Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

Libération Samedi 21 et Dimanche 22 Mars 2020 u 31


Emmanuel Ruben
Jérusalem
Terrestre Inculte
«Barnum»,
190 pp., 8,90 €.

«Les esprits naïfs soutiennent que le
mur — voulu par la gauche israélienne
et réalisé par la droite — sert à empêcher
les attentats d’un côté et à décourager
la colonisation de l’autre. S’il est vrai
que les terroristes sont moins fréquents,
les colons, eux, n’ont pas l’air bien dé-
couragés. [...] Le mur sert à filtrer.
A parquer. A rejeter.»

Alberto Manguel
De la curiosité
Traduit de l’anglais
(Canada) par Christine
Le Bœuf. Babel «essai»,
518 pp., 10,80 €.

«En tant que symbole de la valeur des
biens ou services, l’argent perdit univer-
sellement sa signification peu après son
invention, devenant un simple équiva-
lent de lui-même : argent égale argent.
Les symboles littéraires et artistiques,
au contraire, permettent des explora-
tions illimitées parce que ce qu’ils sym-
bolisent est réel.»

toire et philosophie des
sciences, Michel Blay ne par-
tage pas cet avis : au con-
traire, «interroger ce “flou” et
ce “rien à dire”» est à ses
yeux un «questionnement es-
sentiel», portant sur «le sens
même de la connaissance» et
sur ce «qu’on doit appeler
“penser”». Plus encore :
«L’ouverture, dans le ques-
tionnement, à la totalité est à
la fois pensée et méditation,
interrogation sur l’énigme de
l’homme, sur son exister, sur
mon exister.» Cependant,
cette ouverture à la totalité
n’est pas une «saisie», ni la
«maîtrise conceptuelle par
l’utile et le calculable». Plutôt
un «accueil», un «laisser ve-
nir». Pour le montrer, Blay
reparcourt l’histoire du lo-
gos, de Héraclite à Giordano
Bruno, à Galilée, à Descartes


  • et arrive à faire une place à
    la poésie. R.M.


est difficile de le penser, on
peut au moins le «représen-
ter». L’infini métaphysique
renvoie à quelque chose de
plus flou, et sans doute plus
impensable encore. Ne pou-
vant s’appliquer «ni aux
nombres, ni à l’étendue», di-
sait Fontenelle, il pourrait
n’être qu’une «fausse idée»,
ne servant qu’à «nous trou-
bler et nous égarer», et sur la-
quelle il n’y a pas grand-
chose à dire. Directeur de
recherche au CNRS en his-

gressif de l’activité, long-
temps très englobante, sur la
seule question de la «sécu-
rité» publique. L’ouvrage in-
augure l’extension à des thé-
matiques particulières d’une
collection, «Références», li-
mitée jusqu’ici à la seule his-
toire de France.D.K.

Philosophie


André Pessel
Les versions du sujet
Klincksieck, 196 pp., 23,50 €
(ebook : 16,99 €).

Disparu le 18 décembre, An-
dré Pessel – inspecteur géné-
ral de l’éducation nationale,
maître de conférences à
l’Ecole normale supérieure
(sur demande de Jacques
Derrida et de Louis Althus-
ser), longtemps professeur en
classes préparatoires au lycée
Louis-le-Grand – a été, pour
beaucoup, un maître, spécia-
liste émérite de Montaigne,
Descartes, Mersenne, Spi-
noza, mêlant la rigueur du
savoir et la «douceur» de la
transmission pédagogique.
Dans les Versions du sujet, il
radiographie les «figures de la
subjectivité», ou les «décli-
naisons de l’ego» qui varient
«selon les ontologies, moniste
ou dualiste», en insistant sur
celles qui ont été proposées
par «le courant sceptique
français des XVe et XVIIe siè-
cles» et que le rationalisme
classique «a symptomatique-
ment refoulées du côté des
productions des “libertins” ou
littératuralisées sous la forme
de “curiosités”», venant de
penseurs dits «mineurs», de
Jean-Pierre Camus à Char-
ron, de Gabriel Naudé à Fran-
çois La Mothe Le Vayer. R.M.

Michel Blay
La déchirure
du penser. Essai sur
l’effacement du logos
Encre marine, 96 pp., 19 €
(ebook : 13,99 €).

L’infini est d’abord mathé-
matique, géométrique, et s’il

était cassée. De cette histoire
vraie, il a fait l’amorce d’un li-
vre à mi-chemin entre le
conte et le roman historique.
D’autres statues, humaines
cette fois, jalonnent l’ou-
vrage, comme un sombre
chemin de procession : un
médecin juif atteint de la ma-
ladie de la pierre et une vieille
comtesse à la fenêtre d’un
immeuble incendié. Dans ce
roman où la part de fiction
sait rester discrète face à
l’horreur de la vérité histori-
que, l’auteur parvient à instil-
ler aussi une bonne dose
d’humour noir, qui fait pen-
ser au regretté Edgar Hilsen-
rath, mort à 92 ans il y a un
peu plus d’un an. F.F.

Histoire


Vincent MILLIOT (dir.)
Histoire des polices
en France. Des guerres
de religion à nos jours
Belin, 680 pp., 41 €.

Longtemps abandonnée à
une littérature «maison» ou
pittoresque, l’histoire des po-
lices (lesquelles incluent
gendarmeries, gardes cham-
pêtres, sécurité privée) s’est
développée à compter des
années 90. Le maître d’œuvre
du présent livre a réuni trois
historiens de la jeune généra-
tion (Emmanuel Blanchard,
Vincent Denis, Arnaud-Do-
minique Houte) pour offrir
une synthèse illustrée et très
à jour. Le choix de la longue
durée permet de «question-
ner le récit convenu de l’avè-
nement d’une police moderne,
étatisée et centralisée». Les
continuités sont fortes : la
longue marche d’une profes-
sionnalisation amorcée dès
l’Ancien Régime, le rôle clé
de l’institution dans la cons-
truction de l’Etat, l’excep-
tionnalité donnée à la police
parisienne ou encore la mé-
fiance suscitée depuis long-
temps. Mais des évolutions
surgissent aussi, comme l’in-
vention des polices colonia-
les ou le resserrement pro-

qué leur coup.» Claire et Si-
mon habitent à Istanbul de-
puis deux ans avec leur fils,
et ce matin-là, l’air est «re-
peint de poisse». Ils quittent
la Turquie. Erdogan a repris
la main, plusieurs petits
commerces sont fermés tan-
dis que certains «reviennent
de Carrefour avec de grands
sacs chargés à bloc». Le nar-
rateur remonte le temps et
raconte ce qui s’est passé du-
rant les semaines qui précé-
daient la tentative de coup
d’Etat. Simon, documenta-
riste, observe la tension
monter : «La tristesse d’Is-
tanbul est infinie et sublime»
en ces temps troubles qui
opposent deux familles de
sunnites conservateurs, al-
liées jusque-là, celle de Gü-
len et celle d’Erdogan. En oc-
tobre 2017, Simon retourne à
Istanbul et assiste au procès
de militaires actifs la nuit
du 15 au 16 juillet. «Ce qui est
mort, c’est la Turquie mo-
derne.» V.B.-L.

Jiri Weil
Mendelssohn est sur
le toit précédé de
Complainte pour
77 297 victimes
Traduit du tchèque par
Erika Abrams. Le Nouvel
Attila, 304 pp., 20 €.

Une statue a longtemps ob-
sédé Jiri Weil (1900-1959), juif
de Prague et survivant de la
Shoah, qui plus tard sera in-
terdit de publication par le ré-
gime communiste. Cette fi-
gure de pierre est celle du
compositeur Mendelssohn-
Bartholdy, édifiée avec d’au-
tres représentations de musi-
ciens, dont Wagner, au
sommet du Rudolfinum,
prestigieux lieu de concerts
pragois. Les nazis l’avaient
fait abattre, ne supportant
pas d’écouter de la musique
surplombés ainsi par un juif,
même de pierre. En 1946, Jiri
Weil monta sur le toit pour
montrer à un professeur au
conservatoire la statue ren-
versée, dont seule la main

Romans


Claudine Londre
L’ombre de ma mère
Seuil, 115 pp., 15 €
(ebook : 10,99 €).


Il peut être vraiment pénible
d’être suivi par son ombre,
surtout quand ce n’est pas la
sienne. La narratrice se re-
trouve collée dans ses moin-
dres mouvements par l’om-
bre de sa mère disparue. Ce
qui apparaîtrait comme son
seul répit, les jours de pluie,
tombe même à l’eau. «Sait-on
seulement ce que font les om-
bres quand il pleut? Non,
­certes, mais du moins restent-
elles dans leur tanière. Il fau-
drait donc, que par mal-
chance, seule la mienne soit
sans logis.» De surcroît, la
narratrice presque quinqua-
génaire n’a pas d’activité et
pour tout dire, s’avère très
inutile. Elle fréquenterait
bien «les Inutiles anonymes»,
mais cette ombre l’encombre.
Un premier roman espiègle
qui, l’air de rien, s’avère un
profond voyage initiatique.
Et un joueur de mots et de
métaphores. «Si j’étais écri-
vain, peut-être que moi aussi
j’aimerais cacher des oignons
dans mes phrases pour faire
sangloter mes lecteurs.» F.RL


Samuel Aubin
Istanbul à jamais
Actes Sud, 268 pp., 21 €
(ebook : 16,99 €).


Le matin du 16 juillet 2016,
Simon voit ce message s’affi-
cher sur l’écran de son télé-
phone : «Le commandement
général de la gendarmerie
vient d’être repris aux mili-
taires séditieux. C’est main-
tenant certain, ils ont man-

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