Le Monde - 08.04.2020

(Marcin) #1
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MERCREDI 8 AVRIL 2020 science & médecine| 23

Hubert Laude, virologue d’avant­garde


Pionnier en matière de travaux sur les coronavirus, ce chercheur s’est reconverti dans l’étude
des prions, faute de crédits et d’intérêt pour le sujet de la part des institutions scientifiques

E


n entrant dans son bureau,
j’ai vu cet homme pas très
grand, très sec, barbe fine,
habillé de façon très simple. Mais le
plus frappant, c’était sa colère. Un
homme en colère » , se souvient
Astrid Vabret, chef du service de
virologie du CHU de Caen. Nous
sommes en 1997 et l’homme en
colère est une sommité mon­
diale, le seul spécialiste en France
des coronavirus, dont le dernier
représentant, SARS­CoV­2, à l’ori­
gine du Covid­19, a envahi le quo­
tidien de la planète tout entière
depuis le début de l’année.
Si Hubert Laude, 48 ans à l’épo­
que, a l’air si mécontent, c’est qu’il
lui a été demandé de dissoudre sa
petite équipe, après vingt ans
d’études de ces fascinants virus.
« Je luttais déjà depuis quelques
années pour maintenir l’activité
avec des postes non renouvelés et
des moyens en baisse » , rappelle ce
vétérinaire qui a rejoint l’Institut
national de la recherche agrono­
mique (INRA) en 1972.
Vingt­trois ans plus tard, cet
homme modeste ne parle pas de
colère face à l’arrêt de ces recher­
ches sur ce sujet revenu à la mode.
« Sur le coup, j’étais amer, car la
virologie c’était ma passion. J’ai
toujours aimé les animaux, que je
connaissais déjà bien par mon
père vétérinaire. Mais, à la sortie
de l’école vétérinaire, j’ai décidé de
faire mon métier de l’étude de ces
petites bêtes que sont les virus. »

« Epoque révolue »
Après de premiers travaux sur le
virus de la peste porcine, il s’inté­
resse, à partir de 1978, à une mala­
die qui fait des ravages dans les
élevages porcins, décimant en
quelques semaines la totalité du
cheptel des porcelets. Cette gastro­
entérite porcine est due à un coro­
navirus, un virus reconnaissable à
ses « projections » en forme de pic
autour de son enveloppe. « On
n’avait que des images en micros­
copie électronique. Rien sur la
structure, les gènes... » , rappelle le
chercheur, qui, en quelques an­
nées, débroussaille le domaine.
Son équipe identifie la protéine
constituant ces projections, ou
spicules, qui servent à se fixer sur
les cellules cibles. Elle repère le
gène qui code pour cette protéine.
« On a mis deux mois pour trouver
environ 8 000 “lettres” sur 30 000,
quand il a fallu quelques jours aux
Chinois pour faire de même sur le
SARS­CoV­2 » , indique­t­il, pour
rappeler les progrès techniques
réalisés en trente ans.
C’est aussi son équipe qui pu­
bliera la séquence génétique
complète du virus... en 1995! Et
qui identifie la protéine des cellu­
les intestinales auxquelles le vi­
rus s’attache pour les infecter.
« Hubert était très rigoureux et
scrupuleux. Il était aussi très sobre
dans les manifestations extérieu­
res. On n’a même pas ouvert de
bouteille de champagne pour nos
bons résultats , se rappelle Ber­
nard Delmas, chercheur à l’INRA,
premier thésard d’Hubert Laude
sur ce sujet. Tous ces résultats ont
été obtenus sans financement spé­
cifique, juste avec l’argent de fonc­
tionnement du laboratoire. Cette
époque est révolue. »
« Les mécanismes d’interaction
entre le virus et sa cible, capitaux,
n’intéressaient pas trop mes res­
ponsables, car jugés trop éloignés
des besoins du terrain » , regrette
Hubert Laude. Malchance supplé­
mentaire, au milieu des an­
nées 1980, débarque du nord de
l’Europe un nouveau coronavirus
porcin qui s’attaque cette fois aux
poumons des animaux mais qui
fait moins de dégâts. Mieux, ce

virus fait baisser l’incidence de la
terrible gastro­entérite. « C’est
comme si la nature avait trouvé un
vaccin que les chercheurs ont mis
des années à ne pas trouver! » ,
constate le spécialiste. Ainsi, pour
l’INRA, l’intérêt de ces études fon­
damentales chute, et une lutte
pour la survie de l’activité de
l’équipe de trois permanents et dix
personnes au total commence,
jusqu’à l’arrêt définitif, en 1997.
« Nous avions prévu de modifier
génétiquement le virus pour mieux
le comprendre. Mais nous n’en
avons pas eu l’opportunité. C’était
frustrant, même si on peut com­
prendre ce genre de décision » , sou­
ligne Jean­François Eléouët, le se­
cond thésard d’Hubert Laude sur
ce sujet. Astrid Vabret confirme ce
déclin de la thématique. « Ça n’in­
téressait personne, en médecine, à
l’époque. Les coronavirus ne don­
naient que des rhumes anodins.
Mais mon patron, François Frey­
muth, était convaincu qu’un jour
un coronavirus sévère pourrait
nous infecter. J’avais quelques dou­
tes, mais je le respectais énormé­
ment. Les vétérinaires, eux, étaient
beaucoup plus avancés. Et c’est
comme ça que j’ai atterri dans le
bureau d’Hubert Laude, à Jouy­en­
Josas [Yvelines]. »
Le spécialiste, pourtant dans
une mauvaise passe, ne rechigne
pas à échanger avec la quasi­dé­
butante. « Il était d’une précision,
d’une rigueur exceptionnelle.
Passionné par son sujet mais
sans excès, chaque mot était
pesé. Passionnant, en fait. Je suis
sortie de cet entretien complète­
ment convaincue. » Avec, en
prime, une souche virale de coro­
navirus bovin, spontanément
proposée par le scientifique, avec
laquelle elle commencera ses
premières expériences.
Les dernières sur le sujet pour
Hubert Laude. Une autre maladie
déboule, mettant un terme à l’acti­
vité. En 1996, on découvre que
l’encéphalopathie spongiforme
bovine, ou maladie de la vache
folle, est transmissible à l’homme.

Branle­bas de combat à l’INRA et
ailleurs. Hubert Laude est mobi­
lisé. Il part de zéro, comme tout le
monde en France, sauf une équipe
du CEA. « Pour se hisser au niveau,
publier dans les grandes revues,
être invité dans les conférences, il
faut du temps. La recherche est
comme un arbre qui pousse lente­
ment. Pendant trois­quatre ans,
nous n’avons rien publié » , raconte
le chercheur.

Aux sommets sur les prions
« Je n’étais pas mécontent qu’il
quitte les coronavirus! , ironise
Peter Rottier, un de ses « concur­
rents » sur ces virus, à l’université
d’Utrecht (Pays­Bas). Il était vrai­
ment un leader mondial, qui tra­
vaillait dur. Ses exposés étaient tou­

jours attendus, car il apportait des
idées originales et surprenantes. »
Avec ses qualités, le nouveau
venu, amateur d’escalade, et tou­
jours actif sur les parois à 71 ans,
relève cependant ce nouveau défi.
Il arrive aux sommets aussi sur les
prions, les agents pathogènes de la
maladie de la vache folle, qui ne
sont ni des microbes ni des virus.
Il développe notamment deux
outils précieux pour étudier cette
maladie, la « culture » de ces
prions dans des milieux cellulai­
res, et des lignées de souris trans­
géniques « humanisées », qui per­
mettent d’inoculer des prions
d’origine humaine pour en voir les
effets. Il contribuera aussi à la
compréhension des mécanismes

de reconnaissance tissulaire des
prions. Désormais, son article le
plus célèbre concerne ces nouvel­
les « bestioles ».
Mais, par deux fois, les coronavi­
rus le rattraperont, ajoutant sans
doute à l’amertume. En 2003, un
nouveau syndrome touche des
humains en Asie, dû à un corona­
virus baptisé « SARS­CoV ». « Un
journaliste m’a appelé pour savoir
s’il y avait un spécialiste de ces nou­
veaux venus à l’Institut Pasteur. J’ai
répondu que non, mais qu’il fallait
s’adresser à Hubert Laude » , se sou­
vient Noël Tordo, virologue de cet
institut, qui souligne le rôle im­
portant de son confrère dans la
revue française Virologie. « Ce vi­
rus a suscité de l’intérêt et de l’émo­
tion bien sûr » , témoigne sobre­
ment Hubert Laude, qui se sou­
vient avoir fait des exposés en
interne à l’INRA pour transmettre
ses connaissances. « On l’a vu
s’animer. On voyait ses yeux briller
en regardant la séquence généti­
que du SRAS » , se souvient Elifsu
Sabuncu, alors en thèse dans le
laboratoire. Le spécialiste a tout
de suite reconnu l’enchaînement
des séquences si particulières de
sa première passion. « Si on
m’avait redonné les moyens de tra­
vailler dessus, j’aurais accepté.
Mais on ne m’a rien proposé! » ,
dit­il aujourd’hui.
Dix­sept ans, plus tard, l’histoire
bégaie. Cette fois, il sourit de voir
qu’à cause de cette nouvelle épidé­
mie ses deux anciens thésards, qui
s’étaient lancés chacun avec suc­
cès dans des voies autonomes
après 1997, ont décidé de repren­
dre le flambeau du coronavirus
avec des idées originales. Et lui, qui
a toujours trouvé inefficace la re­
cherche guidée par les applica­
tions et le court terme, a dû sortir
de sa retraite. Le système qui, en
quelque sorte, l’a contraint à arrê­
ter ses travaux lui demande main­
tenant, en urgence, de donner son
avis sur des projets de recherche à
financer sur... le coronavirus.
david larousserie
avec nathaniel herzberg

ANTOINE DUSAULT

« SI ON M’AVAIT
REDONNÉ
LES MOYENS DE
TRAVAILLER SUR
LE SRAS, J’AURAIS
ACCEPTÉ. MAIS
ON NE M’A RIEN
PROPOSÉ! »

PORTRAIT


C L I M AT
Une forêt humide en Antarctique
il y a 90 millions d’années
Des carottages effectués en Antarctique
ont révélé la présence de forêts humides
dans un rayon de 900 kilomètres autour
du pôle Sud il y a 90 millions d’années.
Une équipe germano­britannique
a analysé les racines fossiles, mais
également les pollens et spores, pour
en déduire le type de végétation
et le climat qui régnaient alors dans
la région. Les chercheurs estiment
que la végétation devait s’apparenter à
celle des forêts qu’on trouve aujourd’hui
en Nouvelle­Zélande, avec un régime
de précipitations évoquant le Pays
de Galles actuel et des températures
moyennes de 12 °C.
A ces latitudes, la nuit polaire dure
quatre mois. A l’époque, les températures
moyennes sous les tropiques attei­
gnaient 35 °C, et le niveau marin était à
170 mètres au­dessus de l’actuel. Les
chercheurs estiment également que
le pôle Sud était alors vierge de toute
calotte polaire. Ces conditions étaient
le résultat d’un effet de serre puissam­
ment dopé par de fortes concentrations
de l’atmosphère en gaz carbonique,
qu’ils ont réévaluées à plus du triple
de celles enregistrées aujourd’hui.
> Kalges et al., « Nature », 1er avril.

E S PA C E
Nouvel échec lors d’un test
au sol pour le vaisseau Starship
de SpaceX
Un prototype du vaisseau spatial
Starship, conçu par la société américaine
SpaceX, a été détruit lors d’un essai au
sol, vendredi 3 avril à Boca Chica (Texas).
L’accident, qui n’a pas fait de blessé, s’est
produit à l’occasion d’un test cryogénique
au cours duquel le réservoir a été rempli
d’azote liquide et mis sous pression.
Selon Elon Musk, fondateur et PDG de
SpaceX, il ne serait pas dû à une
défaillance du matériel – contrairement
aux deux précédents échecs qu’a connus
le Starship, en novembre 2019 et
février 2020 –, mais à une erreur dans
l’envoi des commandes. La construction
du prototype suivant est déjà en cours
depuis mars. Connu à l’origine sous
le nom de Big Falcon Rocket, le Starship
est un lanceur lourd réutilisable conçu
pour transporter du fret ou un équipage,
tant pour des missions courtes que pour
de futurs vols vers Mars.

PA L É O N T O L O G I E
L’espèce de Lucy avait un cerveau
de singe, mais à la croissance
plus proche de celui d’« Homo »

L’espèce Australopithecus afarensis ,
dont Lucy est la représentante la plus
célèbre, vivait il y a environ trois
millions d’années en Afrique de l’Est.
L’étude du crâne de Selam, une enfant
afarensis trouvée en 2000 en Ethiopie,
a permis à une équipe internationale de
mieux en comprendre le développement
cérébral. Philipp Gunz (Institut Max­
Planck d’anthropologie évolutionnaire,
Leipzig) et ses collègues ont fait scanner
ce crâne en microtomographie au syn­
chrotron de l’ESRF à Grenoble en 2009.
Cela a permis d’étudier l’empreinte
laissée par son cerveau sur la face
interne du crâne et de déterminer
précisément son âge grâce à l’analyse
de la croissance de ses dents : 2,4 ans.
La comparaison avec des crânes
humains et de chimpanzés tend à laisser
penser que la structure cérébrale
de ces australopithèques était plus
proche de celle des singes, mais que
la croissance de leur encéphale
se poursuivait plus longtemps, entraî­
nant une dépendance plus longue
vis­à­vis des parents – une caractéristi­
que qui les rapproche du genre Homo
auquel nous appartenons.
(PHOTO : PHILIPP GUNZ/MPI EVA, LEIPZIG)
> Gunz et al., « Science Advances », 1er avril

T É L E S C O P E

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