Le Monde - 08.04.2020

(Marcin) #1

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MERCREDI 8 AVRIL 2020 coronavirus | 9


A moyen terme, un enjeu sera de ne pas refaire
l’erreur de 2011­2012, lorsque l’ajustement bud­
gétaire, à l’époque à travers les hausses d’im­
pôts, a fortement pénalisé la consommation ».
Philippe Aghion, professeur au Collège de
France, plaide pour « cibler les plus fragiles,
comme les travailleurs intermittents et les
emplois précaires, et reprendre le contrôle de
nos chaînes de production dans les secteurs
stratégiques ». Pour Xavier Ragot, président
de l’OFCE, « la question du plan de relance n’est
pas forcément la bonne. Le sujet, c’est de ne pas
sortir trop vite des dispositifs actuels de sou­
tien aux ménages, comme le chômage partiel.
Ensuite, il faudra rassurer et inciter les Fran­
çais à retourner dans les magasins. Et remettre
sur pied une véritable politique industrielle. »
« Ce qui pourrait empêcher que l’économie
reparte, ce sont les entreprises qui vont mettre
en place des plans d’économies et dire : j’arrête
d’embaucher, je coupe mes investissements »,
s’inquiète Patrick Artus, chez Natixis, qui
plaide pour une baisse des impôts de
production, ces taxes qui touchent le chiffre
d’affaires des entreprises, même si elles ne
font pas de bénéfices – un chantier cher au
ministre de l’économie mais toujours
repoussé par l’Elysée jusqu’à présent.

« RÉÉQUILIBRAGE DES COMPTES PUBLICS »
« L’investissement des entreprises sera la prio­
rité absolue », a indiqué Bruno Le Maire
au Journal du dimanche , le 5 avril, assurant
qu’ « on ne relance pas une économie en aug­
mentant les impôts ». « Le sérieux budgétaire
n’est jamais vain », a pour sa part précisé le
premier ministre, Edouard Philippe, jeudi
2 avril sur TF1. Prémices d’un retour à l’ortho­
doxie budgétaire après la crise? Délicat de le
dire, estiment les économistes. « Aujourd’hui,
Matignon est plutôt sur les sujets régaliens. La
bande passante sur les questions économi­
ques, elle est à l’Elysée et à Bercy », se rassure
un participant aux réunions du lundi.
Interrogé lundi sur France 2 sur la pour­
suite de la suppression de la taxe d’habita­
tion pour les 20 % les plus aisés, qui doit
commencer par tiers en 2021, Bruno Le
Maire a précisé que « les politiques fiscales
que nous avons définies depuis le début du
quinquennat sont celles auxquelles nous res­
tons attachés [et] sont maintenues. »
« On ne pourra pas tenir indéfiniment un
déficit à 6 % ou 7 % du PIB. A un moment, il
faudra un processus de rééquilibrage des
comptes publics », nuance Denis Ferrand.
Tout en concédant qu’ « après les “ gilets jau­
nes ” , ceux en première ligne sont une fois de
plus les derniers de cordée. Il faudra que la
solidarité nationale s’exprime autrement que
par des applaudissements à 20 heures. » 
audrey tonnelier

Bruno Le Maire,
entouré de
ses conseillers,
à Paris,
le 16 mars.
ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

LR veut débattre du « déconfinement


économique » au Parlement


Le parti Les Républicains redoute plus que tout les conséquences de la crise sanitaire
due à l’épidémie de Covid­19 sur les caisses de l’Etat et des entreprises

J


amais économistes ou politi­
ques n’ont été confrontés à
pareille situation. Des mil­
lions de personnes confinées,
des pans entiers de l’économie à
l’arrêt et un virus qu’on ne sait
toujours pas traiter. « C’est tout
simplement une terra incognita » ,
souffle Gilles Carrez, député Les
Républicains (LR) du Val­de­Marne
et ex­président de la commission
des finances de l’Assemblée natio­
nale. Une terre inconnue, certes,
mais de plus en plus effrayante
pour les responsables politiques
de droite, qui font état de remon­
tées de terrain « catastrophiques » ,
selon les mots de Damien Abad,
député de l’Ain et président du
groupe LR au Palais­Bourbon.
A tel point que certains com­
mencent à s’interroger en off sur
la durée du confinement, dont
chaque jour supplémentaire dé­
route un peu plus l’économie. Les
notes des spécialistes ne sont pas
réjouissantes, qui prédisent des
scénarios plus noirs les uns que
les autres avec des taux de réces­
sion quasi inédits. Le ministre de
l’économie, Bruno Le Maire, n’a­
t­il pas reconnu lui même, lundi
6 avril devant le Sénat, que la crise
qui attendait le pays serait la pire
depuis 1945? « C’est extrêmement
difficile et impensable pour l’ins­
tant car il faut confiner, mais il va
peut­être falloir à un moment ar­
bitrer entre des millions de chô­
meurs et des milliers de morts » ,
commente un élu. « L’intérêt sani­
taire de tous va finir par cogner
contre l’intérêt économique de
tous » , souffle, inquiet, un autre.
Plus mesurés, Damien Abad et
Eric Woerth, député de l’Oise et
président de la commission des fi­
nances de l’Assemblée nationale,

souhaiteraient que le gouverne­
ment consente à un « débat sur le
déconfinement économique » avec
le Parlement. Et ce peut­être dès la
seconde moitié d’avril.
« C’est le choix de Sophie et il n’y a
tout simplement pas de bon
choix » , affirme Eric Woerth, pour
qui la priorité est « évidemment
sanitaire ». Pour autant, il faudra,
selon l’ancien ministre du
budget, combiner un « déconfine­
ment intelligent avec la nécessité
économique ».
Pour le président du groupe LR
au Sénat, Bruno Retailleau, in­
quiet lui aussi des conséquences
économiques de la crise sanitaire
en cours, la question du déconfi­
nement ne se pose pas non plus
pour l’instant, tant la catastrophe
épidémique demeure aiguë. Mais
lui aussi souhaiterait qu’elle soit
débattue à l’Assemblée et au Sé­
nat. « Ils ont pensé à inscrire dans
la loi d’urgence sanitaire une date
pour faire le point sur le second
tour des municipales, mais pas
pour discuter de la sortie du confi­
nement » , regrette le sénateur LR
de Vendée. Jamais le couple exé­
cutif n’aura eu, ces dernières an­
nées, à prendre décision « plus pé­
rilleuse et plus difficile » , reconnaît
l’élu pour qui « un mauvais décon­
finement, et c’est la catastrophe
épidémiologique et économique ».
Ministre du budget pendant la
crise de 2008, Eric Woerth estime
qu’il faut penser un « déconfine­
ment économique progressif, où le
progressif doit être le plus court
possible ». La France n’est pas,
rappelle­t­il, une économie de
guerre à monoproduction et doit
maintenir son appareil productif
à flot afin de créer des richesses le
moment venu. « D’où l’intérêt de

ne pas tout arrêter non plus main­
tenant » , contrairement à ce que
font les Italiens, insiste­t­il.
D’autant, rappellent certains à
droite, que l’Etat perd chaque jour
de l’argent avec « les recettes fisca­
les qui ne rentrent plus et le
chômage partiel, qui évite les li­
cenciements, mais coûte très cher
chaque semaine de plus à la
collectivité » , explique un élu.
« La situation est très difficile
pour beaucoup, s’alarme Damien
Abad. Les pâtissiers, qui sont un
exemple parmi d’autres, ont le
droit d’ouvrir et n’ont donc pas
accès au chômage partiel, et pour­
tant leur chiffre d’affaires s’effon­
dre et ce ne sont pas les seuls. »

« Effet mémoire »
Pour tous, une chose est certaine :
il faudra coûte que coûte demeu­
rer au chevet de l’économie et ne
pas arrêter les plans de relance à la
sortie. Tous craignent en effet que
les choses ne reprennent pas leur
cours tout de suite. Que les car­
nets de commandes, aujourd’hui
vides, de certaines entreprises ne
se remplissent que très lente­

ment. Sans compter la consom­
mation des ménages qui pourrait,
craignent­ils, ne pas repartir de si­
tôt. « Il faut faire attention à l’effet
mémoire qui ne doit pas l’emporter
sur l’effet défouloir, si les ménages
ont le souvenir de la crise et ne se
sentent pas encore rassurés, ils ne
consommeront pas... » s’inquiète
Bruno Retailleau. « Ce ne sera pas
l’eldorado tout de suite, ceux qui
ont différé un gros achat ne vont
pas se précipiter au déconfine­
ment » , prévient Damien Abad.
Dans ce contexte, le président
du groupe LR à l’Assemblée sou­
haiterait que l’Etat mette en place,
au lieu d’un simple report, un
abandon pur et simple des char­
ges pour les entreprises. Les arti­
sans et les indépendants doivent
selon lui attirer particulièrement
l’attention du gouvernement.
Tous sont d’accord sur la néces­
sité de rassurer en multipliant les
tests et en distribuant des mas­
ques. « La santé passe en premier
quoi qu’il arrive, explique Xavier
Bertrand, président de la région
Hauts­de­France. Je commande
des masques avec en tête les soi­
gnants, bien sûr, mais aussi afin
d’assurer la sécurité de tous en fin
de crise, afin qu’ils puissent retra­
vailler et aider à relancer l’écono­
mie. » Pour stimuler la demande,
Julien Aubert, député de Vaucluse,
imagine un système où « la BCE
[Banque centrale européenne]
pourrait injecter directement aux
Etats de l’argent gratuit, via les
banques publiques ou le budget
des Etats (allègement massif de fis­
calité) afin d’avoir du pur finance­
ment monétaire de la dette, donc
de la planche à billets ». « Il va fal­
loir revoir tout ceci », prévient­il.
sarah belouezzane

Au sein de la population française,


le confinement fait consensus


Un sondage réalisé par l’IFOP pour le projet Coconel montre que la plupart des sondés
approuvent les mesures, mais s’inquiètent déjà « de conséquences économiques désastreuses »

S


i le confinement fait globa­
lement consensus en
France, avec 88 % de person­
nes estimant « qu’il s’agit du seul
moyen efficace pour lutter contre
l’épidémie » , la perception de cette
mesure et de ses effets diffère
selon l’âge et le niveau de revenus.
C’est ce que montrent deux en­
quêtes – transmises à la direction
générale de la santé, jeudi 2 avril et
mardi 7 avril – du projet Coconel
(Coronavirus et confinement : en­
quête longitudinale), qui réunit
des chercheurs de l’unité mixte de
recherche Vitrome, du centre d’in­
vestigation clinique Cochin­Pas­
teur, de l’Ecole des hautes études
en santé publique et de l’observa­
toire régional de la santé Proven­
ce­Alpes­Côte d’Azur. Ces deux en­
quêtes ont été réalisées par l’IFOP,
sur un échantillon d’un millier de
personnes, du 27 au 29 mars pour
la première vague, soit dix jours
après l’annonce du confinement,
puis du 31 mars au 2 avril.
Les jeunes se montrent plus
réservés sur l’idée que le confine­
ment est le seul moyen efficace,
80 % chez les 18­25 ans, contre 94 %
chez les plus de 65 ans. Il est aussi
jugé « excessif » par un quart d’en­
tre eux. Près de la moitié des jeu­
nes interrogés (48 %) mettent en
avant la « restriction sur les libertés
individuelles », contre seulement
un tiers chez les plus de 65 ans.

Les différences sont moindres
entre les femmes et les hommes,
même si les premières sont un
peu plus nombreuses à considé­
rer le confinement comme le seul
moyen efficace, 91 % contre 86 %
des hommes. Celles­ci sont aussi
davantage convaincues que le
confinement « va provoquer des
drames familiaux » , 80 %, contre
73 % chez les hommes.
« On constate aussi une diffé­
rence notable d’appréciation sur le
confinement entre les bas revenus
[les 25 % du panel avec les revenus
les plus faibles] et les hauts revenus
[les 25 % avec les plus élevés] , les
premiers se montrant plus criti­
ques sur le confinement. Ce qui
peut s’expliquer, car les conditions
dans lesquelles ces ménages le
vivent sont plus difficiles que pour
les familles les plus aisées » , expli­
que Patrick Peretti­Watel, sociolo­
gue, directeur de recherches à l’In­
serm et coordinateur scientifique
du projet Coconel. Les bas revenus
sont ainsi 81 % à considérer le con­
finement comme le seul moyen
efficace, 93 % pour les hauts reve­
nus. Ils sont aussi 58 % à estimer
qu’il restreint trop les libertés in­
dividuelles, contre 13 % seulement
des hauts revenus, et ils sont 35 %
à le trouver excessif, pour seule­
ment 10 % chez les plus aisés.
Le confinement ne s’impose pas
de la même manière aux Français.

L’étude souligne que 91 % des en­
quêtés se trouvent dans leur do­
micile habituel, 63 % vivant dans
une maison individuelle et 36 %
dans un immeuble collectif. Là en­
core, on retrouve une différence
importante entre les bas revenus
et les hauts revenus, puisque 56 %
des premiers déclarent être en
chômage partiel ou en arrêt mala­
die, 30 % travaillant à plein temps
ou à temps partiel, et seulement
14 % en télétravail. La proportion
s’inverse chez les hauts revenus,
47 % sont en télétravail, 28 % au
chômage partiel ou en arrêt mala­
die et 25 % se rendent à leur tra­
vail. Mais pour la quasi­totalité
des enquêtés (93 %), le confine­
ment « a déjà des conséquences
économiques désastreuses ».

« Matraquage médiatique »
Alors qu’une personne sondée
sur dix se dit « touchée par l’infec­
tion, personnellement ou parmi
ses proches » , l’épidémie affecte
fortement l’état psychique de la
population générale. « Pour la
grande majorité qui n’est pas
directement atteinte, l’épidémie
est virtuelle, mais la situation est
très traumatisante, avec le matra­
quage médiatique, les chiffres quo­
tidiens sur les milliers de morts » ,
avance le coordinateur de l’étude.
Résultat, 37 % des enquêtés pré­
sentent des signes de détresse

psychologique, plus fréquents
chez les femmes (42 % contre 32 %
chez les hommes). Trois adultes
sur quatre rapportent aussi des
problèmes de sommeil, les
18­35 ans étant plus sensibles. Les
plus vulnérables, en recherche
d’emploi ou confrontés à des dif­
ficultés financières, sont respecti­
vement 93 % et 78 % à rapporter
des troubles du sommeil.
L’autre point notable, et surpre­
nant, pour Patrick Peretti­Watel,
c’est le pourcentage élevé (26 %)
de personnes déclarant que si un
vaccin existait, ils refuseraient de
se faire vacciner. « Ce refus est plus
important chez les femmes, no­
tamment les jeunes, alors que ce
sont elles, souvent, qui prennent les
décisions vaccinales pour les en­
fants. Le pourcentage de refus est
plus élevé (39 %) chez les 26­35 ans.
Un tiers environ des employés et
des ouvriers le refuseraient aussi,
alors que, chez les cadres et profes­
sions intellectuelles supérieures, le
taux de refus n’est que de 16 %. »
Pour 93 % des personnes inter­
rogées, le confinement « devra
durer encore plusieurs semaines
pour être efficace » , 80 % pensant
aussi qu’il « devra être durci pour
être efficace ». Enfin, la grande ma­
jorité des personnes interrogées
s’attend à ce que l’épidémie dure
encore de trois à cinq mois.
rémi barroux

« CE NE SERA PAS 


L’ELDORADO TOUT DE 


SUITE, CEUX QUI ONT 


DIFFÉRÉ UN GROS ACHAT 


NE VONT PAS


SE PRÉCIPITER


AU DÉCONFINEMENT »
DAMIEN ABAD
député LR de l’Ain
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