Libération - 08.04.2020

(WallPaper) #1

Libération Mercredi 8 Avril 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13


Interventions
des sapeurs-
pompiers en
Ile-de-France,
les 2 et 3 avril.
Photos Marc
Chaumeil

Paré, là où j’avais travaillé comme
interne.» Un contrat qu’il cumule en
ce moment avec les gardes à la bri-
gade. «Je n’avais jamais rencontré
une telle situation, les patients dont
on s’occupe sont dans un état de gra-
vité terrible.» Alors Samuel s’accro-
che aux signes d’espoir et regarde le
tableau de bord des interventions
en cours à Paris et dans la petite
couronne : «J’ai pas vu un cas de Co-
vid sur toute la page, on dirait que
c’est redevenu comme avant.» Plu-
sieurs douleurs thoraciques, un
­malaise dans la rue... Une accalmie
précaire. Quelques instants plus
tard, l’alarme de son ambulance
sonne à nouveau dans la caserne :
«Un Covid.»•


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dans 28 minutes


presente par elisabeth quin
du lundi au jeudi a 20h05 sur

L


a brigade des sapeurs-pompiers
de Paris (BSPP) a souvent été en
première ligne lors de crises
­récentes. Lors des attentats de 2015,
avec un afflux massif de victimes à se-
courir. Mais aussi plus récemment face
à des incendies de grande ampleur,
comme celui de la rue Erlanger, en fé-
vrier 2019, ou encore deux mois plus
tard celui de la cathédrale Notre-
Dame. Cette unité d’élite de 8 500 per-
sonnes qui intervient à Paris et dans
les départements de Seine-Saint-De-
nis, des Hauts-de-Seine et du Val-de-
Marne est aujourd’hui confrontée à de
nombreuses interventions liées à l’épi-
démie de Covid-19. Le général Jean-
Marie Gontier dresse pour Libération
un état des lieux de l’action et des dif-
ficultés ­rencontrées par sa brigade du-
rant cette crise.
Etiez-vous prêt à affronter la vague
de l’épidémie qui frappe l’Ile-de-
France depuis le mois de mars?
Pour nous, les premières prises en
charge ont débuté dès janvier. En fé-
vrier, nous étions entre un et deux pa-
tients Covid-19 par jour. Au début du
mois de mars, c’était aux alentours
de 100-120 interventions quotidien-
nes. Et depuis une semaine, on est en-
tre 350 et 550. Certains jours, nous
n’avons plus qu’une réserve d’une
vingtaine ou d’une trentaine de véhi-
cules de secours disponible. C’est très
peu, mais ça a tenu. Sur le terrain, on
n’a jamais été dépassés. En revanche,
au niveau de la prise d’appels, c’était
beaucoup plus compliqué. On a pris la
vague, avec un très grand nombre de
per­sonnes inquiètes.
Cette activité liée à l’épidémie n’est
pourtant pas la seule à gérer pour
la BSPP...
Dans le pré-hospitalier, il y a tout un tas
d’acteurs qui se complètent. De mon
côté, je dois aussi m’assurer que pour
les incendies, où nous sommes seuls,
on dispose de forces suffisantes. D’au-
tant que les immeubles d’habitations
sont soumis en ce moment à une utili-
sation plus intensive. Dès que la crise
a commencé, on a donc dû réfléchir
au moyen de conserver toute notre ca­-
pacité opérationnelle car il ne fallait
­surtout pas négliger les interventions
courantes.
Avez-vous dû adapter votre fonc-
tionnement?
Nous avons réorganisé nos équipes en
interne. En ce moment, nos pompiers
font des gardes de cinq jours, contrai-
rement à deux habituellement. L’avan-
tage, c’est que dans les bureaux, tous

tière et, dans le pire des cas, nous
­contraindre à fermer un centre de se-
cours. Aujourd’hui, nous avons une
quarantaine de cas avérés de Covid-19.
Et 370 pompiers sont sortis des gardes
parce qu’ils sont symptomatiques.
En quoi vos interventions liées au
Covid-19 sont-elles spé-
cifiques?
Quand vous aidez quel-
qu’un qui a pris un coup
de couteau, vous savez
faire les gestes techniques.
Mais face à un cas de Co-
vid-19, ce n’est pas de la
technicité, c’est de l’hu-
main à 100 %. On est en-
traînés, mais c’est lourd à
porter. Même si le combat
le plus dur, actuellement, est bien sûr
à l’hôpital. Quand on part sur incendie,
comme Notre-Dame par exemple, c’est
un combat intense de huit à dix heures,
il y a un ennemi visible, le feu, et puis à
la fin de l’intervention, on passe à autre
chose. Là, ça fait depuis le mois de jan-
vier qu’on est face à cette épidémie et on
ne sait pas quand ça se terminera. On
n’a pas l’habitude d’être confrontés à ça.
Une forme d’impuissance se révèle à
nous et il faut de l’endurance.
Recueilli par Ismaël Halissat

les personnels sont à jour en secou-
risme, donc même la personne qui
remplit les contrats pour les marchés
publics ou s’occupe des ressources hu-
maines peut monter dans un véhicule
et assurer les missions. Depuis dix
jours, on a dû faire appel à cette ré-
serve, notamment pour
avoir plus de véhicules
disponibles dans l’est de
Paris et en Seine-Saint-
Denis. Ce sont les en-
droits où l’on reçoit le
plus d’appels. On a essayé
aussi d’apporter des
­forces en dehors de nos
casernes. Certains de nos
médecins s’occupent de
soins intensifs dans les
hôpitaux militaires de Percy et Bégin.
Nos soignants sont également mobili-
sés sur les transferts de patients graves
dans d’autres régions. Enfin, on a des
sections de brancardiers qui vont sou-
tenir les équipes d’infirmiers à tourner
les personnes intubées afin de les aider
à respirer.
Comment gérez-vous le risque pris
par les pompiers face à l’épidémie?
On doit effectivement être très vigilant
pour repérer les symptômes, car un
malade peut contaminer une garde en-

«On est entraînés,


mais c’est lourd à porter»


Le général Jean-Marie
Gontier, commandant
de la BSPP, raconte
comment ses équipes
se sont adaptées face
à l’épidémie de Covid-19.
Une organisation qui
doit composer avec
les habituelles missions
contre les incendies.

Interview


Marc Chaumeil
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