Le Monde - 08.04.2020

(Marcin) #1
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MERCREDI 8 AVRIL 2020 coronavirus | 3

En Europe, la pandémie perd en intensité


L’Autriche programme son déconfinement. Plusieurs pays constatent le ralentissement des infections


G


uettée tous les soirs à
l’heure des bilans quo­
tidiens dans l’Union
européenne (UE), la
décrue de l’épidémie de Covid­
s’amorce à petits pas. Des lueurs
d’espoir s’allument à mesure que
les courbes de contaminations
commencent à s’infléchir et que le
décompte macabre de décès ralen­
tit. La hantise d’un « rebond » ob­
sède toutefois les gouvernements,
qui hésitent encore sur la levée
progressive du confinement quasi
général en vigueur sur le conti­
nent. Mais sans plus tarder, l’Autri­
che a sauté le pas, lundi 6 avril, et
annoncé un calendrier détaillé de
sortie de crise – le premier, dans
l’UE – non sans un certain triom­
phalisme. « Jusqu’ici, nous avons
mieux traversé la crise que d’autres
pays. Notre but est désormais d’en
sortir plus vite que les autres » , a ex­
pliqué le chancelier autrichien Se­
bastian Kurz, en présentant son
plan dans la matinée.
Quatre semaines après le début
du confinement, les premiers
commerces non essentiels du
pays devraient rouvrir mardi
14 avril, d’abord les magasins de
moins de 400 m^2 ainsi que les en­
seignes de jardinage et de brico­
lage. Puis, les autres commerces
suivront le 1er mai, à l’exception
de l’hôtellerie­restauration, qui
pourra rouvrir « par étapes » , à
partir du 15 mai. Le port du mas­
que y sera cependant partout
obligatoire, comme dans les
transports publics.
Même s’il a bien précisé que
l’Autriche pourrait « mettre le pied
sur le frein » à n’importe quel mo­
ment en cas de reprise de l’épidé­
mie due au coronavirus, qui a en­
traîné ici la mort de 220 personnes
et contaminé à ce jour 12 000
autres, le chef du gouvernement
conservateur a affiché une indé­
niable satisfaction, aux côtés de
ses alliés écologistes. « Nous avons
réagi plus vite et plus drastique­
ment, on a pu éviter le pire » , a dé­
fendu le chancelier de 33 ans.
En Europe centrale, où l’épidé­
mie a été contenue grâce à des me­
sures de confinement drastiques
prises dès les premiers cas, l’opti­
misme renaît depuis quelques
jours. En République tchèque, l’un
des pays les plus touchés dans la
partie orientale de l’Europe, le

gouvernement a annoncé que les
espaces sportifs allaient rouvrir
mardi 7 avril et que des premiers
commerces pourraient suivre
dans la semaine si la tendance ras­
surante se poursuit. « Nous avons
réussi à stabiliser l’épidémie » , a af­
firmé lundi le vice­ministre de la
santé Roman Prymula. La Slova­
quie voisine envisage également
un assouplissement des mesures
de confinement.
Dimanche, la première ministre
danoise, Mette Frederiksen, avait
mis en garde contre un déconfine­
ment trop rapide : « Le château de
cartes pourrait s’effondrer. Et il
pourrait s’effondrer bien plus vite
que nous ne l’imaginons. » Lundi
soir, elle a cependant elle aussi
proclamé la réouverture « pru­
dente et contrôlée » des jardins
d’enfants et des écoles primaires,
dès le 16 avril, puis des collèges et
lycées, le 10 mai. Les grands ras­
semblements resteront interdits
jusqu’en août. Les tests devront
être généralisés. « C’est comme
marcher sur un fil, a expliqué la
Mme Frederiksen : si nous nous ar­
rêtons, nous tombons, si nous al­
lons trop vite, aussi. Nous devons
avancer un pas après l’autre. »

Une bataille « loin d’être gagnée »
Le Danemark avait été le premier
pays en Europe du Nord à décréter,
dès le 12 mars, la fermeture de ses
écoles et de ses institutions publi­
ques, et à interdire les rassemble­
ments de plus de dix personnes.
Au total, 4 681 personnes ont été
contaminées, 187 sont mortes.
Mais jamais les hôpitaux n’ont ap­
proché de la saturation. « Nous
avons réussi à éviter la réalité terri­
ble que nous voyons ailleurs, parce
que nous avons fait ce qu’il fallait,
s’est félicitée Mette Frederiksen.
Nous avons agi vite. »
Même satisfaction contenue en
Norvège, lundi, du ministre de la
santé, Bent Hoie : « Les nouveaux
chiffres montrent que chaque per­
sonne contaminée par le virus le
transmet à 0,7 personne. Ce qui si­
gnifie que la propagation de l’épi­
démie est sous contrôle » , a­t­il dé­
claré. Dans le pays nordique qui a
effectué le plus de dépistages,
5 758 personnes ont été testées po­
sitives et 75 sont décédées. Mais la
bataille est encore loin d’être ga­
gnée, car selon le modèle de l’Ins­

titut de santé publique, seuls
14 000 Norvégiens auraient con­
tracté le coronavirus sur 5,3 mil­
lions d’habitants : « Les chiffres
montrent qu’il suffirait de pas
grand­chose pour que nous per­
dions de nouveau le contrôle » , pré­
vient le ministre de la santé.
La décrue continue aussi en Es­
pagne, en dépit du dernier bilan,
lundi, qui fait état de 135 000 cas
confirmés et de 13 055 morts.
Pour le quatrième jour d’affilée,
le nombre de décès dus à l’épidé­
mie a baissé. Avec 637 morts en
vingt­quatre heures, il reste très
élevé, mais le royaume, premier
pays au monde en nombre de dé­
cès par rapport au nombre d’ha­
bitants, n’avait pas connu un
chiffre aussi relativement « bas »
depuis le 24 mars.
La propagation du virus a consi­
dérablement ralenti, passant
d’une croissance quotidienne du
nombre de cas de 22 % au moment
de l’état d’alerte, à 5 % ce lundi. Se­
lon le ministre de la santé, Salva­
dor Illa, le gouvernement prépare
donc la « désescalade » , c’est­à­dire
une sortie progressive du confine­

ment, même s’il reste avant cela
« des jours d’efforts ».
En Belgique, c’est un sentiment
diffus sur une amélioration de la
situation qui se répand malgré
plus de 20 000 personnes conta­
minées et plus de 1 600 décès. Les
porte­parole des autorités sanitai­
res martèlent que les indicateurs
les plus fiables sur l’évolution de la
pandémie sont le nombre d’hospi­
talisations et l’occupation des lits
en soins intensifs. Or, si l’on se
base sur ces données, on peut esti­
mer, d’après eux, que le pays « se
dirige vers une maîtrise » de la pan­
démie. Une formule prudente.

Tempérer l’optimisme naissant
Plusieurs spécialistes redoutent
en effet une sous­évaluation du
problème dans les maisons de re­
traite et indiquent que le nombre
global de contaminations est sans
doute, lui aussi, assez éloigné de la
réalité, faute d’un test généralisé.
Pour tempérer l’optimisme nais­
sant, la première ministre Sophie
Wilmès est intervenue à la télévi­
sion dimanche soir, afin de préve­
nir que le chemin vers la sortie du

confinement serait long – il débu­
tera sans doute, au plus tôt le 5 mai


  • et assorti de conditions, non pré­
    cisées à ce stade. Quant au port
    obligatoire – ou non – du masque,
    il se heurte à une dure réalité : le
    pays en manque toujours.
    Ailleurs aussi, on privilégie la
    prudence. Les Pays­Bas, qui ont ap­
    pliqué plus tardivement que leurs
    voisins des mesures de fermeture
    et de confinement partiel, ont vu,
    avec un certain optimisme, le
    nombre d’hospitalisations quoti­
    diennes chuter entre le 2 et le
    4 avril, puis connaître un record le
    5, suivi d’une légère baisse le len­
    demain. Face à ces évolutions en


dents de scie, les autorités restent
donc très vigilantes sur la stratégie
de sortie. Le pays compte, à ce
stade, quelque 17 800 contamina­
tions et 1 800 décès.
En Allemagne, où l’institut de
santé publique Robert­Koch dé­
nombrait 99 225 personnes infec­
tées et 1 607 décès, mardi matin, le
rythme de progression de l’épidé­
mie ralentit légèrement : depuis
le 1er avril, environ 4 000 nou­
veaux cas dont 140 mortels sont
enregistrés quotidiennement en
moyenne. « Les derniers chiffres de
l’Institut Robert­Koch, si élevés
soient­ils, donnent un peu d’es­
poir » , a reconnu Angela Merkel.
La chancelière estime cependant
qu’il est encore beaucoup trop tôt
pour envisager un assouplisse­
ment des règles de confinement
en vigueur depuis le 22 mars.
« Nous serions un mauvais gouver­
nement si nous fixions dès mainte­
nant une date » , a­t­elle répété,
lundi, en précisant que la levée des
restrictions ne pourrait, de toute
façon, se faire que « par étapes » .
isabelle mandraud avec
nos correspondants européens

Tests
sanguins
de dépistage
du Covid­19,
dans un
gymnase
de Robbio
(Lombardie),
en Italie,
le 4 avril.
MIGUEL MEDINA /AFP

« C’EST COMME MARCHER 


SUR UN FIL : SI NOUS 


NOUS ARRÊTONS, NOUS 


TOMBONS, SI NOUS ALLONS 


TROP VITE AUSSI »
METTE FREDERIKSEN
première ministre danoise

La décrue commence à se dessiner dans les hôpitaux italiens


Effet du confinement, le nombre de patients en soins intensifs est en légère baisse, de même que celui des nouveaux cas diagnostiqués


rome ­ correspondant

B


ien sûr, la situation reste
catastrophique et l’épidé­
mie de Covid­19 continue à
faire des ravages dans les plaines
du Pô, principalement en Lombar­
die. Avec 16 500 victimes et des
milliers de morts invisibles, non
comptabilisés faute d’avoir été
pris en charge par le système hos­
pitalier, le Covid­19 provoque une
véritable hécatombe dans le nord
de l’Italie, dont l’ampleur réelle ne
pourra être appréhendée qu’au
sortir de la crise.
Cependant, depuis quelques
jours, et de façon insistante, les
bilans quotidiens de la protection
civile italienne donnent enfin
quelques raisons d’espérer. Lente­
ment mais sûrement, une ten­
dance à la décrue se dessine, après
deux semaines terribles. Diman­
che 5 avril, le bilan quotidien des
hôpitaux italiens faisait état de

525 morts, soit le total le plus fai­
ble depuis le 19 mars, et si, le len­
demain, le chiffre est reparti à la
hausse (636 décès), il reste sensi­
blement inférieur au plus haut de
l’épidémie (969 victimes compta­
bilisées en 24 heures le 27 mars).

Milan inquiète
Pris isolément, ces chiffres ne suf­
firaient pas à dessiner les contours
d’un véritable commencement de
détente. Mais dans le détail,
d’autres indicateurs semblent
enfin s’améliorer. Ainsi du nom­
bre de patients en soins intensifs,
qui n’avait jamais véritablement
baissé depuis le début de la crise et
a commencé une très légère
décrue (170 patients de moins en
trois jours), laissant espérer une
tension un peu moindre dans les
salles de réanimation. Ou, mieux
encore, le nombre de nouveaux
cas diagnostiqués (3 599, selon le
bilan du 6 avril), qui n’a jamais été

aussi bas depuis trois semaines et
avait atteint un pic de 6 500 cas le
21 mars, avec un nombre inférieur
de tests réalisés.
Un mois après le confinement
du nord du pays, suivi de la pro­
gressive mise en place du même
dispositif sur l’ensemble du terri­
toire national, les effets des mesu­
res décidées par le gouvernement
Conte commencent enfin à se tra­
duire dans les courbes statisti­
ques. Dans les zones les plus dure­
ment touchées par l’épidémie (la
Lombardie et les provinces avoisi­
nantes d’Emilie­Romagne, du Pié­
mont et de Ligurie), le système
hospitalier continue à souffrir
d’un engorgement tel que les
hôpitaux, obligés de se concentrer
sur les cas graves, déplorent une
mortalité particulièrement éle­
vée. Alors que les informations les
plus terribles provenaient de l’est
de la Lombardie (provinces de Ber­
game et de Brescia), c’est désor­

mais la ville de Milan elle­même
qui inquiète le plus : depuis le
1 er avril, les services de l’état civil de
la commune y recensent plus de
100 morts par jour, soit le triple de
la mortalité habituelle.
Dans le reste du pays, les hôpi­
taux ont eu le temps de s’adapter
à la menace, et ont pu procéder
aux ouvertures de lits nécessaires
en vue d’un pic qui, pour l’heure,
n’est jamais arrivé. Si bien
qu’après le temps de la sidération,
le gouvernement commence à
évoquer une « phase 2 », dont la
chronologie et les contours res­
tent particulièrement flous. La
perspective d’un allègement,
même partiel, du confinement
reste lointaine.
Les premières ouvertures en ce
sens, évoquant le début mai, se
sont heurtées à un tir de barrage
des médecins et des syndicats, et
le premier ministre, Giuseppe
Conte, a martelé lundi qu’ « allé­

ger maintenant les règles serait ir­
responsable ». Mais les premières
hypothèses de sortie de crise
commencent à être dessinées.

Sauver les petites entreprises
L’obligation du port d’un masque
(ou, à défaut, d’un foulard ou
d’une écharpe) pour les sorties en
est le préalable indispensable :
suivant la région Vénétie, qui l’a
rendue obligatoire dans les com­
merces dès samedi, la Lombardie
et la Toscane ont annoncé des
mesures équivalentes ces der­
niers jours. Les tests, identifiés
comme un enjeu décisif dans la
perspective d’une reprise d’acti­
vité, restent la principale faiblesse
du dispositif italien, et l’augmen­
tation des capacités du pays sur ce
front sera un des enjeux majeurs
des prochains jours.
Mais, dans tous les cas, il faudra
du temps : lundi, le gouvernement
a procédé à l’annulation de l’exa­

men de fin de terza media (l’équi­
valent italien du brevet, organisé
au terme de la troisième année de
collège), et précisé les concours de
la maturita (le baccalauréat ita­
lien), qui sera allégée à l’extrême,
se limitant à un oral qu’il serait
possible d’effectuer à distance si
les centres d’examen ne peuvent
pas être rouverts en juin.
La véritable urgence, en dehors
du monde sanitaire, concerne le
sort des millions de petites entre­
prises italiennes, à l’arrêt depuis
un mois et pour encore de nom­
breuses semaines. Pour garantir
des liquidités, le gouvernement
Conte a annoncé, lundi 6 avril, un
effort sans précédent, avec des
garanties sur les crédits pouvant
aller jusqu’à 400 milliards
d’euros, qui viennent s’ajouter
aux 350 milliards déjà prévus
quelques jours plus tôt dans le
décret « cura Italia ». 
jérôme gautheret
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