Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

Libération Samedi 21 et Dimanche 22 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5


Bolaño. Se côtoient dans cet hommage à
«l’un des plus grands projets techniques du
Mexique» homme et bétail, machineries
et mariachis, pour animer un trip énorme,
débordant de vies présentes et passées.
­Enfin il y a le chef-d’œuvre Cho Oyu
8201 m – Field Recordings From Tibet de
Geir Jenssen, le maître de l’ambient arcti-
que, plus connu sous le nom de Biosphere,
et qui rassemble des matières crues ou légè-
rement transformées ramenées de sa propre
ascension du sixième plus haut sommet du
monde, dans l’Himalaya. Un grand bol d’air
frais et légèrement raréfié – nous sommes
à plus de 8 000 mètres d’altitude – mais heu-
reusement pour l’auditeur confiné dans son
chez-lui, les microphones de pointe, n’ont
pas besoin d’oxygène pour fonctionner.
Olivier Lamm

Longtemps, le mélomane en quête de dé-
paysement n’a eu à la disposition de ses
­rêveries que les expressions musicales des
habitants des contrées lointaines, qu’elles
soient réelles, comme dans celles des enre-
gistrements ethnographiques de l’institu-
tion française Ocora ou du chercheur d’or
folk Alan Lomax, ou imaginaires, comme
dans les disques des maîtres délirants de
l’exotica (Les Baxter, Martin Denny). Et puis
technologie aidant, les spécialistes de la
captation sonore, scientifiques, ingénieurs
du son et autres bioacousticiens autodidac-
tes, se sont mis dans l’idée de recréer des
lieux lointains à partir d’enregistrements ef-
fectués sur place, voir ce qu’ils pourraient


en transmettre par le seul pouvoir du son.
Certains voyageurs immobiles se souvien-
dront peut-être avoir croisé la route de la
Selva du compositeur Francisco López,
théoricien d’une musique concrète «abso-
lue» et abstraite, mais qui recomposait là en
un peu plus d’une heure une journée dans
une forêt tropicale, du soir au matin, faune,
fleur, pluie et air, en l’absence de tout indi-
vidu, sauf le porteur du micro bien sûr.
Plus habité, El Tren Fantasma de Chris
Watson, l’ex-pionnier industriel, dépeint en
dix épisodes un voyage en train fantôme
d’une côte à l’autre du Mexique, de Los Mo-
chis à Veracruz, en passant par le distrito fe-
deral de Mexico, cher à un certain Roberto

Musique
Himalaya, Mexique, Amazonie : partir très loin


Voici une exposition qui devait ouvrir ces
jours-ci et qui, comme toutes les autres, doit
ajourner ses dates. Mais la galerie Le Réver-
bère de Lyon a eu la bonne idée de partager
un PDF en ligne pour parcourir les mêmes
chemins que les Globe-trotteurs qu’elle a
choisi de montrer. Les Globe-trotteurs? Ce
sont quatre photographes, Jacques Damez,
Thomas Chable, Serge Clément et Bernard
Plossu, qui conçoivent leurs images dans la
déambulation géographique. Thomas
­Chable, amoureux de l’Ethiopie, s’égare au
Café de l’Italien et sur la route des Opales,
Bernard Plossu revient sans cesse à Rome
et Serge Clément, lève-tôt, photographie
Bombay, Dakar et New York entre chiens et
loups. Jacques Damez, lui, a rencontré un
vrai loup sur les routes de Gaspésie, au Ca-
nada, où logent plus d’animaux sauvages que
d’habitants. Il n’a pas photographié le préda-
teur mais plutôt les immensités de cette con-
trée abrupte, façon road-movie. Sur cette
bande de terre qui longe le fleuve Saint-Lau-
rent, où il fait - 8 °C l’hiver (- 30 °C ressentis),
Jacques Damez s’est laissé guider par la topo-
nymie. A quoi ressemblent Murdochville,
L’Anse-à-la-Croix, Cap-à-l’Ours, Ruisseau-à-
Rebours? Il est allé voir, attiré par la promesse
de noms poétiques sur une carte, et a trouvé
de grandes nulle part balayées par les vents.
Clémentine Mercier

Https : //issuu.com/galerie-le-reverbis/docs/2019-vi-
site-expo-globe-trotteurs-issue
Http : //www.galerielereverbere.com /

Photo
Évasion mode d’emploi

nal un peu moche et étroit, mais
qui, aussitôt délesté de tout atti-
rail guerrier, se montre capable
d’avaler les années-lumière
comme aucun autre. Un seul ob-
jectif en tête, fixé non par le jeu
mais par nous : gagner Sagitta-
rius A* afin d’y contempler les
diffractions lumineuses autour
du trou noir supermassif qui
trône au centre de la Voie lactée.
Simulation spatiale, Elite offre la
galaxie en guise de jardin. Un es-
pace impossible à embrasser
dans sa totalité au point que sans
le vouloir, on défriche régulière-
ment des systèmes entiers qui

n’ont jusqu’alors jamais été ar-
pentés. Dans cet univers des
possibles, certains s’adonnent à
des combats en escouades pour
faire bouger les lignes de force
qui régissent la diplomatie spa-
tiale ; d’autres se nichent dans
des ceintures d’astéroïdes pour
y extraire des métaux précieux.
On a choisi l’option du road-trip.
D’habiter ce jeu en ermite, nourri
des carmins et des bleus pro-
fonds de nébuleuses.
Marius Chapuis

Elite Dangerous, sur PC, Mac, PS
et Xbox.

Plus fragmenté et divers que ja-
mais, le paysage du jeu vidéo
pourrait avoir comme plus petit
dénominateur commun le con-
cept d’«exploration», l’industrie
n’ayant de cesse de solliciter la fi-
bre de ce grand voyageur immo-
bile qu’est le joueur. Mais nul
genre n’encourage l’évasion
comme le «monde ouvert», qui
fait de l’aire de jeu son principal
argument, en offrant un terri-
toire arpentable à l’envi sans dic-
ter au joueur sa conduite, au


point qu’il peut s’abstraire de
toutes les injonctions qui font
l’ordinaire du jeu vidéo pour
simplement visiter, se perdre,
être au monde. Dans ce genre en
expansion, on retiendra une pro-
position, un monstre nommé
Elite Dangerous qui, chaque
soir pendant des mois, nous a
rappelé à lui. Une fois avalées les
perturbations quotidiennes du
combo RER-tram, on se précipi-
tait dans un autre genre de
transporteur, vaisseau hexago-

Jeu vidéo
Une Fenêtre sur la galaxie


Jacques Damez.Courtesy Galerie Le Réverbère
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