Libération - 08.04.2020

(WallPaper) #1

10 u Libération Mercredi 8 Avril 2020


Rudy, médecin réanimateur, transfère un patient vers l’hôpital, dans une ambulance de

D


es périodes de crise, Marie
en a connu d’autres. Mais
rien ne l’avait préparée à
­vivre une telle épidémie. Cette mé-
decin réanimatrice de 40 ans est
arrivée à la brigade des sapeurs-
pompiers de Paris (BSPP) il y a
douze ans. Elle fut notamment
l’une des premières à pénétrer dans
les locaux de Charlie Hebdo après
l’attentat de janvier 2015. Le mal est
aujourd’hui bien différent. Le défi
pour les urgentistes s’étire sur plu-
sieurs semaines, voire plusieurs
mois. Les questions éthiques de
poursuite de soins, d’intubation ou
non d’un malade pour le réanimer

se posent quotidiennement. Ce
jour-là, Marie travaille à la caserne
de Ménilmontant, dans le XXe ar-
rondissement, où stationnent deux
ambulances de réanimation qui
­interviennent dans l’Est parisien
et une petite dizaine de villes
de Seine-Saint-Denis (Montreuil,
­Aulnay-sous-Bois, Noisy-le-Sec,
Les Lilas, Romainville...). Des quar-
tiers particulièrement touchés par
l’épidémie.
Libération a passé trois jours à bord
de ces véhicules, équipés comme
ceux du Samu, avec un réanima-
teur, un infirmier et un ambulan-
cier. Ces soignants assurent une
prise en charge médicale d’urgence
avant l’arrivée à l’hôpital. Face à
une détresse respiratoire vitale, le
­médecin dispose de tout le matériel

pour plonger une personne dans
le coma, l’intuber, le ventiler et le
transporter dans un service de
­réanimation.
La garde de vingt-quatre heures de
Marie débute par une impasse. Elle
intervient en urgence dans une
maison de retraite de Villemomble,
en Seine-Saint-Denis. Une résidente
de 62 ans a de la fièvre et une dé-
tresse respiratoire aiguë. Sur la
porte de sa chambre, une feuille A
a été scotchée par le personnel de
l’établissement : «Covid-19.» Le taux
d’oxygène dans le sang est critique,
elle suffoque. Mais ses antécédents
médicaux – autonomie très limitée,
diabète, hypertension, obésité mor-
bide... – ne permettent pas d’envisa-
ger des soins lourds, avec intuba-
tion et assistance d’un respirateur.

Cette femme va mourir dans les
prochaines heures. L’un des mé­-
decins qui suivent les résidents de
l’Ehpad s’impatiente : «Vous savez
où elle va aller? Parce que moi je dois
partir, je travaille aussi ailleurs.»

Dans cette maison de retraite pour-
tant «médicalisée», personne n’est
prêt pour accompagner les malades
du Covid-19 face à la mort. Aucun
médecin ni infirmier ne sont pré-
sents la nuit. «A part l’emmener aux
urgences, je ne vois pas ce qu’on peut
faire», se désole Marie, au télé-
phone avec régulation médicale du
Samu 93. La discussion s’engage
et s’enlise. La réanimatrice est dé-
sarmée. Le service des urgences de
l’hôpital André-Grégoire à Mon-
treuil, débordé comme tous les
­autres établissements franciliens,
refuse l’admission. Le Samu sou-
haite que la malade soit laissée sur
place. Avec une certaine logique : en
temps normal on envoie des gens
aux urgences pour les sauver et non
pour qu’ils y meurent. «Le toubib

Par
Ismaël Halissat
Photos Marc Chaumeil

Comme le Samu, les réanimateurs


des sapeurs-pompiers de Paris et leurs


ambulances sont en première ligne pour


la prise en charge des patients les plus


graves. «Libération» a embarqué à bord


des véhicules de la caserne de


Ménilmontant, qui interviennent dans


l’Est parisien et en Seine-Saint-Denis.


«Je me mets à la


place des urgences.


Mais en même


temps, je trouve


que c’est chaud de
laisser [la patiente]

seule dans son lit et


de fermer la porte.»
Marie médecin réanimatrice

événement


Reportage


Avec les


pompiers,


trois jours


sur le front


Santé

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