Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

Libération Samedi 21 et Dimanche 22 Mars 2020 u 21


bras. Sur place, l’équipe de l’appli-
cation a préparé une liste de
­conseils : réaliser des vidéos de 12 à
15 secondes, veiller à maintenir une
bonne luminosité, garder un œil sur
les tendances et les hashtags et, sur-
tout, ne «jamais mettre plus de trois
hashtags par vidéo». Ensemble, ils
ont étudié chiffres de croissance et
développement de l’audience, ce
qu’aucune autre application ne lui
avait proposé jusque-là. «TikTok
m’aide énormément, explique-t-il.
Ils ajoutent mes titres dans des play-
lists sponsorisées, m’invitent dans
des événements exclusifs et ils me ca-
lent même des dates de concert !»
Grâce à cette série de coups de
pouce, Supa Dupa a notamment
joué devant 10 000 personnes à
l’université du Colorado, à Boulder,
à l’été 2019. Un soutien pas tout à
fait surprenant.

Bientôt dans
le streaming?
Selon l’agence de presse Bloom-
berg, TikTok prévoirait de lancer sa
propre plateforme de streaming.
Des contrats auraient déjà été
­signés avec deux des plus influents
labels de musique en Inde, et des
­licences d’exploitation ont été né-
gociées avec Merlin (une organisa-
tion rassemblant des labels indé-
pendants dont la mission est de
signer des accords avec les grands
acteurs du Net) et plusieurs mai-
sons de disques à travers le monde.
Ce n’est pas donc pas un hasard si
la directrice du contenu musical et
des relations avec les artistes est
une ancienne ponte de la recherche
de nouveaux talents chez Capitol
Records. «TikTok compte bien lan-
cer des carrières, raconte Devain
Doolaramani, et plusieurs artistes
ont déjà décollé grâce à eux, comme
Arizona Zervas ou LoveLeo.» Sueco
the Child, un artiste de 22 ans, a
­notamment signé un contrat à
six zéros chez Atlantic ­Records
grâce à une série de titres postés via
l’application.
«Si on pense trop à comment rendre
sa musique virale, ça peut changer
sa manière de composer», souligne
Kid Francescoli. Il cite l’exemple de
la chanteuse américaine Tierra
Whack, 24 ans, qui a sorti un album
entier de titres d’une trentaine de
secondes, car après cette durée «les
gens zappent et passent à autre
chose». Supa Dupa avoue, lui, qu’il
«garde toujours les réseaux sociaux
en tête» quand il travaille sur un
nouveau titre. Tout va vite, alors il
faut en profiter. Grâce à son succès
sur la plateforme, Kid Francescoli
a pu signer pour une tournée
­américaine. New York, Chicago,
Los Angeles, et même San Fran-
cisco. «Le rêve», sourit-il. Les dates
avaient été calées avant le début de
l’été et sont évidemment au-
jourd’hui remises en question.
L’idée était de réagir vite : le nom-
bre de vidéos, de vues et de hash-
tags aurait déjà commencé à bais-
ser. Pire, des parodies auraient
commencé à faire surface sur Tik-
Tok. «Il faut prendre ce qu’il y a à
prendre, mais garder en tête le côté
instantané d’Internet.» Il s’arrête.
«Tout ça peut faire feu de paille et
disparaître très vite.»•

pour que leur chanson soit utilisée
dans une vidéo TikTok», détaille-
t-il. Kio Cyr, une jeune «star» de
TikTok aux 4,2 millions de follo-
wers, demanderait par exemple
3 000 dollars pour faire figurer un
titre dans l’une de ses nombreuses
vidéos quotidiennes. Depuis quel-
ques mois, Devain Doolaramani est
formel : «Tous les labels ont désor-
mais mis en place une “stratégie
TikTok” dans leur service marke-
ting.» Il marque une pause. «Même
si le lien entre l’application et les ar-
tistes est souvent ­direct.»
Supa Dupa aimerait créer de «l’or
pour TikTok». Pour cela, le rappeur
de 27 ans basé à New York n’a pas
hésité à faire le déplacement dans
les bureaux californiens de la so-
ciété, un unique album et des cen-
taines de mèmes en vidéo sous le

La pochette


Aliocha
Naked
(Audiogram/
The Orchard)

Le photographe. «Le titre de
l’album m’a donné l’idée de la
pochette. Je suis ami avec André
Turpin, un grand chef opérateur
québécois qui a travaillé avec Xa-
vier Dolan ou Denis Villeneuve.
Sur son compte Instagram, il
poste des photos de lui nu dans
des endroits improbables. Sou-
vent, ce sont ses amis qui le
prennent et, deux fois, il m’a pro-
posé de le faire. Comme j’étais en
train de réfléchir aux visuels de
l’album, je lui ai demandé lors
d’une soirée si je pouvais lui pi-
quer son idée. Il m’a répondu :
pas de problème. Finalement, je
lui ai proposé de prendre lui-
même les photos, pour Naked
mais aussi pour les singles Peggy
(Stone Breaker) et The Party,
pour lesquels on a décliné cette
même idée de moi nu.»

Aliocha : «Ma liberté


face aux nouvelles


censures»


Auteur d’une subtile pop lumineuse
et élégante sur son second album, «Naked»,
le Franco-Canadien Aliocha Schneider se met
à nu en paroles et en musiques, mais également
sur la pochette. Il nous raconte pourquoi.

L’attitude. «Je rencontre
beaucoup de réactions
différentes sur la manière
dont je suis allongé sur la
photo. Certains y voient
quelque chose de mor-
bide, alors que ce n’est pas
du tout le cas. C’est plus
un abandon. Comme si
j’étais posé sur une autre
planète.»
Recueilli par
Patrice Bardot

La nudité. «Le fait d’être nu apporte
quelque chose de bizarre qui colle égale-
ment avec ma musique. C’est aussi irré-
vérencieux parce qu’on voit mon cul.
N’importe quel autre label aurait voulu
que je montre ma tronche, mais c’était
surtout ce que je désirais éviter. Et puis,
dans la nudité, il y a une idée de simpli-
cité mais aussi de liberté. Notamment
face à la censure qui existe sur les ré-
seaux sociaux. Mais je crois que plus elle
est forte, plus on a envie de braver les in-
terdits. D’ailleurs, j’ai vu que la pochette
de Grae de Moses Sumney était aussi
basée sur le même principe. Ce n’est pas
un hasard : en tant qu’artistes, nous
avons besoin d’affirmer notre liberté
face à cette nouvelle forme de censure.»

«J’ai reçu un
message d’un fan

sur Instagram.


Il disait : “Hey mec,


est-ce que tu as


remarqué que ton
titre “Moon” est

devenu viral sur


TikTok ?” Du coup,


je suis allé voir...


et j’ai halluciné !»
Kid Francescoli
dont le morceau de 2017
a déjà été repris dans
380 000 vidéos TikTok

de Jackboys et Travis Scott Out West, ft. Young Thug. dr


La prise de vues. «On s’est
plus amusé sur le shoot de The
Party, le premier single, où j’ai
été photographié à l’aube devant
une maison d’un quartier aisé de
Montréal. On avait rapporté une
bouteille de vin, une vieille télé,
un canapé léopard que j’avais
chez mes parents, et on a pris
cette photo avant que les gens ne
se lèvent. Pour la pochette de
l’album, cela s’est fait en studio
sur un drap, car nous n’avons pas
trouvé d’espace naturel aussi
immaculé. Tout ce blanc, cette
impression de pureté, cela cor-
respond à ce que je veux expri-
mer dans mes chansons. Je n’es-
saie pas de vendre autre chose
que ma musique.»
Free download pdf