Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

34 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 21 et Dimanche^22 Mars 2020


Ces gens-là Par Terreur Graphique


Idées/


très différent de nous mais qu’on est de tout
cœur avec lui. Et pour cause, quand on dit
DO-MI-NÉ, ça n’est pas du tout pour que les
choses changent, ça n’est pas un constat de
départ qui permettrait de repenser le sys-
tème de domination dans son ensemble. Sur-
tout pas. Parce que si c’était ça, il faudrait
déjà commencer par me considérer comme
une égale, il faudrait descendre de ce piédes-
tal auto-érigé et venir avec moi. Ni au-dessus,
ni en dessous, à côté. Et alors nous constate-
rions sûrement que la domination est un
mode de pensée qui nous traverse tous, ancré
dans notre langage, dans tous nos raisonne-
ments. Que chaque fois qu’on parle, on hié-
rarchise, on dit «je suis mieux que toi ou
moins bien». Faisant de chacun, tour à tour,
le dominant et le dominé, dans un renverse-
ment continuel. Que la vraie révolution se-
rait de sortir de cette hiérarchisation et que
c’est un travail en soi qui nécessite de se met-
tre chacun au cœur du processus. Que mon
expérience est singulière, certes, comme tou-
tes les expériences, pas plus, pas moins. Et
que, par conséquent, nous nous rejoignons
tous sur un point, on est toujours le domi-
nant ou le dominé de quelqu’un, selon les cir-
constances. Il faudrait donc admettre que la
couleur de peau, la sexualité ou le sexe ne
sont pas des marqueurs imparables. Sans
quoi on crée l’illusion qu’il y aurait des domi-
nants désignés et qu’il suffirait de les exiler
sur une île déserte pour que la domination
cesse. Sans quoi on pourrait, par exemple,
croire que seuls les bourgeois, blancs, hétéro-
sexuels, violent. Or j’ai grandi dans un en-
droit où les gens avaient toutes les couleurs,
toutes les histoires et un point commun, ils

n’avaient pas d’argent. Et voyez-vous, on violait
aussi chez les pauvres, on harcelait, on bat-
tait, on violentait aussi. Voyez-vous, des
hommes faisaient ça et des femmes et des
enfants pleuraient, et des femmes et des en-
fants saignaient, et des femmes et des en-
fants mouraient. Peut-être faut-il donc ad-
mettre que le viol et la violence sont bien une
question de domination mais pas d’argent,
ni de couleur de peau. Le violeur est domi-
nant, c’est sûr, sa dynamique est de soumet-
tre, d’anéantir, d’effacer l’autre. Oui, le vio-
leur, le harceleur, est dominant dans son
désir d’éradiquer l’humanité de celui ou celle
qu’il agresse. Indéniablement.
Alors, en ces temps où les portes se ferment,
peut-être pourrions-nous en profiter pour
laisser les esprits ouverts et s’autoriser à
penser plus loin, par-delà les murs, les systè-
mes, les structures. Chacun chez soi mais
tous ensemble, s’envisager plus grands, plus
vastes que nous-mêmes. Faire surgir du nou-
veau. Sortir de cet étau pervers qui voudrait
nous faire croire qu’agir, c’est être pour ou
contre, pour ou contre la pédophilie, pour ou
contre le racisme, l’antisémitisme, l’homo-
phobie... Il n’y a pas à être pour ou contre, il
n’y a pas d’opinion à avoir, ce sont des délits
et des crimes passibles d’amendes et d’em-
prisonnement, et faire en sorte qu’ils soient
sanctionnés, pas à coups de likes, pas à base
de tweets, mais dans des tribunaux, est fon-
damental. C’est une question de droits hu-
mains. Il n’y a donc aucune légitimité parti-
culière à avoir pour s’en saisir, pas besoin
d’être noire, pas besoin d’être homo, d’être
une femme, de croire en une religion ou une
autre, il suffit d’être.•

écritures


Par
Tania DE Montaigne

Les dominants ici,


les dominés là-bas


mieux. «Quand je me regarde, je me désole.
Quand je me compare, je me console», dit le
proverbe. Eh bien c’est exactement ça, je suis
un objet de ­consolation. Bien rangée dans ma
petite boîte, priée de ne pas bouger, on me
sort quand on a besoin de vérifier que tout le
monde est bien à sa place. Les dominants ici,
les dominés là-bas. Tu es DO-MI-NÉE et je
t’aime! En général, les gens qui le disent ont
la tête penchée sur le côté, comme quand on
veut faire comprendre à quelqu’un qu’il est

U


n des effets inattendus de ce moment
viral et confiné, c’est que j’ai cessé
d’être une dominée. Sans ça, il ne se
passe pas un jour sans qu’une personne trop
sympa ne me le dise : «Toi, Femme Noire, tu
es DO-MI-NÉE et je t’aime !» Comment re-
connaît-on un DOMINÉ? C’est simple, c’est
toujours l’autre. «Non, moi j’ai de la chance,
alors que toi, ma pauvre...» me dit-on sou-
vent. Je suis un marchepied, un doudou, un
truc qui permet de s’élever et de se sentir
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