme il est en contact avec la
communauté des chercheurs, il
doit assurer le suivi des essais clini-
ques et des avancées en termes
de vaccins et de tests, en France et
à l’étranger.
— S. G.

Macron installe un deuxième comité d’experts


Deux semaines après la création du
Conseil scientifique présidé par le
professeur Jean-François Del-
fraissy, le dispositif de lutte contre
le coronavirus s’enrichit d’un nou-
vel organisme. Mardi en fin d ’après-
midi, Emmanuel Macron installe le
Comité analyse recherche exper-
tise (Care). Présidé par la décou-
vreuse du virus du sida, Françoise
Barré-Sinoussi, prix Nobel, virolo-
gue à l’Institut Pasteur-Inserm, il
réunit douze médecins et cher-
cheurs. Ce comité doit conseiller le
ministre de la Santé, Olivier Véran,
et la ministre de la Recherche, Fré-


Le Comité analyse recher-
che et expertise (Care),
installé mardi par le chef
de l’Etat, sera dirigé par
la découvreuse du virus
du sida, Françoise Barré-
Sinoussi. Il se veut plus
opérationnel que le Conseil
scientifique présidé par
Jean-François Delfraissy.


A Mulhouse, face à l’afflux, des transferts de patients vers d’autres régions ont été organisés.
Ici, un malade du coronavirus va être évacué par hélicoptère sanitaire. Photo Patrick Hertzog/AFP

d’expertise rapide, qui rend des avis
d’opportunité sur des questions pré-
cises » , explique-t-on au ministère
de la Santé.
Le Conseil scientifique a par
exemple été consulté avant de déci-
der de maintenir le premier tour
des élections municipales ou de
mettre en œuvre la fermeture des
écoles ou le confinement de la
population. Le Care doit, quant à
lui, accompagner la réflexion des

« Je réunis
aujourd’hui
nos meilleurs
chercheurs pour
progresser sur
les diagnostics et
les traitements. »
EMMANUEL MACRON

tour de contrôle, avec ses 25 « bed
managers » chargés de répartir les
malades dans les 98 établissements
Covid, mais aussi de réorienter les
autres patients vers les 150 hôpi-
taux restants de la région.
« On augmente la capacité des
deux types d’établissements, et on ne
raisonne plus du tout en termes de
public ou de privé » , explique-t-on à
l’ARS Ile-de-France. Le responsable
de l’offre de soins de l’agence est en
conférence téléphonique avec tous
les établissements et le Samu, de
14 heures à 19 heures tous les jours.
Du jamais-vu. L a moitié d es person-
nes hospitalisées vont à l’AP-HP,
20 % dans les autres hôpitaux
publics et 30 % dans le privé.

Priorité absolue : trouver de nou-
veaux lits de réanimation dédiés au
coronavirus. L’Ile-de-France en
compte 1.200 au total, et s’est donné
pour objectif de monter à 2.000.
Lors d’une conférence de presse
téléphonique, mardi, la direction de
l’AP-HP a expliqué qu’elle disposait
actuellement de 546 lits Covid, dont
450 occupés. Elle compte y ajouter
de 360 à 370 lits « entre ce week-end et
le milieu de la semaine prochaine ».
Ces quelques jours de flou dépen-
dent en fait de la capacité à trouver
des personnels paramédicaux.
L’appel aux renforts sanitaires lancé
par l’ARS a fait florès, puisque
4.213 soignants volontaires avaient
répondu mardi – beaucoup d’infir-

Le Conseil scientifique veut un
confinement d’au moins six semaines

Le Conseil scientifique de l’exécutif sur le Covid-19 a estimé,
mardi dans un avis, « indispensable de prolonger le confine-
ment » au-delà des deux semaines initialement prévues.
« Le confinement durera vraisemblablement au moins six
semaines à compter de sa mise en place » le 17 mars, écrit
le Conseil, qui dit également « considérer nécessaire un renfor-
cement du confinement », sans en préciser les modalités.
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