Le Monde - 08.04.2020

(Marcin) #1

0123
MERCREDI 8 AVRIL 2020 coronavirus | 5


HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENT
pour 100 000 habitants

Martinique

Mayotte

La Réunion

Guadeloupe

Guyane

de 100 à 150

de 150 à 175

de 50 à 100
de 25 à 50
de 10 à 25
moins de 10

2 972 Petite couronne

(^816771)
29 569
6 948
17 249

18 mars 6 avril 18 mars 6 avril
RETOUR À DOMICILE
Personnes
hospitalisées
En réanimation
et en soins intensifs
DÉCÈS À L’HÔPITAL HOSPITALISATION
ET RÉANIMATION

depuis le 1er mars
6 494
0
2 500
5 000
7 500
10 000
12 500
15 000
COMPARATIF EUROPÉEN
Italie France
Allemagne Royaume-Uni
Espagne
Les données
commencent au 10e décès.

Jour 0 Jour 10 Jour 22 Jour 30 Jour 41
13 341 morts
en Espagne
16 523 morts
en Italie
8 911 morts*
en France
5 385 morts
au Royaume-Uni
(jour 23)
1 810 morts*
en Allemagne
Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University _
Chire comprenant 6 494 décès à l'hôpital et au moins 2 417 décès en Ehpad_
Epidémie de Covid-19 : situation au 6 avril, 14 heures
Déplacement
d’un patient
en état grave
au sein de la
clinique privée
Ambroise Paré,
à Neuilly­
sur­Seine,
le 30 mars.**
LUCAS BARIOULET
POUR « LE MONDE »
Les patients dialysés présentent
un risque accru de succomber au Covid­
La mortalité des patients traités par dialyse et infectés par le coronavirus serait élevée,
voisine de 20 %, d’après une note de l’Agence régionale de santé d’Ile­de­France
L’
inquiétude est grande
chez les personnes souf­
frant d’insuffisance ré­
nale chronique et dialysées. Elles
figurent parmi les personnes à
risque de développer une forme
grave d’infection par le SARS­
CoV­2. Elles ont fait partie des
tout premiers décès de la pandé­
mie de Covid­19 un peu partout
dans le monde.
Le 6 avril, l’Agence de la biomé­
decine (ABM) a recensé, par l’in­
termédiaire du registre REIN,
851 patients dialysés infectés par
le Covid­19. Parmi eux, 123 sont
décédés, mais 42 seulement sont
passés par la réanimation, précise
l’ABM. L’inquiétude majeure pour
les patients est, de fait, de ne pas
être admis dans les services de
réanimation, qui doivent faire
des tris en raison de la pénurie de
lits, notamment dans le Grand­
Est, et en Ile­de­France. « Nous
souhaiterions des données préci­
ses sur ce qui se passe dans ces ré­
gions et craignons l’extension de
ce scénario à l’ensemble du terri­
toire »
, indique l’association de
patients Renaloo.
« La mortalité des patients trai­
tés par dialyse et infectés par le Co­
vid­19 est élevée, voisine de 20 %,
d’après les premières données re­
levées en France et dans d’autres
pays européens »
, indique une
note de l’Agence régionale de
santé (ARS) d’Ile­de­France de dé­
but avril, dont nous avons eu
connaissance. « Ces données con­
firment celles publiées dans des
études chinoises, italiennes ou es­
pagnoles, qui montrent un taux
de mortalité de 15 % à 30 % chez les
patients dialysés »
, confirme Ber­
trand Knebelmann, néphrologue
à l’hôpital Necker. Des chiffres
plus élevés que la mortalité dans
la population générale, d’environ
3 %, ce taux étant très variable se­
lon les pays.
Une première alerte avait été
lancée, le 25 mars, par trois méde­
cins du service de néphrologie et
de dialyse de la polyclinique Saint
Côme & La Dialoise de Compiè­
gne (Oise), premier cluster fran­
çais du coronavirus. « Sur les 110
patients pris en charge, 15 ont été
infectés par le Covid­19, dont cer­
tains au centre ou lors du trajet
pour s’y rendre. Parmi eux, sept
sont décédés »
, avaient indiqué les
trois médecins néphrologues du
service dans un message publié
sur le site de la Société franco­
phone de néphrologie, dialyse et
transplantation (SFNDT).
D’autres alertes ont également
été données par des centres de la
région parisienne.
Les patients dialysés (50 000 en
France) sont en effet très exposés
à une atteinte sévère et mortelle
du Covid­19. Souvent âgés – l’âge
médian est de 71 ans en France –,
ils sont fréquemment porteurs
de plusieurs facteurs de risque
(hypertension, diabète, maladies
cardiovasculaires...).
De plus, ils sont obligés de se
rendre dans un centre de dialyse
trois fois par semaine, pour des
séances de quatre à cinq heures,
afin de procéder à l’hémodialyse
(épuration du sang). Ils sont de
fait exposés à un risque de conta­
mination en raison de la promis­
cuité avec les autres patients et
parce qu’ils viennent le plus sou­
vent en transport collectif, taxi,
ambulance... parfois à 2 ou 3 per­
sonnes. Et les contacts entre le
personnel soignant, les agents de
transport et les malades sont fré­
quents et rapprochés.
« Les patients que nous soignons
sont fragiles. C’est pourquoi tou­
tes les mesures barrières, les pré­
cautions de prise en charge dans
les centres de dialyse pour les pa­
tients transplantés doivent être
appliquées avec la plus grande ri­
gueur »
, a écrit la SFNDT dans un
communiqué le 3 avril. De
même, les autorités sanitaires,
les sociétés savantes, euro­
péenne (EDTA­ERA) et améri­
caine, exigent des mesures bar­
rières pour minimiser le risque
de transmission du Covid­19 du­
rant les séances de dialyse.
Mais ces mesures n’étaient pas
respectées partout, en raison du
manque de matériel. Guy Rosto­
ker, néphrologue à l’hôpital privé
Claude­Galien (Ramsay­Santé) à
Quincy­sous­Sénart (Essonne),
avait alerté, dès le 21 mars, sur la
gravité de la situation dans les
établissements de santé de ni­
veau 3 (l’ensemble du monde as­
sociatif, des centres hospitaliers
généraux et des établissements
privés lucratifs), qui prennent en
charge environ deux tiers des pa­
tients en hémodialyse en France.
« Jusqu’au 23 mars, les masques
chirurgicaux pour les patients hé­
modialysés et les masques FFP
pour les soignants de dialyse au
contact de patients Covid + étaient
distribués au compte­gouttes, et
cela, même pour les services de
réanimation »,
décrit Guy Rosto­
ker. La situation a heureusement
changé depuis.
Dans son centre de dialyse, qui
compte 135 patients, 18 sont infec­
tés par le Covid­19, et 4 étaient dé­
cédés vendredi 3 avril. « Je n’ai ja­
mais vu ça de ma vie
, constate
Guy Rostoker, on est dans une mé­
decine de guerre et de tri »
.
« Peur bleue de ce foutu virus »
Cette pénurie a eu, selon ce spé­
cialiste, de graves conséquences
sur la population fragile des pa­
tients hémodialysés, que l’on
mesure aujourd’hui et sans
doute dans les prochains jours.
La situation serait assez préoccu­
pante en Seine­Saint­Denis,
craint Renaloo, qui avait, elle
aussi, alerté le ministre de la
santé, Olivier Véran, le 22 mars,
sur les risques de pénurie de
masques pour les patients. Après
plusieurs alertes, des masques
vont être destinés aux personnes
hémodialysées et aux structures
de dialyse qui en manqueraient
ces prochains jours.
Plusieurs néphrologues franci­
liens redoutent toutefois « une ef­
froyable mortalité des insuffi­
sants rénaux dialysés lors du prin­
temps 2020 »
. Les témoignages
d’inquiétude de ces malades se
multiplient. « J’ai une peur bleue
de ce foutu virus, j’ai la peur au
ventre »
, dit une patiente. « Les
chauffeurs qui nous accompa­
gnent ne portent pas de masque,
pourquoi? »
, interrogent plu­
sieurs patients.
Pourtant, les recommanda­
tions, notamment des Center for
Disease (CDC) américains, pré­
voient clairement un seul patient
par véhicule, le port du masque
par le chauffeur et le patient et
une désinfection complète entre
chaque trajet. De même, la délé­
gation départementale des Alpes­
Maritimes de l’ARS PACA, relayée
par l’association de patients
France Rein PACA, a émis des re­
commandations strictes sur un
transport individuel.
« Ces recommandations de me­
sures barrières sont essentielles,
mais il y a un monde entre leur
mise en œuvre et les moyens dont
disposent certains centres, notam­
ment le manque de masques au
début de la pandémie »
, regrette le
professeur Knebelmann. « Les
mesures barrières les plus rigou­
reuses auraient pu être mises en
œuvre plus précocement : le fil­
trage, l’information des patients,
les masques pour tous, l’interroga­
toire dirigé, les mesures de tempé­
rature, selon les recommanda­
tions formulées à Wuhan
[Hubei,
en Chine] ou par le CDC » , expli­
que Frank Martinez, néphrologue
à l’hôpital Necker.
En outre, « il serait aussi souhai­
table de tester tous les soignants
en unités de dialyse, tout comme
les patients dialysés qui vivent en
Ehpad, pour éviter des contamina­
tions »
, préconise Lionel Ros­
taing, néphrologue au CHU de
Grenoble.
Pour autant, « il semble qu’il y a
eu peu de contaminations inter­
nes en centres de dialyse, habitués
depuis longtemps à être très vigi­
lants, qui ont une culture de
l’asepsie au regard des virus et
d’agents pathogènes »
, tempère
Christian Combe, néphrologue
au CHU de Bordeaux et ancien
président de la SFNDT. Autre in­
quiétude, plusieurs infirmières
et néphrologues sont malades,
parfois hospitalisés ou même en
réanimation. Très spécialisés, ces
personnels soignants sont diffi­
ciles à remplacer.
pascale santi
LES PATIENTS DIALYSÉS 
(50 000 EN FRANCE). 
SOUVENT ÂGÉS – L’ÂGE 
MÉDIAN EST DE 71 ANS
EN FRANCE – SONT 
FRÉQUEMMENT PORTEURS 
DE PLUSIEURS
FACTEURS DE RISQUE

dité, prédispose aux formes sévères », s’inter­
roge Mme Clément. L’autre question qui
préoccupe la nutritionniste et ses confrères
est celle de la possible susceptibilité accrue
des personnes obèses à l’infection au nou­
veau coronavirus. « Pour certains virus grip­
paux, il a été montré que les patients avec un
IMC élevé ont une durée de portage viral plus
longue, mais pour le SARS­CoV­2, on ne sait
pas »
, souligne la professeure.
Dans des recommandations, l’Afero et
d’autres sociétés savantes insistent sur l’im­
portance du confinement et des mesures
barrières pour ces patients. « Les messages de
prévention sont cependant souvent difficiles
à faire passer dans l’ensemble de la popula­
tion, et en particulier dans les populations
vulnérables sur le plan socio­économique,
deux à trois fois plus touchées par l’obésité »,

rappelle M. Ziegler. La question est aussi po­
sée d’arrêts de travail préventifs pour les per­
sonnes avec une obésité sévère dont les con­
ditions de travail ne permettent pas de res­
pecter les mesures barrières.
sandrine cabut
L’INQUIÉTUDE MAJEURE 
POUR LES PATIENTS 
EST, DE FAIT, 
DE NE PAS ÊTRE ADMIS
DANS LES SERVICES
DE RÉANIMATION,
QUI DOIVENT FAIRE
DES TRIS EN RAISON
DE LA PÉNURIE DE LITS

Free download pdf