Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

II u Libération Samedi 21 et Dimanche^22 Mars 2020


sieurs prélèvements dans les stocks
stratégiques, le don de 5 millions de
masques par le ministère des Ar-
mées ou encore l’accélération de la
production, le constat est implaca-
ble : les personnels médicaux au

tour. Une denrée précieuse, et bien
trop rare, au moment où l’épidémie
gagne du terrain. «C’est le seul moyen
qu’on a trouvé pour ne pas se les faire
gauler», raconte Mathias, infirmier
du service concerné. Malgré plu-

tillons illicites retrouvés sur les pa-
tients. Mais le «normal» a laissé
place à l’extraordinaire. Dans ce ser-
vice de psychiatrie d’un hôpital pa-
risien, c’est désormais les mas-
ques FFP2 que l’on enferme à double

Par
Emmanuel Fansten,
Ismaël halissat,
Sylvain Mouillard
et Pauline Moullot

éditorial


Par
Laurent Joffrin

Economies de


bouts de chandelle


Les stratèges d’après-guerre
sont toujours les meilleurs.
Il fallait attaquer à gauche et
non à droite , envoyer la cavale-
rie tout de suite, concentrer l’ar-
mée au lieu de la disperser, etc.
Ainsi des stratèges du coronavi-
rus. Il fallait confiner immédia-
tement, fermer les frontières,
tester massivement, etc. On est
très savant quand on connaît
la suite des opérations ; après
coup, les vainqueurs de
­Waterloo sont innombrables.
­Pourtant, cette affaire de mas-
ques manquants pose quelques
questions, qu’il faudra bien
examiner une fois la crise apai-
sée. Le gouvernement peut se
défendre en expliquant qu’il
eût fallu, pour se doter préven-
tivement de millions et de mil-
lions de masques, savoir qu’une
pandémie allait se déclarer si-
multanément partout dans le
monde, notamment en Chine,
grande pourvoyeuse de mas-
ques de protection, qu’elle a
d’abord utilisés pour elle-
même. Les économies de bouts
de chandelle réalisées à partir
de 2011 semblent être la cause
immédiate du rationnement
des masques en question. De
toute évidence, on s’en est re-

mis avec trop de confiance à la
mondialisation, qui spécialise
chaque pays dans ce qu’il fabri-
que le mieux pour moins cher.
Il faut à l’avenir définir les
­approvisionnements stratégi-
ques qu’on souhaite conserver
sur son sol, vaste révision de
notre appareil productif.
Mais nombre de contempteurs
de cette réduction des coûts
étaient les mêmes qui protes-
taient à cor et à cris, depuis
longtemps, contre les dépenses
«insupportables» que le secteur
public ­infligeait au budget de
l’Etat, c’est-à-dire aux contri-
buables. Vérité en deçà du coro-
navirus, erreur au-delà...
Plus gênante est la réaction
à chaud des pouvoirs publics.
Ils avaient justement promis
transparence et véracité de l’in-
formation. Face à la pénurie de
masques, ils ont expliqué de
manière alambiquée que
ceux-ci n’étaient pas très utiles,
alors que l’explication était plus
triviale : on les déclarait super-
flus parce qu’on n’en avait pas.
On voulait éviter panique et
marché noir du masque blanc?
Sans doute. Mais on a aussi
écorné la confiance de l’opinion
dans la parole publique.•

Événement


Masques : la folle

impréparation

Le directeur général de la santé a reconnu que le


matériel de protection, indispensable pour éviter la


propagation du coronavirus, était devenu «une


ressource rare». Même pour le personnel médical. Un


dysfonctionnement qui soulève de graves questions.


L


a France a-t-elle suffisam-
ment de masques de protec-
tion pour faire face à la vague
de cas de coronavirus? Alors que le
pays est confiné depuis mardi et
que l’épidémie a déjà fait 450 morts
sur le territoire, la question est sur
toutes les lèvres. Ces derniers jours,
les témoignages affluent sur des si-
tuations tendues, voire de pénurie,
pour équiper les professionnels de
manière satisfaisante. Le gouverne-
ment l’a reconnu mercredi, n’évo-
quant que de simples «difficultés lo-
gistiques». En réalité, une série de
dysfonctionnements majeurs, re-
montant parfois au début des an-
nées 2010, est à l’œuvre, esquissant
les contours d’un potentiel scandale
politico-sanitaire. Mais causant sur-
tout pour l’heure un rationnement
pour les personnels soignants en
première ligne.

Quelle est l’ampleur
de la pénurie?
En temps normal, c’est le «coffre à
stups», seul tiroir à fermer à clé et
donc habilité à recevoir les échan-

front contre le Covid-19 manquent
cruellement de matériel, notam-
ment de masques de protection. «La
situation est très difficile, c’est une
ressource rare», a reconnu Jérôme
Salomon, le directeur général de la
santé, mercredi. Au début de la
crise, la France ne comptait en ré-
serve aucun masque FFP2, mais
145 millions de masques chirurgi-
caux (lire notre encadré ci-dessus),
un chiffre tombé à 100 millions au-
jourd’hui. Interrogée par Libération,
la direction générale de la santé n’a
pas été en mesure d’estimer les be-
soins quotidiens des personnels mé-
dicaux. Mais avec des effectifs
de 225 000 médecins, 700 000 infir-
miers, 90 000 masseurs-kinésithé-
rapeutes ou encore 600 000 aides-
soignants, et en sachant qu’il faut au
moins trois masques chirurgicaux
pour tenir une journée de travail, ils
sont immenses. Pas sûr que les
stocks permettent de tenir long-
temps, ni que la production accélé-
rée ne suffise à tenir le rythme. En
tout cas, cela alimente les appréhen-
sions des personnels.
Dans l’hôpital parisien de Mathias,
le réapprovisionnement est arrivé
voilà quelques jours, assorti de con-
signes de rationnement : ne réserver
les masques FFP2 qu’aux cas néces-
sitant des «soins invasifs», comme

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