30 | 0123 MERCREDI 8 AVRIL 2020
0123
D
onner du temps au
temps » , disait Fran
çois Mitterrand. Mais
c’était dans le monde
d’hier, le monde d’avant ce millé
naire, le monde dans lequel le
mandat présidentiel courait en
core sur sept ans, voire parfois sur
quatorze. Surgi de la nuit des
temps, le précepte vaut cepen
dant d’être réhabilité tant la con
fusion domine dans l’appréhen
sion de la crise liée au coronavi
rus, une crise historique qui a
pour effet de confiner plus de la
moitié de l’humanité. D’abord sa
nitaire, elle risque de se transfor
mer en une catastrophe économi
que et sociale de grande ampleur,
pourvu que l’on accepte d’en dé
ployer toute la temporalité.
Or l’esprit humain, résolument
optimiste, est rétif à le faire. Il
saute les étapes et se projette
dans l’avenir comme si le plus dur
était déjà passé. A peine Edouard
Philippe avaitil évoqué, de façon
au demeurant fort vague, les mo
dalités du déconfinement qu’aus
sitôt les rues, les bois et les forêts
se repeuplaient de promeneurs
nez au vent. Et toute la presse du
weekend était déjà tournée vers
la préparation du monde d’après,
l’utopie de la table rase qui, sur les
décombres du Covid19, verrait
surgir un monde nouveau.
Trois temporalités
La réalité, hélas, est plus prosaï
que. Nous n’en avons pas fini
avec l’épidémie. Nous sommes
même en plein dedans, et bien
malin qui peut dire comment
l’aventure se terminera. Sa ges
tion mobilise trois temporalités
différentes : le confinement pro
prement dit, dans lequel la
France, comme beaucoup d’au
tres pays, se retrouve plongée. Il a
démarré, dans l’Hexagone, mar
di 17 mars à midi, après une inter
vention télévisée solennelle du
chef de l’Etat ponctuée à six re
prises de l’expression « nous
sommes en guerre ». Prévu pour
durer quinze jours, il a été pro
longé à la fin du mois de mars, de
quinze jours « au moins ».
La deuxième période, à laquelle
travaille activement le gouverne
ment, ouvrira un second temps,
qui sera à la fois libérateur et po
tentiellement explosif : la piste
évoquée est en effet celle d’un
droit différentié à sortir de chez
soi, plus ou moins rapide selon
l’âge ou le lieu de résidence. Il s’ac
compagnera, en outre, de disposi
tifs d’ordre public plus ou moins
contraignants (port de masque,
test de dépistage, traçage) pour
tenter de maîtriser l’épidémie.
Cela anéantit de facto l’idée
d’un retour rapide à la normale
assuré par une vigoureuse reprise
économique puisque toutes les
entreprises ne pourront pas pro
duire en même temps. L’hypo
thèse la plus probable est celle
qu’évoque le ministre de l’écono
mie, Bruno Le Maire, dans Le Jour
nal du dimanche du 5 avril, « une
reconstruction longue, difficile,
coûteuse » qui demandera « du
travail, de la détermination, du
temps ». Après la phase ouatée du
confinement, où le puissant dis
positif du chômage partiel a joué
comme un anesthésiant, nombre
d’entreprises risquent en effet de
découvrir qu’elles ne sont plus
viables en dépit des dispositifs de
soutien public.
La troisième période, celle qui
consiste à entrer dans « le monde
d’après », démarrera, quant à elle,
le jour où la France et les autres
pays seront certains d’avoir ju
gulé l’épidémie. Il faudra pour
cela qu’un vaccin soit trouvé.
Le point commun entre ces
trois phases est que personne
n’est capable de dire combien de
temps chacune d’entre elles va
durer. La date du déconfinement
n’a pas été donnée, et les cher
cheurs avancent l’échéance de
« plusieurs mois » avant qu’un
vaccin soit trouvé et mis sur le
marché. « Je n’ai pas toutes les ré
ponses », a admis le premier mi
nistre, Edouard Philippe, jeudi
2 avril, sur TF1. Cet aveu, inédit de
la part d’un politique, donnait la
mesure du moment. L’exécutif
n’est certain que de deux choses :
plus le confinement durera et
plus la crise économique et so
ciale sera profonde, mais si sa sor
tie n’est pas rigoureusement pré
parée, l’épidémie repartira de
plus belle. Le choix n’est qu’entre
de mauvaises solutions.
Le caractère mondial et quasi si
multané de l’épidémie ajoute au
drame, car, à présent que les éco
nomies sont imbriquées les unes
aux autres, les maillons faibles
sont surveillés de près. Dans les
scénarios du gouvernement, il y
a trois hypothèses. L’une, opti
miste, est celle d’une crise jugulée
par un puissant plan de relance
européen et mondial. Les deux
autres, beaucoup plus sombres,
sont liées, d’une part, aux fragili
tés du modèle américain, qui font
craindre des faillites en cascade,
d’autre part, aux tensions qui
viennent de réapparaître dans la
zone euro. Le refus des PaysBas
et les réticences de l’Allemagne à
mutualiser ne seraitce que les
dettes futures pour aider les pays
du Sud, au premier rang desquels
l’Italie, rendent possible une im
plosion de la zone euro. « Le man
que de solidarité fait courir un
danger mortel à l’Union euro
péenne » , a averti, samedi 28 mars,
l’ancien président de la Commis
sion européenne Jacques Delors,
sans grand effet pour le moment.
Au regard de l’ampleur des bou
leversements qui vont se jouer
dans les jours et les semaines à
venir, les réflexions qui s’enga
gent dès aujourd’hui autour du
« monde d’après » apparaissent à
la fois sympathiques et décalées,
car, en réalité, personne ne sait
dans quel état se trouveront le
pays et le reste du monde. Quand
Guillaume Peltier, le viceprési
dent des Républicains, appelle de
ses vœux un « Conseil national de
la reconstruction » , sur le modèle
du Conseil national de la résis
tance, l’écologiste Yannick Jadot
invoque, lui, un « Grenelle du
monde d’après ». Chacun y va de
son utopie – le patriotisme éco
nomique, la démondialisation, le
localisme, la croissance verte –,
en faisant fi du champ de ruines
qu’il faudra d’abord se coltiner.
Les lendemains qui chantent ne
viendront qu’après la prise de
conscience du vertige de la crise.
On n’y est pas encore.
S
ournois et imprévisible, le Covid19
ne cesse de surprendre. Il y a un
mois, l’Asie faisait figure de modèle
dans le combat contre le virus, au moment
où la pandémie attaquait l’Europe. Pris de
court par la violence de l’offensive, Italiens,
Espagnols puis Français se tournaient vers
Taïwan, Singapour, Hongkong, la Corée du
Sud et même la Chine en essayant d’identi
fier les modes opératoires susceptibles de
les sauver à leur tour. Avec un peu d’envie,
aussi, pour ces autorités sanitaires si bien
préparées grâce à l’expérience du SRAS
en 2003, ou pour ces sociétés si disciplinées
face à des contraintes jusqu’ici inimagina
bles en Europe.
Un mois plus tard, ces pays européens
ont peutêtre atteint le fameux plateau tant
espéré, ce stade où l’aplatissement de la
courbe des nouveaux cas et de celle des
morts laisse penser que la progression de la
maladie marque le pas, ne seraitce que le
temps d’un répit salutaire. Leurs gouverne
ments, pourtant, se gardent bien de crier
victoire. Pourquoi? Parce qu’ils regardent
aussi les courbes des pays d’Asie. Et ce qu’el
les révèlent est inquiétant : plusieurs de ces
pays sont maintenant atteints par une
deuxième vague du virus.
Le cas le plus frappant est celui de Singa
pour. La citéEtat de 6 millions d’habitants
a appliqué très tôt une stratégie exemplaire
qui lui a permis de contrôler la propagation
du virus sans avoir recours au confine
ment : dépistage systématique, traçage mé
ticuleux et mise en quarantaine rigoureuse
des personnes infectées, stricte restriction
des déplacements et des arrivées sur le ter
ritoire. Malgré cela, le nombre de cas a subi
tement augmenté de manière spectacu
laire la semaine dernière, en raison de
transmissions locales et de contaminations
par des résidents de retour.
Sur la base de ces « nouvelles décevantes » ,
le premier ministre, Lee Hsien Loong, a dé
crété vendredi 3 avril une mesure de confi
nement général à partir de mardi, avec fer
meture des écoles et des commerces non
essentiels, jusqu’au 4 mai. Une situation
particulièrement préoccupante a éclaté
dans les baraquements réservés aux tra
vailleurs immigrés, dont 20 000, des hom
mes seuls, pour la plupart venus du Bangla
desh, hébergés dans des dortoirs, ont été
placés en quarantaine.
Hongkong et la Chine s’inquiètent égale
ment d’une résurgence des cas, attribuée
par Pékin aux étrangers arrivés dans le
pays. Au Japon, le premier ministre, Shinzo
Abe, confronté à une forte poussée des cas
de coronavirus, devait décréter mardi l’état
d’urgence dans sept régions de l’Archipel,
dont celle de Tokyo.
Quelles leçons fautil retenir de cette évo
lution? Essentiellement que la pandémie
ne sera véritablement vaincue qu’une fois
qu’un vaccin sera mis au point, produit et
mondialement distribué. Et que, d’ici là –
entre douze et dixhuit mois, selon les esti
mations –, le virus sera susceptible de faire
des allers et retours sur la planète, au gré
des vagues de contamination sur les conti
nents. Le processus de déconfinement là
où il a été en vigueur, l’assouplissement
des restrictions décidées ailleurs ne pour
ront se faire que de manière progressive et,
le plus souvent, temporaire.
Il faudra apprendre à cohabiter avec le co
ronavirus. Toujours prévoyant, le gouver
nement de Singapour a décidé lundi de
suspendre pour dixhuit mois l’activité du
terminal 2 de son énorme aéroport, l’un
des grands hubs mondiaux. Dixhuit mois :
le temps qu’il faut pour le vaccin. La route
sera longue.
L’ESPRIT HUMAIN,
RÉSOLUMENT
OPTIMISTE,
SE PROJETTE DANS
L’AVENIR COMME
SI LE PLUS DUR
ÉTAIT DÉJÀ PASSÉ
COHABITER
AVEC LE
COVID19,
DANS LA DURÉE
FRANCE |CHRONIQUE
pa r f r a n ç o i s e f r e s s o z
Coronavirus :
le vertige de la crise
LA RÉALITÉ,
HÉLAS, EST PLUS
PROSAÏQUE. NOUS
N’EN AVONS PAS FINI
AVEC L’ÉPIDÉMIE.
NOUS SOMMES MÊME
EN PLEIN DEDANS
Tirage du Monde daté mardi 7 avril : 135 332 exemplaires
En ventechezvotremarchand de journaux ou sur lemonde.fr/boutique
ET BIEN PRÉPARERLA SUITE.
RÉUSSIR SA TERMINALEAVEC
En partenariatavec
En coéditionavec
En regard desconséquences liéesàlacrisesanitaire, la MAIF, LeMonde et Ruedes Ecolesoffrentàtoutes
leslycéennesettous leslycéens le téléchargement deces hors-série : revisersonbac.com