Le Monde - 08.04.2020

(Marcin) #1

16 |coronavirus MERCREDI 8 AVRIL 2020


0123


Dans les bidonvilles du monde entier, l’impossible


stratégie du confinement


Les populations déjà très précaires ont besoin de sortir de chez elles pour nourrir leurs familles


D


es policiers ougandais
qui blessent par balles
deux hommes tentant
d’échapper aux mesures de con­
finement. Ou encore des poli­
ciers indiens qui frappent avec
leurs matraques, parfois jusqu’à
la mort, des habitants qui sortent
de chez eux, ou qui les humilient
en public. Dans les bidonvilles du
monde entier, les mesures de
confinement s’accompagnent de
violences et, parfois, d’un dé­
ploiement de l’armée pour les
faire respecter. « Imposer aux ha­
bitants le confinement, cela re­
vient à les laisser mourir de faim »,
souligne W. Gyude Moore, ancien
ministre des travaux publics au
Liberia et chercheur au Center for
Global Development.
Les habitants ont besoin de sor­
tir de chez eux, ne serait­ce que
pour aller chercher de l’eau et
pouvoir se laver les mains. Pour
travailler, ensuite : seule la paie
journalière permet de se nourrir.
Les travailleurs dits « précaires »
ou journaliers représentent entre
50 et 80 % de la population active
dans les pays à bas et moyens re­
venus. Pour eux, ce n’est pas seu­
lement la distanciation sociale
qui permet de survivre, mais
aussi la solidarité de la famille ou
de la communauté. Le tiers de la
population urbaine de la planète,
celle qui vit dans des bidonvilles
surpeuplés, est la plus menacée
par le virus du Covid­19.

« Le logement est devenu la pro­
tection première contre le corona­
virus. Le domicile a rarement
autant été une question de vie ou
de mort », a déclaré le 18 mars Lei­
lani Farha, la rapporteuse spéciale
des Nations unies sur le droit à un
logement convenable. Une situa­
tion d’autant plus préoccupante
que ces campements informels
manquent de centres de soins et
concentrent des populations à la
santé précaire, souffrant de mal­
nutrition ou d’autres épidémies
telles que la tuberculose.
La fermeture des écoles, au­delà
des conséquences sur l’éduca­
tion, menace de malnutrition des
millions d’élèves en les privant de
repas scolaires. « Les risques de
maltraitance et d’exploitation sur
les filles et les garçons sont plus
élevés que jamais » , s’inquiète
l’Unicef. Aux Philippines, le con­
finement a également entraîné la
suspension de campagnes de
vaccinations antipolio.

Dans les camps de réfugiés, une
autre menace se profile : l’arrêt de
l’aide alimentaire ou humani­
taire. Le Conseil norvégien pour
les réfugiés dit avoir perdu le con­
tact avec 300 000 bénéficiaires de
ses programmes au Moyen­
Orient et s’inquiète des restric­
tions de mouvements dues aux
fermetures des frontières, com­
promettant la distribution d’aide,
y compris de savon, d’eau ou de
kits hygiéniques. Sans parler du
coût de transport de l’aide maté­
rielle qui a explosé avec la réduc­
tion du trafic aérien et maritime.

Ignorance des autorités
« Si les travailleurs humanitaires
ne peuvent plus déployer une aide
d’urgence à cause des mesures de
confinement, les approvisionne­
ments vitaux seront interrompus
et les personnes déplacées per­
dront leur unique source de subsis­
tance », a déclaré Jan Egeland, le
secrétaire général du Conseil nor­
végien pour les réfugiés.
Les autorités publiques locales
doivent assurer l’approvisionne­
ment en eau et en nourriture
auprès de ces populations et me­
ner la bataille de l’information.
« Les communautés doivent être
formées et soutenues pour être en
mesure de reconnaître les signes
de la maladie, administrer les
soins à domicile (...) et prévenir la
propagation de la maladie », ex­
plique l’ONU­Habitat.

Les rumeurs doivent être égale­
ment dissipées. « Au Sierra Leone,
l’épidémie Ebola était perçue
comme un complot ourdi par gou­
vernement, et le confinement
comme une mesure d’oppres­
sion », rappelle Joseph M. Macar­
thy, professeur à l’université Njala.
Le gouvernement sud­africain
envisage de déplacer les habi­
tants de bidonvilles pour dimi­
nuer les risques de transmission
du virus. « Des parcelles de terrain
proches des lieux de résidence ont
été identifiées et préemptées pour
des réimplantations » , assure le
ministère sud­africain de l’habi­
tat et de l’assainissement dans un
communiqué publié le 25 mars.
Des mesures qui sont toutefois
difficiles à mettre en œuvre, dans
des villes où les résidents de ces
campements représentent en
moyenne la moitié de la popula­
tion urbaine.
Comment protéger ces bidon­
villes alors que les autorités igno­
rent souvent tout d’eux, du nom­
bre de cliniques ou de soignants


  • pas toujours déclarés – à la taille
    de la population, en passant par
    les points d’alimentation en eau?
    En 2016, des chercheurs de l’uni­
    versité américaine de Virginie
    ont montré que cette méconnais­
    sance conduit les autorités in­
    diennes à sous­estimer le rythme
    de progression et l’ampleur de la
    grippe à Delhi et nuit à l’efficacité
    des campagnes de vaccination.


« Les autorités sanitaires doi­
vent travailler avec les représen­
tants, souvent non officiels, des
habitants de bidonvilles car ils ont
une connaissance fine de la réa­
lité du terrain et leur parole est
respectée » , explique Annie Wilk­
inson, chercheuse à l’Institut
pour les études sur le développe­
ment en Grande­Bretagne. Ces
représentants sont parfois des
hommes d’affaires ou aussi des
chefs de gang.
Au Brésil, ce sont les trafiquants
de drogue, inquiets de la propa­
gation du Covid­19, qui imposent
un couvre­feu dans les favelas.
L’autre solution consiste à carto­
graphier les bidonvilles. En sep­
tembre 2019, les organisations
Code for Africa et Humanitarian
OpenStreetMap ont ainsi com­
mencé à travailler sur le bidon­
ville de Makoko, en périphérie de
Lagos, la capitale du Nigeria, à
l’aide de drones pour identifier la
présence d’infrastructures médi­
cales ou sanitaires.
Le Pakistan a également re­
cours à la technologie pour iden­
tifier, à l’aide des données de géo­
localisation des téléphones por­
tables, les mouvements d’habi­
tants près des foyers d’infection.
Mais en l’absence de système de
santé public robuste, les morts
dus à l’épidémie de coronavirus
échapperont au bilan officiel de
l’épidémie.
julien bouissou

L’Etat organise le sauvetage


du loueur Europcar


Un accord est proche entre les banques et Eurazeo, principal


actionnaire de l’entreprise qui emploie 10 000 personnes


L


e confinement s’avère
une catastrophe pour les
opérateurs de transport.
La location de voitures,
en particulier, est à l’arrêt. Selon
nos informations, le Comité in­
terministériel de restructuration
industrielle (CIRI), la cellule du
Trésor qui organise le soutien des
grandes entreprises en difficulté,
tente d’éviter la sortie de route
d’Europcar Mobility Group. Avec
succès : un accord est proche avec
les banques et Eurazeo, le princi­
pal actionnaire (29,9 % du capital)
du « fournisseur global de solu­
tions de mobilité ».
« Au­delà des mesures de réduc­
tion des coûts d’ores et déjà entre­
prises, le groupe travaille sur sa li­
quidité à venir sur l’ensemble de ses
périmètres et sur l’utilisation des
dispositifs d’aide gouvernemen­
taux qui sont en train d’être mis en
place dans tous les pays » , indique
Europcar au Monde. Le groupe em­
ployait au 31 décembre 2019 près
de 10 000 salariés dans 21 pays. De­
puis le 1er janvier, son cours de
Bourse a perdu 65 % de sa valeur.
« Dès début mars, la chute du
nombre de réservations s’est accé­
lérée, d’abord en Italie, puis dans
tous les autres grands marchés du
groupe en Europe (Allemagne,
France, Espagne, Royaume­Uni),
ainsi que, désormais, aux Etats­
Unis, en Australie et en Nouvelle­
Zélande » , avait détaillé le loueur
dans un communiqué le 23 mars.
Pour contrebalancer l’effondre­
ment de son chiffre d’affaires, la
firme qui gérait une flotte de
334 000 véhicules à la fin 2019 a ré­
duit ses charges. Mais le recours
au chômage partiel ou la renégo­
ciation des loyers auprès des cons­
tructeurs automobiles prennent
du temps à se traduire dans les

chiffres. Comble de malchance, les
restrictions de circulation sont in­
tervenues au moment où le
loueur venait d’élargir son parc de
voitures pour préparer les vacan­
ces de Pâques.
En mars, Caroline Parot, la prési­
dente du directoire, a sollicité les
banques et son actionnaire, Eura­
zeo. Bercy a appuyé ces demandes.
Dans un premier temps, les prê­
teurs ne se sont pas précipités.
Même avec une garantie publique
de 90 %, ils rechignaient à prendre
le risque sur les 10 % restants. Fina­
lement, avec le CIRI à la baguette,
tout le monde devrait mettre du
sien pour soutenir l’entreprise.

Au pied du mur
Selon plusieurs sources, un con­
sortium de banques internationa­
les est sur le point d’accorder une
ligne de liquidités de 223 millions
d’euros, garantie à 90 % par Bpi­
france. « Eurazeo a indiqué qu’il
était prêt à prendre sa part à partir
du moment où toutes les parties
prenantes prenaient la leur »,
ajoute un proche de l’investisseur
français. Le montant et la forme
que pourrait prendre ce finance­
ment ne sont pas clairs, à ce stade.
La société d’investissement,
Eurazeo, dont le directoire est pré­
sidé par Virginie Morgon, n’avait
pas caché ces derniers mois qu’elle
souhaitait se désengager du
loueur, acquis en 2006 et introduit
en Bourse en juin 2015. Selon nos
informations, une offre de rachat
émanant du fonds américain
Apollo avait été écartée en février,
car jugée insuffisante.
Une certitude, la crise due au
nouveau coronavirus va mettre au
pied du mur nombre de sociétés
de capital­investissement, qui dé­
tiennent des participations dans

les secteurs du tourisme, du com­
merce, du transport ou encore des
services aux aéroports. Si, officiel­
lement, ces entreprises sont éligi­
bles au prêt garanti par l’Etat pour
colmater leur trésorerie, dans la
réalité, elles ont du mal à l’obtenir,
notamment parce que leurs con­
trats de dette existante peuvent se
montrer restrictifs.
En fonction de la gravité de la si­
tuation, les fonds pourraient se re­
trouver face à un choix cornélien.
S’ils renflouent les sociétés dont
ils sont propriétaires, ils risquent
de ne jamais revoir cet argent en
cas de difficultés persistantes. S’ils
refusent de les soutenir, certaines
de ces entreprises pourraient faire
faillite. Alors que les fonds se tar­
guent à l’envi de vertus sociétales
(et environnementales), la ma­
nière dont ils résoudront ce di­
lemme constitue un test révéla­
teur de leur sincérité.
Jusqu’ici, tout leur réussissait.
Depuis les premiers LBO des an­
nées 1980, la martingale consis­
tant à faire rembourser par l’entre­
prise acquise la facture de ce ra­
chat, par l’endettement, opère tou­
jours. En France, du verrier Verallia
aux jouets Asmodée, des jeans Ka­

poral aux magasins Courir, du chi­
miste Chryso aux opérateurs tou­
ristiques Karavel, Promovacances
et Fram, des milliers d’entreprises
sont détenues par des fonds.
Dans un environnement de taux
quasi nuls, les Apollo, KKR et
autres Ardian, capables d’offrir des
rendements bien supérieurs à
10 %, sont devenus les chouchous
des fonds de pension ou des ban­
ques privées. En 2019, 595 mil­
liards de dollars (551 milliards
d’euros) ont été alloués au capital­
investissement dans le monde, se­
lon le fournisseur de données Pre­
qin. Stephen Schwarzman, le fon­
dateur de Blackstone, affirme
avoir collecté en 2019 un record de
26 milliards de dollars pour son
véhicule d’investissement Blacks­
tone Capital Partners VIII.
Lors de la crise de 2007­2008,
peu d’entreprises sous LBO
avaient fait faillite, mais beau­
coup, comme Vivarte, Camaïeu ou
Pages jaunes (devenu Solocal),
avaient restructuré leur dette pour
passer le cap. Ce n’est pas un ha­
sard si certains de ces rescapés
sont les premiers à trébucher pour
cause de pandémie. Le chausseur
André vient d’être placé en procé­
dure de redressement judiciaire,
Solocal en conciliation.
Alors que d’autres entreprises
sous LBO ne vont pas manquer de
demander l’aide de l’Etat,
d’aucuns s’interrogent : est­ce le
rôle du contribuable de secourir
des modèles spéculatifs qui ont
enrichi pendant des années fonds
d’investissement et banques? Si la
question des emplois à sauver
reste essentielle, il faudra se sou­
venir des acteurs de la finance qui
ont fait preuve de solidarité du­
rant la crise.
isabelle chaperon

Un consortium
de banques
internationales
serait sur le point
d’accorder
une ligne
de liquidités
de 223 millions
d’euros

Disney+ : un catalogue bien


moins riche qu’aux Etats­Unis


E


ssaimant dans treize pays depuis novembre, la plate­
forme de vidéo à la demande Disney+ arrive en France
mardi 7 avril, avec deux semaines de retard sur le calen­
drier initial. Le groupe aux grandes oreilles s’est plié à l’injonc­
tion des autorités européennes, qui redoutent des risques de sa­
turation des réseaux Internet. Tous les concurrents de Disney+,
Netflix en tête, ont réduit leur débit pour faciliter le travail à dis­
tance et l’éducation en ligne pendant la période de confinement.
The Walt Disney Company (TWDC) veut conquérir l’Hexagone,
un marché déjà très compétitif, grâce à son offre de plus de
500 films (Disney, Pixar, Marvel, Star Wars) et plus de 300 séries
pour 6,99 euros par mois. Ce chiffre de 300 est par ailleurs con­
testé par certains qui estiment que Disney compte une saison
supplémentaire comme une série. De plus, comme le groupe
doit respecter à la lettre la chronologie des médias – l’ordre dans
lequel un film est exploité après sa sortie en salles –, tous les
films accessibles sur Disney+ en France sembleront bien éventés
face à ceux qui sont en ligne aux Etats­Unis. Il faudra ainsi comp­
ter trois ans entre la sortie en salles et son arrivée sur la plate­
forme. Un délai très long. L’offre ne comprendra, par exemple, ni
La Reine des neiges 2 (Jennifer Lee et
Chris Buck, 2019) – disponible outre­
Atlantique sur Disney+ depuis le
15 mars – ni Star Wars : L’Ascension de
Skywalker (J. J. Abrams, 2019).
Les fans de Jedi se replieront sur les
sept premiers épisodes de la saga
Star Wars. Idem pour le catalogue
Marvel, qui proposera Iron Man (Jon
Favreau, 2008) et Doctor Strange
(Scott Derrickson, 2016) puis Les Gar­
diens de la galaxie 2 (James Gunn,
2017), fin avril. Mais Avengers. End­
game (Joe Russo, et Anthony Russo, 2019) , Captain Marvel (Anna
Boden et Ryan Fleck, 2019) ou Black Panther (Ryan Coogler, 2018)
ne seront pas en ligne avant longtemps. Chez Pixar, Le Monde de
Dory (Andrew Stanton, 2016) est le plus récent, et les têtes blon­
des devront encore faire l’impasse sur Cars 3 (Brian Fee, 2017) In­
destructibles 2 ( Brad Bird, 2018) ou Toy Story 4 (Josh Kooley, 2019).
Puisque TWDC s’est forgé une marque de fabrique avec les
« suites » en sortant, de façon métronomique et jusqu’à plus soif,
les aventures des mêmes héros, c’est cette cadence qui date les
longs­métrages et donc les démode. Et pourrait freiner l’élan des
enfants ou des adolescents pour Disney+. La direction reste ce­
pendant optimiste : à peine trois mois après son lancement aux
Etats­Unis, au Canada, aux Pays­Bas, en Nouvelle­Zélande et en
Australie, elle annonçait 28,6 millions d’abonnés payants. Et en
espère toujours 60 à 90 millions dans le monde fin 2024.
La plate­forme reste l’un des rares secteurs de TWDC qui gé­
nère de l’activité durant le confinement. Les douze parcs d’at­
traction et la multitude d’hôtels sont à l’arrêt et le personnel au
chômage. Dans le cinéma, faute de salles, la sortie d’une cascade
de grosses productions a été reportée. Le groupe espère sau­
ver dans l’année Mulan (Niki Caro) , The Eternals (Chloé Zaho) et
Black Widow (Cate Shortland), avec Scarlett Johansson. Mais
déjà certains films, comme Artemis Fowl (Kenneth Branagh),
sont privés de salles et sortiront directement sur Disney+.
nicole vulser

IL FAUDRA COMPTER 


TROIS ANS 


ENTRE LA SORTIE 


EN  SALLE D’UN FILM 


ET SON  ARRIVÉE 


SUR  LA  PLATE­FORME


A É R I E N
Air France-KLM
en appelle aux Etats
Le groupe Air France­KLM
« aura besoin rapidement
d’un soutien financier » , pré­
vient la directrice générale
d’Air France, Anne Rigail,
dans un entretien paru,
mardi 7 avril, dans Le Figaro ,
alors que des discussions
sont en cours avec les Etats
français et néerlandais.
Mme Rigail indique qu’Anne­
Marie Couderc, présidente
d’Air France­KLM, et Ben
Smith, directeur général du
groupe, « échangent avec les
deux Etats actionnaires sur la
forme que pourrait prendre ce
soutien ». – (AFP.)

Airbus suspend
sa production
en Allemagne
et aux Etats-Unis
Airbus a annoncé, lundi
6 avril, l’arrêt temporaire de
ses activités de production et
d’assemblage sur ses sites de
Brême et Stade, en Allema­
gne, et de Mobile, dans le sud
des Etats­Unis, en réponse
au ralentissement général
du secteur aéronautique
provoqué par la pandémie
de Covid­19.

F I N A N C E S
La Fed au chevet
des PME américaines
La Réserve fédérale (Fed, ban­
que centrale américaine) a
annoncé, lundi 6 avril, qu’elle
allait se mobiliser pour parti­
ciper au gigantesque plan de
sauvetage des petites et
moyennes entreprises (PME),
qui a démarré la semaine
dernière. – (AFP.)

La fermeture des
écoles menace
de malnutrition
des millions
d’élèves en les
privant de repas
scolaires
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