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MERCREDI 8 AVRIL 2020 international| 17
sydney correspondance
A
près quatre cent cinq
jours passés derrière
les barreaux dont plu
sieurs mois dans une
prison de haute sécurité austra
lienne, le cardinal George Pell, plus
haut représentant de la curie ro
maine à avoir été jugé pour des
faits de pédophilie, a été libéré,
mardi 7 avril. La Haute Cour d’Aus
tralie, dernière instance judiciaire
du pays, l’a acquitté, dans la mati
née, des cinq chefs d’accusation de
viol et d’abus sexuels sur deux en
fants de chœur de 13 ans dans les
années 1990. L’homme de 78 ans,
ancien trésorier du pape François,
qui a toujours clamé son inno
cence, a remporté l’ultime étape
de cette longue bataille judiciaire.
En mars 2019, le prélat avait été
condamné à six ans d’incarcéra
tion après avoir été reconnu
coupable par un tribunal de pre
mière instance de Melbourne. Le
jury, malgré les doutes qui
avaient marqué la procédure,
avait été convaincu par le témoi
gnage du plaignant.
Selon le récit de cet homme
resté anonyme, livré plus de
vingt ans après les faits, George
Pell aurait abusé de lui après une
messe dominicale, en décem
bre 1996. L’adolescent se trouvait
dans une sacristie où il s’était fau
filé avec l’un de ses copains pour
boire du vin de messe quand celui
qui était alors archevêque de Mel
bourne les aurait surpris. Après
s’être exhibé devant son ami, il lui
aurait imposé une fellation et se
serait masturbé. Deux mois plus
tard, dans un couloir, il l’aurait de
nouveau agressé : le poussant
contre un mur, il lui aurait com
pressé les parties génitales.
Brèche du doute
La seconde victime présumée n’a
pas témoigné, elle est décédée
d’une overdose en 2014 sans
avoir jamais parlé malgré les
questions de ses proches. C’est
après son enterrement que le
plaignant avait finalement dé
cidé de contacter la police.
Lors de la procédure en appel,
qui s’est tenue devant la Cour
suprême de l’Etat de Victoria en
août 2019, deux des trois magis
trats avaient à leur tour été
convaincus par le plaignant, qu’ils
ont décrit comme quelqu’un qui
« n’est clairement pas un menteur,
pas un fantaisiste et qui a été
durant lesquelles l’archevêque
aurait abusé des deux garçons. Se
lon des témoins, après la messe,
George Pell avait pour habitude de
se tenir sur les marches de la ca
thédrale pour saluer les parois
siens, il ne pouvait donc pas se
trouver dans la sacristie. Il n’avait
pas non plus pour coutume de se
déplacer seul. Et l’auraitil fait,
comment auraitil pu agresser
deux enfants, engoncé dans son
lourd habit de messe, sans que
personne ne le remarque alors
qu’à cette heureci l’Eglise ressem
blait à une véritable « ruche »?
La procureure a répondu que
George Pell n’obéissait pas à une
routine immuable, que la victime
avait décrit avec exactitude la
sacristie habituellement interdite
aux enfants, qu’il y avait une
« somme de preuves ». Sans
convaincre. Mardi, les magistrats
de la Haute Cour ont souligné
qu’il « restait une possibilité rai
sonnable que le crime n’ait pas été
commis » et que « les preuves n’ont
pas établi sa culpabilité selon le
niveau de preuve requis ».
« Pas un référendum »
Une immense victoire pour le
prélat qui s’était dit déterminé, au
début de la procédure, à « laver
son honneur », avant de se murer
dans le silence. Il l’a finalement
rompu mardi 7 avril, quelques
heures après la décision judi
ciaire, pour saluer un arrêt qui
avait réparé « une grave injustice ».
« Mon procès n’était pas un réfé
rendum sur l’Eglise catholique ni
un référendum sur la façon dont
les autorités de l’Eglise en Australie
ont traité le crime de pédophilie
dans l’Eglise », atil souligné.
Sur l’îlecontinent, au cours de
ces dernières décennies, des dizai
nes de milliers d’enfants ont été
victimes d’agressions sexuelles
dans les différentes institutions
du pays et en particulier au sein de
l’Eglise catholique, selon une com
mission d’enquête royale qui avait
rendu ses conclusions en décem
bre 2017. La condamnation de l’an
cien bras droit du pape François,
longtemps soupçonné d’avoir
fermé les yeux face aux crimes
d’autres prêtres avant d’être direc
tement accusé, avait donné le sen
timent aux victimes que le temps
de l’impunité était révolu.
« Si la Haute Cour autorise
George Pell à sortir libre de prison,
notre client dit qu’il perdra toute foi
dans notre système judiciaire »,
avait déclaré, le 10 mars, Lisa
Flynn, l’avocate du père de l’enfant
de chœur décédé d’une overdose.
Les associations de défense des
victimes se sont dites « choquées »
et « anéanties » mardi, tandis que
les soutiens du cardinal, démis de
ses fonctions de trésorier du Vati
can au moment de son incarcéra
tion en 2019, saluaient l’inno
cence retrouvée de George Pell.
La bataille devrait se poursuivre
devant d’autres tribunaux. Une
plainte a été déposée au civil, le
7 juin 2019, par un homme qui
accuse le prélat d’avoir couvert un
prêtre dont il savait qu’il abusait
d’enfants dans les années 1980.
Plusieurs autres plaintes pour
raient suivre.
isabelle dellerba
Paris choisit Hubert Védrine pour réfléchir à l’avenir de l’OTAN
L’exministre des affaires étrangères, partisan du dialogue avec Moscou, sera membre d’un comité présidé par des figures très atlantistes
S
i l’OTAN est en « mort céré
brale » , comme l’affirmait
Emmanuel Macron en no
vembre 2019, le président fran
çais ne compte pas sur un renou
vellement des spécialistes à son
chevet. Le secrétaire général de
l’Organisation, Jens Stoltenberg,
a annoncé par communiqué, le
31 mars, la composition d’un
groupe d’experts chargés de
réfléchir à l’orientation future de
l’Alliance. Le principe en avait été
acquis au sommet de Londres,
début décembre. Le groupe
réunit cinq hommes et cinq
femmes. La France sera représen
tée par Hubert Védrine, dont le
nom a été mis en avant par l’Ely
sée dès la fin 2019.
Les questions sont nombreu
ses : quel positionnement par
rapport à la Russie, comment trai
ter la question turque – membre
de l’OTAN aux alliances contradic
toires –, quelles capacités de pro
jection militaire en dehors de
l’Europe, etc.? Agé de 72 ans, Hu
bert Védrine, ancien secrétaire gé
néral de l’Elysée (19911995) sous
François Mitterrand, continue
d’écrire des ouvrages, de façon ré
gulière, sur la politique étrangère
et l’Europe. « L’expérience n’est pas
exclue pour réveiller une organisa
tion, dit un conseiller d’Emma
nuel Macron. Hubert Védrine est
connu pour son indépendance
d’esprit, il a déjà travaillé par le
passé sur l’OTAN et il n’est pas ré
puté atlantiste militant. »
Depuis 2003, Hubert Védrine
est aussi le gérant d’un cabinet
de conseil en stratégie géopoliti
que portant son nom, qui a réa
lisé pour l’année 2018 un chiffre
d’affaires de 1,3 million d’euros.
Le cabinet effectue de l’analyse
pour des groupes privés français,
y expliqueton. Il a aussi des
clients étrangers, des entreprises
sans concurrent français direct,
et il a fait une consultation pour
des pays du golfe de Guinée, il y a
cinq ans, au moment de l’élabo
ration d’une charte sur la
sécurité maritime.
Un geste d’autorité du président
Parmi les diplomates français, ce
choix de l’ancien ministre des af
faires étrangères a été vu comme
un nouveau signe de défiance de
l’exécutif. Les propos d’Emma
nuel Macron à l’été 2019 sur un
« Etat profond » qui résisterait à sa
main tendue à la Russie avaient
réjoui M. Védrine, qui a souvent
fustigé l’inertie supposée de son
ancienne administration. Sa dési
gnation relève autant d’un choix
idéologique que d’un geste
d’autorité du président. Pourtant,
la vieille opposition entre « gaul
lomitterrandiens » et « atlantis
tes » n’a plus guère de pertinence,
dès lors que l’administration
Trump a cessé d’être un allié pré
visible et sûr pour les Européens.
« Védrine est parfois un peu pon
tifiant, mais il ne dit pas des choses
fausses, souligne le député euro
péen Arnaud Danjean (LR), spé
cialiste des questions de défense.
Avec son expérience et sa connais
sance des institutions, il pèsera
dans le comité. Ce qui me gêne,
c’est qu’audelà de ses critiques,
souvent très pertinentes, je l’ai ra
rement entendu faire des proposi
tions concrètes. Il pointe par exem
ple régulièrement les dysfonction
nements de l’Union européenne,
mais sans suggérer d’alternative. »
Sur l’OTAN, les positions de l’an
cien secrétaire général de l’Elysée
ont évolué. Il ne s’est pas opposé à
l’élargissement de l’Alliance, au
début des années 2000. C’est
en 2009, sur décision du prési
dent de l’époque, Nicolas Sarkozy,
que la France a réintégré le com
mandant intégré de l’OTAN,
quitté en 1966. En mars 2009, Hu
bert Védrine exprimait son désac
cord sur Europe 1 avec cette déci
sion, qui représentait selon lui
une concession regrettable aux
« atlantistes ». « On diminue la
possibilité d’avoir une analyse
spécifique, une autonomie de
pensée, une autonomie de déci
sion, une construction originale,
que ce soit sur le plan européen ou
autre », disaitil.
A peine trois ans plus tard,
changement de ton. En novem
bre 2012, à la demande cette fois
de François Hollande, Hubert
Védrine remettait un rapport à
l’Elysée faisant un bilan con
trasté de la décision de Nicolas
Sarkozy, sans envisager un re
tour en arrière. « Une (re) sortie
du commandement intégré n’est
pas une option. Elle ne serait com
prise par personne ni aux Etats
Unis ni en Europe. (...) Cela ruine
rait toute possibilité d’action ou
d’influence. » Selon l’ancien mi
nistre, Paris devait « continuer de
plaider, malgré tout, en faveur
d’une Europe de la défense dans le
cadre de l’Union ».
Cette ligne ne sera pas aisée à dé
fendre dans le comité d’experts. Il
est présidé par l’ancien ministre
de la défense allemand Thomas
de Maizière et par Wess Mitchell,
exsoussecrétaire d’Etat pour les
affaires européennes au sein de
l’administration Trump, qui avait
démissionné en janvier 2019.
L’Américain défend une ligne de
confrontation avec la Chine et la
Russie. Lors d’une conférence au
Atlantic Council, en octobre 2018,
il expliquait que les EtatsUnis de
vaient répondre à une « compéti
tion géopolitique » exacerbée sur
le continent européen. « Bien au
delà de la frontière, dans les pays
d’Europe centrale, la Russie utilise
des tactiques manipulatrices dans
l’énergie, la corruption et la propa
gande pour affaiblir les nations oc
cidentales de l’intérieur et entamer
leurs liens avec les EtatsUnis » , di
sait M. Mitchell.
Sortir de l’impasse avec Moscou
Une autre membre du comité
d’experts se retrouvera dans ces
propos : Anna Fotyga, députée
européenne. Cette figure du parti
Droit et justice (PiS), au pouvoir
dans son pays, ne jure que par
Washington pour la sécurité na
tionale, face à la Russie. Elle a pro
mis d’œuvrer à la consolidation
du lien transatlantique. « Telles
sont les racines de l’OTAN, tels sont
les fondements du monde occiden
Parmi les
diplomates
français, ce choix
a été vu comme
un nouveau
signe de défiance
de l’exécutif
Le cardinal George Pell, à sa sortie de la prison de Barwon, au sudouest de Melbourne, le 7 avril. WILLIAM WEST/AFP
tal, indépendamment des obsta
cles et des processus qui ont lieu
dans certains Etats » , atelle
expliqué à la Radio polonaise
après sa désignation.
« Védrine va se sentir très seul au
comité, craint Thomas Gomart,
directeur de l’Institut français des
relations internationales (IFRI).
Nos projets d’autonomie stratégi
que européenne risquent d’être
inaudibles. La ligne majoritaire
sera celle de l’Allemagne, qui ne
peut concevoir sa défense et sa sé
curité, de façon organique, hors de
l’OTAN. Les Polonais par exemple
sont les derniers auxquels on peut
faire croire que l’Europe de la dé
fense les protégerait. »
Le contraste est fort avec les po
sitions d’Hubert Védrine, en par
ticulier sur la Russie. Lui prône
une sortie de l’impasse avec Mos
cou, au nom d’un réalisme ins
piré par la géographie. Comme si
les Européens étaient responsa
bles des « malentendus » accumu
lés, pour reprendre un mot em
ployé par M. Macron. La « nouvelle
architecture européenne de sécu
rité » avec Moscou, proposée par
le président français à l’été 2019,
se veut aussi une prise en compte
pragmatique, mais très risquée,
du voisinage avec la Russie. Elle
ne peut déplaire à M. Védrine.
piotr smolar
Le cardinal Pell acquitté par la justice australienne
La condamnation de l’exnuméro trois du Vatican pour crimes pédophiles a été annulée pour manque de preuves
Les magistrats
de la Haute Cour
ont souligné
qu’il « restait
une possibilité
raisonnable
que le crime n’ait
pas été commis »
témoin de la vérité ». Le troisième
juge avait quant à lui estimé que le
témoignage de la victime com
portait des « incohérences » et
qu’il existait une « possibilité im
portante » pour que M. Pell n’ait
pas commis de crime.
C’est dans la brèche du doute
que s’est engouffrée la défense de
l’ancien numéro trois du Vatican.
« La véritable question n’est pas :
“Estce que je crois le plaignant ?”,
mais estce qu’“ayant cru le plai
gnant”, il existe un doute raisonna
ble quant à la culpabilité [de
Pell] », a notamment plaidé son
avocat, Bret Walker, devant les
sept juges de la Haute Cour.
Durant les deux journées
d’audience, les 10 et 11 mars, il s’est
focalisé sur ces quelques minutes
Les associations
de défense
des victimes
se sont dites
« choquées »
et « anéanties »
après cette
décision