Libération - 21.03.2020

(Marcin) #1

8 u Libération Samedi 21 et Dimanche^22 Mars 2020


Si les murs des cuisines pouvaient parler en ces temps incer-
tains, ils raconteraient notre quotidien en train de s’organi-
ser, de défiler entre l’évier et la planche à découper : nos sou-
cis et nos agacements, certes, mais aussi nos joies,
nos gourmandises à fricasser ensemble. Alors, en ce premier
week-end de confinement, profitons plus que jamais
­de la table et des fourneaux pour jouir de toutes les ­richesses
de la bouffe quand elle inspire des recettes, mais aussi la sa-
veur d’un ­livre, d’une musique, d’un film... Parce que la
­cuisine, c’est, comme on ne cesse de le répéter, beaucoup
plus que des recettes, c’est le goût de la vie.

Joe’s Garage de Frank Zappa, pour battre
les œufs en neige. Je suis africain de
­Rachid Taha, pour faire revenir l’ail et le
gingembre. La Symphonie n°7 de Dmitri
Chostakovitch, pour préparer le bœuf
bourguignon. Mezzanine de Massive
­Attack, pour hacher les oignons. Sandi-
nista! des Clash pour faire du pain. Duo
d’Angèle et Philippe Katerine, pour prépa-
rer la mousse au chocolat. Sing, Sing, Sing
de Benny Goodman et son orchestre,
pour faire monter la mayonnaise. Red Red
Wine d’UB40, pour remuer la soupe.
­Bachelorette de Björk, pour faire fricasser
le poisson meunière. Niemand de Kom-
promat, pour faire les crêpes. So Long,
­Marianne de Leonard Cohen, pour décou-
per la ­salade de fruits (suivi de The Parti-
san s’il y a beaucoup de fruits). Elenore
des Turtles, pour faire des gâteaux.
­Alabama Song (Whiskey Bar) des Doors,
pour ­préparer l’apéro. La Java des bombes
­atomiques de Serge Reggiani pour met-
tre la table. L’album Getz /Gilberto de
Stan Getz et João Gilberto pour accom­-
pagner le dîner. Moon River, version
Louis Armstrong ou Henry Mancini et
­Audrey ­Hepburn, au choix, pour faire
la vaisselle.•

Notre playlist
en cuisine

C’est un plaisir qui se savoure, d’habitude, plutôt
en vacances chez des proches ou des amis. Celui
de parcourir la bibliothèque de quelqu’un d’au-
tre, de saisir un bouquin un peu au hasard, parce
qu’on n’a rien d’autre à se mettre sous la dent et
que le titre nous dit quelque chose, et de s’y plon-
ger comme si on l’avait vraiment choisi. En ces
temps de confinement, les bibliothèques munici-
pales et les librairies étant fermées, certains re-
découvriront leur propre bibliothèque, retrou-
vant une œuvre jadis aimée et oubliée, une
biographie jamais terminée, un roman pas en-
core entamé. D’autres, confinés en famille, tom-
beront sur des trésors dans la bibliothèque com-
mune. Peut-être un roman du prolifique auteur
belge Georges Simenon, le père du commissaire
Maigret. Lequel avait bon appétit. Dans un ou-
vrage publié en 1992 (1), l’auteur et journaliste
gastronomique Courtine passe en revue les plai-
sirs culinaires du flic du 36, quai des Orfèvres.
Dans Maigret et Monsieur Charles, Georges Si-
menon révèle ainsi que son héros est amateur de
pot-au-feu : «D’habitude, il se délectait du pot-au-
feu et il s’aperçut à peine qu’il venait d’en manger,
arrosé de sauce pauvre homme.» Et Courtine de
livrer la recette de cette «sauce pauvre homme»,
version française de la «poor man sauce» an-
glaise : faites frire 20 grammes de chapelure
blonde dans 30 grammes de beurre fondu, dé-
glacez avec 5 cl de vinaigre de vin, faites réduire.
Mouillez de 25 cl de bouillon de bœuf dégraissé,
laissez bouillir quelques instants, ajoutez deux
échalotes ou un oignon hachés et blanchis, et
quelques brins de persil ciselés.•

(1) Simenon et Maigret passent à table, de Courtine,
éditions Robert Laffont, 1992, 205 pages.

Dévorer (et cuisiner)
Simenon

A toute


faim


utile


billet


Par
Jacky Durand
et Kim Hullot-Guiot
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