Le Monde - 08.04.2020

(Marcin) #1

4 |coronavirus MERCREDI 8 AVRIL 2020


0123


Les personnes


obèses plus


fragilisées


par le virus


En France comme dans d’autres pays


européens, les individus en situation


d’obésité semblent plus susceptibles


de contracter la maladie. Selon


les premières données d’un registre


national, 83 % des patients en


réanimation sont en surpoids


L


es personnes avec une obésité,
soit 15 % des adultes en France,
sont­elles plus susceptibles de
contracter l’infection au SARS­
CoV­2 et sont­elles surtout plus à
risque de présenter des formes
sévères? C’est le double motif d’inquiétude
des médecins qui les prennent en charge.
S’agissant de la gravité, les données sont en­
core parcellaires, mais sur le terrain, le cons­
tat devient évident : les individus en
surpoids ou avec une obésité représentent
une proportion élevée, voire très élevée, des
patients atteints de Covid admis dans les ser­
vices de réanimation.
En Grande­Bretagne, sur une série de
196 malades hospitalisés en soins intensifs,
32 % étaient en surpoids (indice de masse cor­
porelle ou IMC, soit le poids divisé par le carré
de la taille, entre 25 et 30 kg/m^2 ) et 41 % étaient
obèses (IMC supérieur à 30 kg/m^2 ), selon un
rapport publié le 20 mars. Les statistiques
semblent du même ordre en France.
Au centre hospitalier universitaire (CHU) de
Nice, l’IMC moyen des patients Covid en réa­
nimation est de 29 kg/m^2 , la corpulence nor­
male se situant entre 18,5 et 25 kg/m^2. « Parmi
nos 40 patients, 95 % sont en surpoids ou obè­
ses, avec souvent une hypertension artérielle et
un diabète associés », souligne l’anesthésiste
réanimateur Hervé Quintard. Au CHU de
Montpellier, 45 % à 50 % des malades Covid
hospitalisés en réanimation lors des premiè­
res semaines de l’épidémie avaient une obé­
sité cotée sévère (IMC supérieur à 35 kg/m^2 ),
voire morbide (IMC supérieur à 40 kg/m^2 ), es­
time aussi le professeur Xavier Capdevila, res­
ponsable du département anesthésie réani­
mation du site Lapeyronie. Un registre natio­
nal des formes graves de Covid permettra

bientôt d’en savoir plus sur le profil des pa­
tients, leur prise en charge et leur devenir.
Lancée le 19 mars par le Réseau européen
de recherche en ventilation artificielle
(REVA), cette base prospective a déjà enre­
gistré des informations concernant plus de
2 000 malades pris en charge dans 195 servi­
ces de réanimation francophones, français
essentiellement.

APPEL À LA PRUDENCE
« Parmi eux, 83 % sont en surpoids ou obèses,
avec souvent une association avec un diabète
ou une hypertension artérielle. Il s’agit dans
les trois quarts des cas d’hommes et la mé­
diane d’âge est de 63 ans », précise Matthieu
Schmidt, réanimateur médical à l’hôpital pa­
risien de la Pitié­Salpêtrière (AP­HP), coordi­
nateur du registre. Il appelle cependant à la
prudence dans l’interprétation de ces don­
nées encore préliminaires, sans analyse fine
des facteurs de risque. Le pronostic de ces pa­
tients de réanimation ne peut pas non plus
être interprété, un certain nombre étant en­
core hospitalisé.
Dans sa liste des personnes à risque de
forme grave de Covid, le Haut Conseil de la
santé publique (HCSP) a pour l’instant retenu


  • sur la base des données de la littérature – les
    individus de plus de 70 ans, avec des antécé­
    dents cardiovasculaires, un diabète, une pa­
    thologie chronique respiratoire, une insuffi­
    sance rénale dialysée ou un cancer sous trai­
    tement. Les personnes avec une obésité mor­
    bide (IMC supérieur à 40 kg/m^2 ) ont
    également été incluses dans cette liste, par
    analogie avec la pandémie de grippe A (H1N1)
    de 2009. « Le risque est probablement en des­
    sous de ce seuil »
    , estime cependant le profes­
    seur Olivier Ziegler, nutritionniste au centre


hospitalier régional universitaire (CHRU) de
Nancy et président du groupe de coordina­
tion et de concertation des centres spécialisés
de l’obésité, qui insiste sur la nécessité de dis­
poser rapidement de davantage de données
internationales et nationales sur ces sujets.
Le pronostic des formes sévères de Covid,
qui nécessitent une réanimation, est­il plus
défavorable chez les malades avec un IMC
élevé, voire très élevé? « Les résultats d’une
petite série américaine sur 24 patients hospi­
talisés en unités de soins intensifs pour Covid,
publiés dans le New England Journal of Medi­
cine le 30 mars, suggèrent que le risque de dé­
cès augmente avec la corpulence , poursuit le
professeur Ziegler. Ce qui est frappant, dans
cette étude, c’est que la mortalité atteint 70 %
chez les malades dont l’IMC est supérieur à 35,
contre 30 % chez ceux avec un IMC inférieur à

35. » Pour le nutritionniste, le faible effectif
de l’échantillon ne permet pas de tirer de
conclusions définitives quant au rôle propre
de l’obésité, mais ces données américaines
remettent en question le dogme d’un seuil


de 40 kg/m^2 de l’IMC comme facteur de gra­
vité. « Dans cette publication, la mortalité qui
semble liée aux pathologies associées est éle­
vée même chez les jeunes (37 % chez les moins
de 65 ans), ce qui est un autre facteur d’inquié­
tude », ajoute Olivier Ziegler. Il rappelle qu’en
France, le nombre de personnes en situation
d’obésité sévère de grade 2 (IMC > 35) est d’en­
viron 1,3 million, et de 600 000 pour l’obé­
sité de grade 3 (IMC > 40).

UNE MEILLEURE COURBE DE SURVIE
« L’obésité augmente le risque d’embolie pul­
monaire. Or, l’infection au nouveau coronavi­
rus expose déjà particulièrement aux compli­
cations thrombo­emboliques, explique le
professeur Jean­Michel Oppert, qui dirige le
service de nutrition de la Pitié­Salpêtrière
(AP­HP). D’autres anomalies associées à l’obé­
sité peuvent pénaliser ces patients : des trou­
bles ventilatoires, mais aussi un état inflam­
matoire “à bas bruit” et un déficit immuni­
taire chronique. Ces facteurs sont délétères
lors d’infections virales respiratoires comme
la grippe ou le Covid. » Un IMC élevé aug­
mente aussi le risque d’escarre.
En revanche, note le réanimateur Matthieu
Schmidt, les personnes avec obésité répon­
dent bien aux séances de décubitus ventral
(ventilation sur le ventre), une technique uti­
lisée dans les services de réanimation pour
améliorer l’état ventilatoire des malades.
Autre donnée a priori positive : ces derniè­
res années, plusieurs études ont suggéré
que la courbe de survie en réanimation se­
rait meilleure chez les sujets obèses, car ils
ont une réserve métabolique qui leur per­
met de mieux résister à la dénutrition.
« C’est un sujet controversé sur lequel il faut
rester prudent, car cela dépend des causes de
la réanimation » , tempère Karine Clément,
professeure de nutrition à la Pitié­Salpê­
trière. Pour cette spécialiste, également vice­
présidente de l’Association française d’étude
et de recherche sur l’obésité (Afero), l’une
des priorités est d’acquérir des données épi­
démiologiques plus précises sur les facteurs
de risque de formes graves de Covid. « Dans
les données disponibles, on retrouve souvent
l’association de plusieurs pathologies : dia­
bète de type 2, hypertension artérielle, mala­
dies cardiaques et obésité. Mais il faudrait sa­
voir si une obésité à elle seule, sans comorbi­

« L’OBÉSITÉ 


AUGMENTE LE 


RISQUE D’EMBOLIE 


PULMONAIRE. 


OR, L’INFECTION 


AU NOUVEAU 


CORONAVIRUS 


EXPOSE DÉJÀ AUX 


COMPLICATIONS 


THROMBO­


EMBOLIQUES »
JEAN-MICHEL OPPERT
médecin nutritionniste
à Pitié-Salpêtrière

les chiffres manquent encore,
mais le professeur Eric Ravussin,
spécialiste de l’obésité et directeur
associé au Pennington Biomedical
Research Center, à Baton Rouge
(Louisiane), en est convaincu : l’obé­
sité, souvent liée à d’autres patholo­
gies, notamment respiratoires ou
immunitaires, aura un effet dévasta­
teur sur le taux de mortalité des per­
sonnes touchées par le coronavirus
aux Etats­Unis.
La proportion d’obèses et de per­
sonnes en surpoids y est en effet
l’une des plus importantes au
monde. Selon les études épidémiolo­
giques, 39,8 % des adultes sont obèses
et 31,8 % sont en surpoids ; l’obésité
est aussi observée chez 14 % des en­
fants de 2 à 5 ans et chez 21 % des
12­19 ans. D’autres méthodes de cal­
cul estiment même que 42 % des
adultes américains sont obèses, dont
9 % en situation d’obésité sévère.

Les chercheurs ne disposent pas,
pour le moment, de données généra­
les, mais des études locales dénotent
une tendance. « Dans un hôpital de La
Nouvelle ­ Orléans, 60 % des cas criti­
ques concernent des personnes obè­
ses » , indique M. Ravussin, qui souli­
gne toutefois le faible échantillon
étudié. Une corrélation est déjà nota­
ble : la Louisiane est à la fois un Etat
qui affiche un taux d’obésité supé­
rieur à la moyenne nationale et, avec
New York, l’un des plus durement
touchés par la pandémie.

Soins plus compliqués
Pour alerter sur ce risque particulier
aux Etats­Unis, les experts s’ap­
puient également sur les chiffres
connus de l’épidémie de H1N1,
en 2009, au cours de laquelle l’obé­
sité a été un facteur de surmortalité.
En Californie, une étude avait alors
montré que sur 268 patients hospita­

lisés ou décédés, 58 % étaient obèses
et, parmi eux, deux tiers présen­
taient une obésité sévère. Deux tiers
également souffraient de diabète,
d’une maladie pulmonaire ou cardia­
que. « Mais même les obèses métabo­
liquement sains sont des sujets à ris­
que, car leur immunité est compro­
mise », précise M. Ravussin.
The Obesity Society, dont le profes­
seur de Baton Rouge est l’un des res­
ponsables, s’inquiète de la « collision
entre deux épidémies de santé publi­
que aux Etats­Unis : l’obésité et le Co­
vid­19, interagissant pour accen­
tuer encore la pression sur [leur]
système de santé ». Le traitement des
patients obèses demande des équi­
pements particuliers (lit, trans­
port...) et des soins plus compliqués
à mettre en œuvre, en termes d’intu­
bation et de diagnostic.
Une même crainte a récemment été
soulevée par le docteur Michael Oste­

rholm, expert en maladies infectieu­
ses à l’université du Minnesota, sur
une radio de Minneapolis : « Nous al­
lons voir une forte hausse du nombre
de morts dans ce pays, comparative­
ment à ce qui se produit ailleurs, en
raison de ce facteur de risque unique
[le nombre de personnes obèses]. »
Les Centers for Disease Control and
Prevention (CDC), qui mettent l’obé­
sité au rang des facteurs aggravants
du Covid­19, ont analysé 7 000 cas de
patients touchés à travers le pays. S’ils
ne soulignent pas en particulier l’obé­
sité dans les pathologies observées,
ils indiquent que 78 % des personnes
prises en charge dans une unité de
soins intensifs souffraient déjà d’une
maladie cardiaque, pulmonaire, im­
munitaire ou rénale, ou de diabète.
C’est aussi le cas de 71 % des person­
nes hospitalisées sans respirateurs.
stéphanie le bars
(washington, correspondance)

Un facteur aggravant qui pourrait être dévastateur aux Etats-Unis

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