Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

Bombe bien posée


Cindy Bruna Le top model français a les jambes
interminables, les pieds sur terre, la tête militante et la foi.

Par Sabrina champenois
Photo Martin Colombet

contacté Solidarité femmes.» Le créneau accordé à Libé parti-
cipe de la médiatisation de Don2star, plateforme de crowdfun-
ding où elle intervient en faveur de Solidarité femmes.
D’où vient cette sensibilité précoce? «Disons que j’en ai en-
tendu parler, on connaît tous une voisine qui a subi ça, ou une
amie d’une amie... Ce phénomène est d’une banalité horrible,
touche tous les milieux, toutes les cultures, et ces violences sont
mul­tiples, physiques, psychologiques, économiques.» Elle a l’ar-
gumentaire fin prêt, solide, chiffres à l’appui.
Pro, la tête sur les épaules, allure flamboyante mais pas flam-
beuse, acheteuse d’un toit dès ses premiers cachets : le profil
est raccord avec l’exquise esquisse initiale que raconte Domi-
nique Savri, la «scoute» de mannequins qui l’a découverte
à 15 ans et demi sur une plage de Saint-Raphaël et qui reste
son agent. «Des jeunes jouaient au volley-ball, j’ai vu ses jam-
bes, son regard, son sourire, et je suis allée lui parler. Cindy
n’était pas trop intéressée, elle adorait les maths et prévoyait
de devenir prof ou expert comptable. Sa mère voulait surtout
qu’elle passe son bac et l’ait avec mention.» La casteuse
­convainc tout de même le tandem de venir à Paris, les tests
photo confirment son intuition, et l’ado aime bien l’exercice
et la vie qu’elle entrevoit. Jusqu’au bac ES obtenu avec men-
tion bien, Cindy apprend les rudiments du métier à la faveur
des vacances, notamment auprès d’Azzedine Alaïa, «papa fa-
shion» de bien des filles. Sésame en poche, elle rallie Paris,
mais c’est à New York, terre de melting-pot, que sa carrière
décolle. ­Façon fusée. Contrat d’exclusivité pour un défilé Cal-
vin Klein (inédit pour une femme de couleur), couverture de
Vogue Italia pour le cinquan-
tenaire du magazine, «shoo-
tée» par le faiseur de stars Ste-
ven Meisel, jusqu’au graal du
mannequin : «ange» du défilé
Victoria’s Secret, la grand-
messe américaine du sous-vê-
tement. Elle y officie six ans
d’affilée.
Précisément : comment conci-
lier son engagement pro-fem-
mes et ce show télévisé daté au
carbone 14, chapelet de bim-
bos aguicheuses que la marque, rattrapée par son prisme hété-
ro-beauf et son manque de diversité, a d’ailleurs annulé
en 2019? Quand on est capable d’allers-retours sur des talons
de 18 centimètres, on sait ondoyer : «Ils sont en train de tout
changer, et c’est bien, dit Cindy Bruna. Mais j’ai été très fière
de faire ces shows, et ce n’est pas parce qu’on se bat pour les fem-
mes qu’on ne peut pas défiler en maillot de bain. Je ne me vois
pas comme femme-objet ou portemanteau pour autant. Le mi-
lieu du mannequinat est vraiment en train d’évoluer.»
Il y a du vrai, lié aux réseaux sociaux. Tout model y œuvre dé-
sormais, et le nombre de followers vaut force de frappe. Ce
qu’elle dit, en escrimeuse prête à dégainer cette fois : «Depuis
#MeToo, je suis sûre que certains n’osent plus agir comme ils
le faisaient avant, parce qu’ils savent que ça peut leur péter à
la gueule. Je fais un tweet, un post Instagram, ça touche le
monde entier dans la minute... C’est le bon côté des réseaux.»
Son féminisme («comment ne pas l’être ?») est précis : «Celui
de l’égalité entre hommes et femmes, et tous ensemble, avec les
hommes, pas contre eux.»
La bombe apparaît régulièrement en compagnie des artilleurs
du crampon Neymar et Mbappé. Elle en sourit. «Marco, aussi
[Verratti, on déduit, ndlr]. Ce sont des copains.» Elle a été plu-
sieurs années en couple avec Morgan Biancone, ex-footballeur
professionnel reconverti en coach sophrologue, ça fait beau-
coup de ballons ronds. Elle en est de fait familière : son beau-
frère, mari de sa sœur aînée et adorée, est Mickaël Le Bihan,
joueur à Auxerre. «Ils se sont connus jeunes, du coup, par lui,
je connais pas mal le foot.» Et les mannequins comme les foot-
balleurs sont des chasseurs de primes en vadrouille dès l’ado-
lescence, avec la famille pour repère : ses allers-retours entre
New York et le Var sont fréquents. Ses parents divorcés restent
proches, «on fête tout ensemble, Noël, les anniversaires».
Son autre repère est la foi. Cindy Bruna est croyante prati-
quante, va à la messe «tous les dimanches», nous scie d’un :
«D’ailleurs, là, on est en plein carême.» Elle a toujours une ­bible
à portée de chevet : «On peut lire plein de bouquins de dévelop-
pement personnel, d’ailleurs je le fais et j’apprécie des gens
comme Eckhart Tolle, mais tout est déjà là, dit autrement.»
D’un ange l’autre ?•

27 septembre 1994
Naissance à
Saint-Raphaël (Var).
2013 Premier défilé
Victoria’s Secret.
2015 Egérie Chanel
pour le parfum Chance.
2020 Opération
Don2Star en faveur de
l’association Solidarité
femmes.

L


es Brésiliennes ont vraiment un truc à part : c’est ce
qu’on s’est dit la première fois qu’on a croisé
Cindy Bruna. C’était dans les coursives d’un défilé Gaul-
tier, et pour la scruter, il a fallu quasiment se dévisser le cou :
perchée sur des talons, la fille de 1,81 mètre
tutoyait la lune. Mais même à plat, elle ta-
basse. Les clichés «liane», «jambes inter-
minables», «regard de braise» et autre
«sourire radieux» sont concrétisés. Un sans-faute qui pousse le
photographe commissionné par Libé à en créer : «Il faut la
­foutre dans le bordel et des non-lumières pour que ça ne fasse
pas ringard.»
Cindy Bruna, 25 ans, fait partie des mannequins les plus en
vue, de celles qui décrochent de gros ­contrats publicitaires
et qui tractent les défilés des grandes marques. Certes, au mi-
tan des années 80, le moineau Kate Moss a bousculé les
avions de chasse type Cindy Crawford ou Elle Macpherson,
le charme s’est fait une place sur le podium et dans les maga-
zines. Mais un physique sans faute comme Cindy Bruna reste
le socle du business. Et son métissage est un atout supplé-
mentaire à l’heure où le citoyen réclame que la diversité de

la société soit actée dans les représentations.
Cindy Bruna ne dit rien de tout ça. D’ailleurs, elle n’est pas du
tout brésilienne mais française, du Var. Son exotisme résulte
de la rencontre au Congo entre sa mère, qui en est native, et son
père italien, «blond aux yeux bleus» du Pié-
mont.
On la rencontre le 2 mars au siège de son
agence parisienne, Makers by Metropoli-
tan. C’est la Fashion Week, son agenda est boursouflé. Mais
elle débarque fraîche comme mon amie la rose, souriante, ne
pose qu’une question en préalable : «Il sera bien question de
Solidarité femmes et Don2Star ?» Défendre une ou des causes,
faire du ­caritatif, fait partie de la panoplie «people» – et Cindy
Bruna en relève, avec ses 916 000 abonnés sur Instagram. Les
plus fréquentes : les enfants (éducation, santé), l’environ­-
nement, la cause animale. Mais dans le sillage de #MeToo, les
femmes montent en flèche. Sauf que Cindy Bruna date son
engagement de bien avant la vague déclenchée par Weinstein :
«Les violences conjugales m’ont toujours révoltée, depuis l’en-
fance. Et dès l’âge de 15 ans, je me suis demandé comment agir.
Alors, quand j’ai commencé à avoir une petite notoriété, j’ai

Le Portrait


Libération Samedi 21 et Dimanche 22 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Free download pdf