Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

Libération Samedi 21 et Dimanche 22 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3


U


n drone muni d’un haut-parleur sur-
veille la baie des Anges, invitant ceux qui
pourraient se croire en vacances à ren-
trer chez eux. En ce premier week-end de prin-
temps, la plage de Nice est fermée au public,
comme beaucoup d’autres en France. Malgré ce
genre de mesures, le ­gouvernement constate
que le ­confinement reste insuffisamment res-
pecté. Trop de Français, profitant du beau
temps, prennent les consignes «à la légère», a re-
gretté Emmanuel Macron après une visite à
l’Institut Pasteur, à Paris.

Dilemme
Après l’exode loin de la capitale, juste avant l’en-
trée en vigueur des mesures de «distanciation
sociale», la maire de Paris, Anne Hidalgo, et le
préfet de police Didier Lallement ont rappelé
vendredi dans un communiqué commun qu’un
départ en week-end ne saurait tenir lieu de déro-
gation. Les contrevenants se verront infliger une
amende de 135 euros pour «violation des inter-
dictions de se déplacer hors de son domicile».

A Paris, en plus des parcs fermés depuis lundi,
tout dépla­cement ou rassemblement sera pros-
crit dans «certains secteurs» où «la fréquentation
demeure beaucoup trop importante» : les voies
sur berges, les pelouses de l’esplanade des Inva-
lides et du Champ-de-Mars seront inaccessibles
ce week-end. En fin de semaine, plusieurs per-
sonnes verbalisées pour multiples sorties non
justifiées ont été placées en garde à vue pour
«mise en danger de la vie d’autrui» dans le Pas-
de-Calais et en Seine-Saint-Denis. Vendredi
midi, sur les réseaux sociaux, de nombreux in-
ternautes ont partagé des images de foule déam-
bulant sur des marchés alimentaires, lesquels
devraient être maintenus. Une illustration du
dilemme que s’efforcent de gérer les autorités :
imposer un confinement sévère tout en encou-
rageant certains secteurs, notamment celui de
l’alimentation, à poursuivre leurs activités.
Dans les milieux médicaux, des voix de plus en
plus nombreuses se font entendre pour exiger
une mise sous cloche à la chinoise de la popula-
tion, ce qu’aucun pays européen n’a envisagé.
«C’est un confinement total et absolu de l’ensem-
ble de la population dont nous avons besoin [...].
Vous devez cesser les demi-mesures et les discours
équivoques», soutient le principal syndicat des
internes de médecine, jugeant néfaste le main-
tien des transports en commun et l’autorisation
de certaines sorties. Selon le président des mé-

decins de France, Jean-Paul Hamon, lui-même
contaminé, il est impossible de «demander aux
Français de rester confinés chez eux tout en leur
demandant d’aller travailler : les gens ne com-
prennent pas». S’appuyant sur l’avis des scienti-
fiques, l’exécutif maintient qu’il est «absolument
compatible et nécessaire de mêler les deux» : dis-
tanciation ­sociale mais activité économique.
«L’Italie tourne à 90 %», a fait valoir la secrétaire
d’Etat Agnès Pannier-Runacher vendredi.

«Patience»
Conscient que son message de fermeté est en-
core loin d’avoir produit tous ses effets, le gou-
vernement martèle que la France n’est encore
qu’au «début de la crise» et prépare les esprits
à un confinement plus long que les quinze jours
annoncés. «Il est assez probable que nous soyons
obligés de le prolonger», a ­expliqué sa porte-pa-
role, Sibeth Ndiaye. Mais la mise en place d’un
couvre-feu n’est «pour l’instant pas envisagée».
Selon plusieurs spécialistes, il sera vraisembla-
blement nécessaire d’interdire les déplace-
ments pendant six semaines au minimum. «Il
faut de la patience. Nous sortirons du confine-
ment quand le virus ne circulera plus», insiste
le ministre de la Santé, Olivier Véran, dans le Fi-
garo. Dans la nuit de jeudi à vendredi, il a été
bousculé au Sénat lors de l’examen du projet de
loi d’urgence face au coronavirus. L’opposition
l’a bombardé de questions sur la «catastrophi-
que» pénurie de masques (lire pages II-V). Véran
a fait valoir que la disparition des stocks résul-
tait de décisions politiques et d’un «changement
de doctrine» remontant aux années 2011 et 2013.
L’unité nationale dont se réclame depuis plu-
sieurs jours l’ensemble de la classe politique est
loin d’avoir installé le consensus.
Alain Auffray

l’un ni l’autre ne s’occupent beau-
coup. Ils s’ennuient, essaient de tra-
vailler sans succès. Leur inaction,
d’une certaine façon, les occupe.
Assumer de perdre du temps,
est-ce aussi contrevenir à ce qui
nous est habituellement im-
posé?
Le capitalisme est associé à l’idée
que le temps doit être utile. Au-
jourd’hui, nous gardons incons-
ciemment cette idée que perdre son
temps est une faute, et quand on se
laisse un après-midi sans travail, on
le fait avec le sentiment d’un plaisir
coupable. Le fait d’accepter de per-
dre son temps, de ne rien faire, est
donc une forme de résistance à un
esprit du capitalisme. C’est aussi,
sans doute, une façon de se prépa-
rer à l’avenir, car il est probable
qu’avec l’automatisation, le travail
se raréfie à l’avenir dans les sociétés
occidentales.
Le confinement est le labora-
toire d’un nouveau rapport au
temps et au travail?
Je ne veux pas dire que ce qu’on vit
est une bonne chose. Nous vivons
une espèce de catastrophe dont
nous ignorons encore l’ampleur hu-
maine, et qui aura sans doute de
grandes conséquences économi-
ques. Qu’elle soit l’occasion de re-
penser l’organisation des urgences,
de notre système de santé ou le rap-
port au travail, on peut l’espérer.
Recueilli par
Thibaut Sardier


Confinés, c’est parti


pour durer


L’interdiction de déplacement
n’étant pas suffisamment
respectée, un durcissement des
mesures et leur prolongement
sont envisagés.

Brooke DiDonato. VU
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