Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

Libération Samedi 21 et Dimanche 22 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u V


bliée par Mediapart, atteste des diffi-
cultés de l’industriel.
Très vite, les médecins libéraux, qui
voient la vague épidémique arriver
s’inquiètent du manque de mas-
ques. Olivier Véran édicte alors une
stratégie de gestion dictée par la pé-
nurie : les masques FFP2 disponi-
bles sont réservés aux seuls person-
nels hospitaliers en contact
rapproché avec les malades testés
positifs. Pendant plusieurs semai-
nes, tous les autres soignants doi-
vent se contenter des masques chi-
rurgicaux moins protecteurs. Jeudi,
un appel d’offres a aussi été lancé en
urgence par le ministère de l’Inté-
rieur pour une commande de mas-
ques chirurgicaux à destination des
forces de l’ordre. Les quantités esti-
mées du contrat sont de 2 millions
de masques, mais aucun plafond de
commande n’est prévu. Sommés de
pallier ces besoins exceptionnels,

le 3 mars, Emmanuel Macron an-
nonce que l’intégralité de la produc-
tion nationale de masques est réqui-
sitionnée par l’Etat. «L’épisode viral
qu’a connu la Chine a été d’une telle
ampleur qu’il a entraîné le ralentis-
sement de l’économie chinoise, en
particulier des industries qui pro-
duisent les masques de protec-
tion FFP2 et les masques antiprojec-
tion», déplore le jour même Olivier
Véran. La France peut alors espérer
se tourner vers les capacités de pro-
duction de l’Allemagne, mais une
décision de réquisition est égale-
ment adoptée outre-Rhin le lende-
main. Avec un terrible effet domino :
la France ne peut plus importer de
masques FFP2 depuis l’Allemagne,
où se trouve pourtant l’usine euro-
péenne de production d’un des lea-
ders du marché, la multinationale
américaine 3M. Une communica-
tion de ce fabricant à ses clients, pu-

trois jours après la détection du pre-
mier cas en France. Mais ce n’est
qu’un mois plus tard que le Premier
ministre annonce la commande
de 200 millions de masques.
Edouard Philippe se garde alors
bien de préciser que la capacité de
production n’est, en France, que de
quelques millions de masques par
semaine. Quelques jours plus tard,

les quelques industriels capables de
répondre à la commande sont dé-
passés. L’entreprise Kolmi-Hopen,
installée dans le Maine-et-Loire, a
ainsi publié des offres d’emploi avec
l’aide de la préfecture pour recruter
des ouvriers placés au chômage
dans d’autres entreprises. Même si-
tuation pour l’industriel militaire
Paul Boyé, qui dispose de quatre si-
tes de production en France et vient
de recentrer sa production sur les
masques de protection. Ou encore
pour le fabricant Valmy, dans la
Loire. «Nous avons demandé à ces
entreprises de fonctionner jour et
nuit, vingt-quatre heures sur vingt-
quatre, sept jours sur sept, de ma-
nière à fournir le maximum de mas-
ques possible», déclarait le 3 mars
devant l’Assemblée nationale Oli-
vier Véran. Deux semaines plus
tard, la pénurie n’a pourtant jamais
été si visible.•

O


pération conquête des cœurs. La Chine, qui en-
trevoit une éclaircie avec, depuis jeudi, aucune
contamination d’origine locale officiellement
recensée, multiplie les envois de masques médicaux
partout dans le monde, notamment en Europe, nouvel
épicentre de la pandémie de Covid-19 avec plus
de 5 000 morts recensés. Mercredi, l’Union européenne
a fait savoir qu’elle s’apprêtait à recevoir plus de 2 mil-
lions de masques (dont 200 000 de type N95, les
meilleurs), en rappelant que «la Chine n’a pas oublié
l’aide que la Commission lui a apportée en janvier».
En France, où de nombreux soignants et autres profes-
sions exposées aux risques déplorent une grave pénurie
de ces protections faciales, le ministre des Affaires
étrangères, Jean-Yves Le Drian, a annoncé que Pékin
en avait fait parvenir un million. La semaine passée,
l’Italie et l’Espagne, les deux pays de l’UE les plus frap-
pés par l’épidémie, avaient déjà réceptionné une cargai-
son de 1,8 million de masques envoyés par les autorités
chinoises. Et cela, sans compter les 500 000 offerts
à Madrid par le groupe privé Alibaba, géant chinois du
commerce en ligne. Il y a une semaine, son fondateur
et l’homme le plus riche de Chine, Jack Ma, a aussi pro-
mis l’envoi d’un million de masques à destination des
Etats-Unis «pour [les] aider à se battre contre la pan­-
démie». Le mois dernier, la Chine a fait don de
250 000 masques à l’Iran et 200 000 aux Philippines.
Cette diplomatie du masque, qui témoigne d’un réel
élan de solidarité, tombe également à point nommé
pour redorer le blason du régime chinois, lourdement
critiqué pour sa gestion opaque, chaotique et autori-
taire de la crise du coronavirus depuis décembre.

«Faiblesses». Comment la Chine, frappée la première
par l’épidémie, a-t-elle été capable d’en produire au-
tant? Avant la crise sanitaire du Covid-19, elle fournis-
sait déjà près de la moitié des masques de la planète,
avec 20 millions d’unités par jour. Début février, au mo-
ment où la situation à Wuhan s’aggrave, les hôpitaux
sont submergés et le personnel médical manque de
­matériel et d’équipements de protection face à l’afflux

de malades, et ce d’autant que les masques sont égale-
ment obligatoires pour la population en extérieur.
Pour répondre à la demande, les autorités chinoises
ont redoublé d’efforts.
En un mois, le pays augmenté de 450 % sa capacité de
production de masques pour atteindre aujourd’hui plus
de 110 millions d’unités quotidiennes. «Seule la Chine
a les moyens humains, matériels, et techniques de mettre
en branle des usines pour produire une telle quantité de
masques en si peu de temps, note le spécialiste Philippe
Le Corre, auteur de l’Offensive chinoise en Europe.
Ces ventes et ces dons de matériel médical pointent, en
creux, les faiblesses de l’unité européenne. La Chine, elle,
continue d’écrire son histoire.»

Rationné. Plus de 3 000 entreprises se mettent à fa-
briquer des «masques, vêtements de protection, désin-
fectants, thermomètres et équipements médicaux» en
plus de leurs autres productions, selon l’agence éta­-
tique Chine nouvelle. A lui seul, le constructeur auto-
mobile BYD «est capable de fabriquer cinq millions de
masques et 300 000 bouteilles de désinfectant». Un gé-
ant de la pétrochimie, China Petroleum and Chemical
Corporation, a même investi l’équivalent de 25 millions
d’euros dans la fabrication de masques médicaux.
Le gouvernement chinois a également parfois rationné
les stocks pour mieux gérer la pénurie passagère. Lors-
que les masques manquaient à l’appel, les particuliers
ont dû passer par leur comité de quartier pour pouvoir
les récupérer.
Taiwan s’est également distingué dans cette crise pla-
nétaire. Frappé de plein fouet par l’épidémie de Sras
en 2002-2003, il a su tirer de nombreux enseignements
sur cette gestion des masques. Dès décembre, les auto-
rités de l’île, qui ne déplorent que 135 contaminés et
deux décès, avaient repéré des symptômes inquiétants
en provenance de Wuhan, alors épicentre de la crise.
Elles ont rationné les stocks en amont de la crise,
­interdit les exportations et investi plus de 6 millions
d’euros dans les capacités de production (10 millions
de masques par jour) en faisant tourner les usines en
continu et avec le soutien des forces armées. Le gouver-
nement taïwanais peut désormais se permettre d’en
fournir aux autres pays. Depuis le 12 mars et jusqu’au
30 avril, ­Taiwan autorise l’exportation de masques. Un
échange avec les Etats-Unis de 100 000 unités contre
300 000 tenues de protection a été décidé mercredi.
L’Asie, grande productrice et utilisatrice de masques,
a montré son ­savoir-faire et offert une belle leçon à
l’Union euro­péenne.
Valentin Cebron

La Chine et Taiwan


fabriquent à tout-va


Frappé en premier par l’épidémie,
Pékin a mis toute son économie
en branle pour produire le plus
de masques possible. Et Taipei,
qui a très bien anticipé la crise,
commence à exporter les siens.

A Marseille,
mercredi,
pendant les
premières
heures du
confinement.

cun FFP2 en stock. De quoi
nourrir la polémique sur l’imprépa-
ration criante de l’Etat et le rôle des
gouvernements successifs depuis
dix ans.


Quelles mesures ont été
prises par l’Etat?
Au ministère de la Santé, le centre
de crise a été activé le 27 janvier,


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