12 u Libération Mercredi 8 Avril 2020
événement
départ annonçait une saturation de
l’oxygène dans le sang de 60 %. Mais
au repos et avec le masque à oxy-
gène, le taux remonte à 95 %. «On
arrive tôt, pour l’instant il est sur-
tout essoufflé à l’effort mais il y a le
risque que ça s’aggrave», explique
Julien à sa nièce. Le malade va être
hospitalisé aux urgences pour l’ai-
der à respirer avec de l’oxygène. Le
médecin réanimateur juge néces-
saire de préparer la famille : si son
cas s’aggrave, les soignants ne pro-
poseront peut-être pas une intuba-
tion. L’homme souffre de diabète et
d’hypertension, mais aussi de trou-
bles psychiatriques qui pourraient
rendre impossible la difficile phase
de rééducation. «Je trouve ça mons-
trueux», réagit la nièce. «Avant cette
crise, les questions se posaient pour
des personnes âgées, pour qui l’on
savait qu’on ne pouvait rien faire, on
est habitués. Avec cette maladie, et
notamment quand il y a des arrêts
cardiaques, on se pose des questions
pour des personnes dès 60, 65 ans»,
détaille un autre médecin du Samu,
actuellement en stage pour intégrer
la brigade.
«Mon ancien
chef m’a fait signer
un CDD “renfort réa”»
En ce début du mois d’avril, tous les
soignants de la caserne sont aussi
mobilisés pour transférer des pa-
tients vers l’ouest de la France et dé-
charger les services de réanimation
franciliens. Des «évacuations sani-
taires», dans le langage militaire de
la brigade des sapeurs-pompiers de
Paris. Plusieurs ambulances de
réanimation sont réquisitionnées
pour ces opérations à haut risque en
train, hélicoptère, avion... Ce ma-
tin-là, c’est Jérôme, ambulancier,
qui est de retour de l’aéroport
d’Orly. A la caserne, l’équipe scrute
le JT de TF1 pour l’apercevoir sur les
images. «Eh! Il est là tonton, regarde
à droite.»
Pour faire face à cette mobilisation
hors-norme, plusieurs médecins
se sont portés volontaires pour en-
chaîner les gardes. Comme Samuel,
médecin réserviste de 45 ans. Avant
l’épidémie, ce soignant avait pra-
tiquement décroché après dix ans
aux urgences. Il avait quitté l’hô-
pital, s’occupait d’un restaurant et
préparait l’ouverture d’un hôtel à
Paris. «J’ai recontacté mon ancien
chef et il m’a fait signer un CDD
“renfort réa” à l’hôpital Ambroise-
de disponibles
dans l’hôpital, je me suis dit : “Si ja-
mais je dois être hospitalisée, c’est
bon.” J’ai demandé à l’infirmière de
reprendre ma saturation, j’osais
pas regarder le résultat, et finale-
ment ça allait.» La peur du virus
ronge même les plus rationnels.
Reste l’étape la plus difficile, ce mo-
ment où il faut annoncer le pire aux
malades ou à leurs familles. Dans
l’ambulance, Julien, 31 ans, interne
en anesthésie-réanimation, effec-
tue son dernier semestre avec les
médecins de la brigade des sapeurs-
pompiers de Paris. Il est appelé
pour une nouvelle détresse respira-
toire, un homme de 70 ans à Noisy-
le-Sec. «Suspicion Covid.» L’ordre de
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Santé
L’étape la plus
difficile : ce
moment où il faut
annoncer le pire
aux malades ou à
leurs familles.