Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

VI u Libération Samedi 21 et Dimanche^22 Mars 2020


Dans le camp de réfugiés
syriens de Saadnayel,
le 2 mars. Photo Daniel
Carde. ZUMA

A


dix minutes en voi-
ture de la frontière
syrienne, le village de
Saadnayel est anormalement
désert. Dans cette bourgade
libanaise encerclée de camps
informels, plus de la moitié
de la population est réfugiée.
Les routes goudronnées à la
va-vite, où déambulent d’or-
dinaire, à pied ou à moby-
lette, les déplacés de retour
des champs, sont vides. Les
travaux agricoles, un des ra-
res secteurs dans lesquels les
Syriens sont autorisés à tra-
vailler, ont complètement
cessé dans le pays qui a dé-
crété à son tour il y a dix jours
le confinement total de sa po-
pulation. Au Liban, 163 per-
sonnes infectées et 4 décès
ont été recensés.

Pièce unique
Dans la cour de l’ONG liba-
naise Beyond, où grouille
d’habitude une foule d’en-

fants, deux employés, le vi-
sage à moitié caché par un
masque de protection bleu
clair, sont postés derrière une
table jonchée de matériel de
prévention. Venues d’un des
camps voisins, deux femmes
en abaya noire s’avancent
vers eux. «Voici les mesures de
précaution. Il faut que vous
vous laviez les mains plu-
sieurs fois dans la journée»,
insiste un des employés en
leur tendant d’une main gan-
tée une liasse de flyers de
l’Organisation mondiale de la
santé. «Oui ça, on le sait
déjà !» lui rétorque l’une d’en-
tre elles, dans un sourire
éclairant des joues plissées
de rides. Ces Syriennes vien-
nent récupérer savonnettes,
gels désinfectants et guides
explicatifs. Un modeste arse-
nal sur lequel elles comptent
désormais pour empêcher
l’épidémie mondiale de ga-
gner leur propre camp, où vi-
vent près de 400 résidents,
sur le million et demi de réfu-
giés présents au Liban.
«L’important est d’appliquer
rigoureusement les gestes de
prévention, pour le reste on

notre sang-froid. On a changé
nos habitudes. On lave tout,
nos affaires, les légumes», ex-
plique-t-elle.

«Manque de moyens»
Les réfugiés comptent sur
l’association pour leur four-
nir les produits désinfec-
tants. «On ne peut pas les
acheter, tout notre argent
part dans la nourriture», se
désole Loubna qui dit perce-
voir 40 000 livres libanaises

par mois de l’ONU (soit envi-
ron 15 euros) pour chaque
membre de sa famille. Face à
l’explosion de la demande, le
coût des liquides sanitaires a
doublé, dans un pays déjà
soumis à une inflation folle,
conséquence d’une crise éco-
nomique qui s’est brusque-
ment aggravée ces cinq der-
niers mois. Les ONG aussi
ont le couteau sur la gorge.
«On manque de moyens pour
rémunérer nos équipes, ache-
ter le matériel et assurer sur
le long terme la prévention»,
déplore Joe Awad, président
de Beyond.
A l’instar de nombreuses or-
ganisations, Joe Awad re-
grette que le gouvernement
n’ait «pas annoncé de straté-
gie claire» pour prévenir une
propagation du coronavirus
chez les communautés de dé-
placés. Même si, pour l’heure,
aucun cas n’a encore été en-
registré. «Les camps sont rela-
tivement isolés, les Libanais
n’y entrent pas, affirme-t-il.
C’est ce qui les a protégés jus-
qu’à présent.» Pas sûr que le
virus respecte longtemps la
frontière du camp.•

Par
Philippine
de Clermont-
Tonnerre Envoyée
spéciale à Saadnayel (Liban)

Dans les camps
de réfugiés,

où exiguïté


et insalubrité


se livrent une


concurrence
macabre,

l’hygiène est,


déjà en temps


normal,


un combat
permanent.

Près de la frontière syrienne, les déplacés se confinent dans


des camps où les ONG ne peuvent plus entrer, conscientes que


si le Covid-19 venait à s’y propager, ce serait catastrophique.


Dans les camps

de réfugiés du Liban,

«tout le monde

a peur du virus»

monde


compte sur Dieu», lance Fa-
tiha, 43 ans, le visage cerné
par un voile violacé. Le per-
sonnel de l’ONG, n’est plus
autorisé à pénétrer dans le
camp, confinement oblige.
«Vous devez absolument évi-
ter les rassemblements. Il ne
faut pas sortir des tentes, res-
ter distant des personnes que
l’on croise», mar-
tèle le jeune
homme à
l ’ a d r e s s e
de s deux
Syriennes.
S’il devait
s’immiscer
d a n s l e s
camps, le vi-
rus se propa-
gerait très rapi-
dement. Dans cet
environnement, où
exiguïté et insalubrité se li-
vrent une concurrence maca-
bre, l’hygiène est, déjà en
temps normal, un combat
permanent.
Alors que l’accès aux soins
leur est largement limité, les
déplacés redoutent par-des-
sus tout de tomber malade.
Mohamad, la cinquantaine,

tient pressé contre sa poi-
trine un paquet de gel sani-
taire. Le Syrien est lui aussi
venu s’approvisionner. «Si on
est infectés, on sait qu’il sera
très difficile d’aller à l’hôpi-
tal», confie cet homme à la
moustache grisonnante. Il a
interdit à ses quatre gar-
çons de quitter ce qui consti-
tue le domicile familial :
une pièce unique
de quelques mè-
tres carrés dé-
limitée par
quatre murs
de béton,
une bâche
des Nations
u n i e s e n
guise de pla-
fond. Son quo-
tidien et celui des
siens s’est transformé
en guerre des nerfs. «Les en-
fants sont tout le temps à l’in-
térieur, ils s’ennuient et finis-
sent par se taper dessus. C’est
très dur mais on n’a pas le
choix», se lamente-t-il. «Ici
tout le monde a peur du vi-
rus», enchaîne, à côté,
Loubna, mère de huit en-
fants. «Mais on doit garder

50 km

Mer
Méditerranée

ISRAËL GOLAN

SYRIE

LIBAN

Beyrouth

Saadnayel
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