Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

Libération Samedi 21 et Dimanche 22 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u III


P


our les oppositions, l’union
sacrée n’exclut pas la criti-
que. Toujours embarquées
dans le front commun contre l’épi-
démie, droite et gauche critiquent
pourtant la gestion par l’exécutif
des stocks de masques sanitaires,
déplorant que trop de professions
exposées au public, voire aux
­malades, en soient encore dépour-
vues. «Des dizaines d’élus m’ont re-
monté les infos, c’est catastrophi-
que, s’alarme le président des
sénateurs LR, Bruno Retailleau,
qui a interpellé jeudi soir le minis-
tre de la Santé, Olivier Véran. Même
dans l’Oise, qui est un cluster de
l’épidémie, c’est la pénurie! Or le
Premier ministre, quand nous
l’avons vu le 27 février, nous pro-

François Hollande qu’est prise la
décision de décentraliser vers les
employeurs, y compris publics,
la commande et le stockage des
­masques.

«Rebondir». «Que M. Véran nous
renvoie au bilan des dernières an-
nées, franchement... En 2013, il
était député et proche de la ministre
Marisol Touraine, dont l’un des
conseillers était [l’actuel directeur
général de la santé] Jérôme Salo-
mon, s’agace Bruno Retailleau. Il
faut arrêter de renvoyer la balle,
elle peut rebondir. Les décisions du
passé, ce n’est pas mon problème.
On est en 2020, on prend des avions
et on les envoie chercher des mas-
ques.» Même réplique chez le séna-
teur PS Patrick Kanner : «Peut-être
que la faute ne concerne pas seule-
ment le gouvernement en place.
Mais pourquoi n’a-t-il rien fait de-
puis février? Il y avait pourtant des
signes avec la situation en Chine, en
Iran, en Italie. Quand certaines
personnes de la majorité expliquent
qu’un camion de masques a été bra-
qué, c’est un peu léger. On lancera
une commission d’enquête – mais
après la pandémie, car au-
jourd’hui, ce n’est pas le moment.»
Dominique Albertini
et Rachid Laïreche

mettait des millions de commandes
de masques. Les vols n’expliquent
pas tout.» Pour l’élu, «l’Etat n’ar-
rive pas à gérer le problème. Alors
que je reçois tous les jours des adres-
ses d’entreprises prêtes à fournir.
Ça me rend fou! J’encourage donc
ma région, mon département à
­passer commande en leur nom,
sans passer par le préfet».

«Réquisitionner». Le sujet ali-
mente le procès en négligence en-
tretenu à feu doux (union natio-
nale oblige) par les oppositions, qui
se promettent de le tenir au grand
jour sitôt passée la crise. Le dossier
a déjà été nourri des propos de l’ex-
ministre de la Santé Agnès Buzyn,
qui a affirmé avoir été convaincue,
dès janvier, que les élections muni-
cipales ne pourraient pas se tenir.
De Marine Le Pen à Olivier Besan-
cenot, d’autres personnalités poli-
tiques ont dénoncé l’insuffisance
et l’inégale répartition des mas-
ques sanitaires. «Je reçois des mes-
sages de personnels hospitaliers, de
soignants, de gens qui travaillent
dans le commerce, les Ehpad, qui

me disent : “Olivier, ne te plains
pas, toi tu as des gants et un mas-
que pour travailler”, a dénoncé
dans une vidéo l’ex-porte-parole
du NPA, postier de profession. Si
c’est vrai, ça veut dire que tout ce
matériel, c’est à eux en priorité qu’il
faut le donner !» Pour le député de
La France insoumise Eric Coque-
rel, «même si nous souhaitons l’ar-
rêt de tous les secteurs non indis-
pensables, il devrait y avoir un
masque pour chaque salarié, et ça
dépasse le cadre des soignants, bien
évidemment prioritaires. Le gou-
vernement doit réquisitionner des
entreprises pour en fabriquer car la
situation s’accélère et se détériore».
Mais une partie au moins de ces
questionnements sont de nature à
embarrasser... les anciens partis de
gouvernement. En 2011, c’est le
­ministre de la Santé UMP Xavier
Bertrand qui décide de ne pas re-
nouveler une partie des stocks na-
tionaux de masques sanitaires. Il
est vrai que ceux-ci, deux ans après
l’épidémie de grippe H1N1, sont
alors au plus haut. Deux ans plus
tard, c’est sous le quinquennat de

L’union sacrée se craquelle


Si droite et gauche font
front commun en
ces circonstances
exceptionnelles, elles
critiquent pourtant la
gestion par l’exécutif
des stocks de masques.

Chirurgical OU FFP2?


Qu’il s’agisse des masques «chirurgicaux»
(photo de gauche) ou des masques «de
protection respiratoire» (photo de droite), ils
n’ont pas vocation à se retrouver sur votre
nez, à moins que vous ne oyez un soignant
ou un malade, et ils sont prioritairement
destinés à toute la chaîne du personnel
médical, du chirurgien au pharmacien.
Les masques chirurgicaux sont les plus
basiques : constitués de plusieurs
épaisseurs, ils permettent d’éviter de
contaminer d’autres gens en projetant
des gouttelettes ou des particules fines
aéroportées. Mais ils ne protègent pas des
particules aéroportées venant de l’extérieur
et ne permettent donc pas d’éviter sa propre
contamination, selon un document du
ministère de la Santé de 2009. Le meilleur
moyen de savoir si un masque est fiable est
de s’assurer qu’il porte la norme EN 14683.
Son efficacité de filtration bactérienne est
alors d’au moins 95 %. Il ne faut pas le porter
plus de trois heures et il doit être jeté dès
qu’il est mouillé ou souillé. A moins de
présenter les symptômes d’une maladie
contagieuse, comme le Covid-19 ou la
grippe saisonnière, il est à peu près inutile
d’en porter dès lors que vous respectez les
fameux «gestes barrière». Il n’est d’ailleurs
disponible qu’en pharmacie sur
prescription médicale.
Les masques de protection respiratoire,
les fameux FFP2, sont exclusivement
destinés aux soignants. Leur dispositif de
filtration ne laisse fuiter et entrer que 6 à 8 %
des particules dans l’air. Ce masque, qui
peut être porté jusqu’à huit heures d’affilée,
est «préconisé pour les personnels de soins
lors des phases de transmission
interhumaine et pandémique, et pour les
personnes à risque majeur d’exposition telles
que les professionnels de santé au contact
des malades», selon le ministère. A noter :
dans un cas comme dans l’autre, une fois
le masque posé, il ne faut jamais le toucher.
Frantz Durupt

les intubations. Quant aux masques
chirurgicaux, l’infirmier n’est censé
s’en équiper que s’il est en contact
avec des cas suspects. «Mais bon,
aujourd’hui, il y en a partout des cas
suspects...» Résultat, «j’en porte
toute la journée, en le changeant tou-
tes les quatre heures». Ces équipe-
ments de protection déclenchent
vite les convoitises. «La dernière
fois, il ne s’est pas passé une heure
avant qu’on se fasse piquer deux bou-
teilles de gel hydroalcoolique qu’on
venait de se faire livrer. On en vient
à suspecter les collègues d’autres ser-
vices», soupire Mathias. Les vols
sont parfois de plus grande ampleur,
comme récemment à Montpellier,
où 15 000 masques ont disparu. Un
directeur d’un centre hospitalier du
Nord, pourtant «pas encore envahi
par les cas Covid», confirme à Libé-
ration que le sujet crée vite de la
«psychose». «C’est essentiellement dû
au fait qu’on n’a aucune visibilité sur
les livraisons et aucune information
de nos autorités de tutelle, dit-il. La
semaine passée, on n’avait que deux
jours d’avance.» Martin Hirsch, le di-
recteur de l’Assistance publique-
Hopitaux de Paris (AP-HP), est plus
mesuré, estimant que les règles et
les stocks doivent permettre de «te-
nir dans les semaines qui viennent».
Les «tensions», selon Suite page IV


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