Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

20 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 21 et Dimanche^22 Mars 2020


très facile de les contacter et nous
discutons aussi avec leurs équipes
aux Etats-Unis, pour mieux com-
prendre le fonctionnement du ré-
seau et faire perdurer le phéno-
mène», précise Clarisse ­Arnou.

La «stratégie TikTok»
des labels
Certains acteurs du milieu sont
même prêts à investir de l’argent.
Beaucoup d’argent. Pour Devain
Doolaramani, 21 ans, ancien sta-
giaire chez Arista Records devenu
agent pour une vingtaine d’influ-
enceurs TikTok aux 70 millions de
followers cumulés, tout a com-
mencé par le succès du titre Old
Town Road. Depuis, ce sont entre
«dix et quinze labels ou artistes qui
prennent contact chaque jour pour
savoir combien il faudrait payer

transforme en pop star adulée sur
plusieurs continents, squatte douze
semaines d’affilée la tête du classe-
ment Billboard Hot 100 et passe
vingt-deux semaines tout en haut
de la liste des meilleures ventes de
disques aux Etats-Unis – encore
mieux que Mariah Carey à sa grande
époque. «Peut-être que je devrais
payer TikTok, ils ont vraiment dopé
le succès de la chanson», avouait-il
au magazine Time le mois où tout a
basculé. Tout ça grâce à cette simple
application.
«Cette plateforme découle directe-
ment de la culture des mèmes inter-
net, tente d’expliquer l’artiste
Breakbot, ces vidéos musicales sont
pensées comme des mèmes, sponta-
nées et souvent assez drôles.» Grâce
à ces mèmes (déclinaisons basées
sur la répétition ­parodique deve-
nant virale sur ­Internet), son titre
totem Baby I’m Yours, sorti en fé-
vrier 2010, est très récemment de-
venu disque de diamant.
«Aujourd’hui, TikTok est plus pres-
cripteur que la presse», analyse car-
rément Clarisse Arnou, gérante de
Yotanka Records (label de Kid Fran-
cescoli, Bikini Machine ou Muthoni
Drummer Queen). Grâce à son pu-
blic très jeune et à sa large audience,
l’application a «déchaîné les pas-
sions» de l’industrie musicale. «Il y
a deux mois, personne ne parlait de
TikTok, enchaîne Clarisse Arnou, et
maintenant toute l’industrie se ré-
veille !» Au point de mettre en place
des stratégies pour capitaliser sur ce
nouveau virage de la culture inter-
net. L’industrie est en plein ques-
tionnement. Comment faire pour
s’assurer que les utilisateurs de Tik-
Tok se dirigent ensuite vers les pla-
teformes de streaming afin d’écou-
ter en intégralité les titres qu’ils ont
utilisés dans l’application? Et qu’ils
remplissent aussi les salles de con-
cert? Pour ne pas être chahutée par
le hasard, la gérante de Yotanka Re-
cords est déjà en lien avec l’un des
responsables de TikTok. «C’était

toire Lovers, le dernier album de
Kid Francescoli, avec le titre Moon
en bonus.

«Plus prescripteurs
que la presse»
L’Américain Lil Nas X, 20 ans tout
juste, a vécu la même aventure
quand son morceau Old Town Road
a été repris par plusieurs «influen-
ceurs» de l’application. Accompa-
gnés par la rythmique country de la
chanson, des millions d’adolescents
sont devenus des cow-boys devant
leur écran, costume plus ou moins
élaboré en soutien. Lil Nas X, lui, se

tu as remarqué que ton titre Moon
est devenu viral sur TikTok ?” Du
coup, je suis allé voir... et j’ai hallu-
ciné !» A la fin 2019, 100 000 vidéos
avaient déjà été publiés avec le titre
de Kid Francescoli et le hashtag
#anditwentlike. «Aujourd’hui, on
en est à 380 000 vidéos produites
sur ce modèle et 210 millions de vues
cumulées», précise le musicien
dans un petit rire. Sur les platefor-
mes de streaming, le nombre
d’écoutes du morceau d’origine
bondit rapidement à 35 millions et
de puissants labels américains pro-
posent alors de sortir sur leur terri-

L


es vidéos débutent pres-
que toutes de la même
manière : quelques no-
tes de musique electro,
une personne face à la caméra de
son smartphone et un peu de texte
en surimpression. Et puis soudain,
on entend les paroles d’une chan-
son : «And it went like...» («et ça s’est
passé ainsi...»). Arrivent alors des
vidéos d’une quinzaine de secondes
de vacances à travers le monde, de
selfies approximatifs ou une série
de photos pixélisées. Des images
tournées et montées par des collé-
giens débordant d’enthousiasme et
impatients de raconter au monde la
petite aventure qui leur est arrivée,
qu’importe si elle n’est pas toujours
bien passionnante ou jolie à regar-
der. En fond sonore, toujours sur le
même habillage : Moon, du Mar-
seillais Mathieu ­Hocine, plus connu
sous le nom de Kid Francescoli. Un
morceau sorti en 2017 sur l’album
Play Me Again.
L’application utilisée pour ces vi-
déos s’appelle TikTok. Elle a été té-
léchargée plus de 1,3 milliard de fois
depuis sa création en 2016, dont
738 millions au cours de la seule an-
née 2019, deux ans environ après le
rachat et la fusion avec la plate-
forme Musical.ly pilotée par la so-
ciété chinoise ByteDance et l’entre-
preneur à sa tête, Zhang Yiming.
Le concept de TikTok : permettre
de créer et de partager ses propres
clips vidéo sur ses musiques favori-
tes en se filmant en train de chanter
et de danser comme dans un kara-
oké. Rapidement, TikTok est de-
venu l’outil favori des moins de
25 ans pour produire des vidéos
musicales humoristiques et un ré-
seau social hyperfréquenté pour se
les échanger.
«J’ai reçu un message d’un fan sur
Instagram, raconte Kid Frances-
coli. Il disait : “Hey mec, est-ce que

Par
Lucas Minisini

Sur TikTok, on prend


les mèmes et on danse


Entre karaoké et danse, les clips vidéo ultracourts et souvent


drôles postés sur l’appli chinoise peuvent faire exploser


une carrière en quelques heures. L’industrie du disque tente


de suivre le mouvement et de s’adapter à cette nouvelle


machine à faire des tubes.


Vidéos tournées sur le titre

La chaîne TikTok de la blogueuse Laurie Elle. dR
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