Hussarde sur le toit
Cécile Coulon La romancière de 29 ans, confinée en
appartement à Clermont-Ferrand, a modifié sa pratique
sportive et réussit à prendre de la hauteur à sa manière.
Par Céline Walter
Photo Pascal Aimar. Tendance floue
En raison du confinement, les entretiens et photos du
portrait de dernière page peuvent être réalisés à distance.
son corps. Sa silhouette bataille ferme avec des envies de
«bons vins, bonnes bières et de bons fromages». On apprend
que «le saint-nectaire se congèle très bien» dans ses astuces
cuisine et confinement. «J’imagine que ces temps-ci les gens
se remettent à cuisiner.» Raison de plus pour durcir ses exerci-
ces quotidiens. Elle nuance. «Je suis plus inquiète sur la durée
du confinement que pour ma silhouette. Si je fais beaucoup de
sport, c’est plus pour rester en forme et ne pas en sortir complè-
tement épuisée et hystérique.» Elle pratique des exercices de
renforcement musculaire sans appareil ni haltères. Un tapis
suffit «pour éviter que les muscles fondent». Elle continue de
courir «une fois par semaine, de préférence la nuit et dans un
périmètre très limité».
Tout autour, elle connaît par cœur. C’est sa terre. Une pleine
nature «qui ne [l’]a jamais effrayée». Elle ne l’a jamais quittée.
«Je n’y ai jamais pensé, même ado !» Son bac option cinéma et
la khâgne sont made in Clermont. «J’habite en ville pour être
près de la gare, pour le boulot, mais en une demi-heure je peux
être au sommet d’un volcan.» Elle se rassure. Elle assume cet
attachement «pas à la mode». Elle voyage peu et en France.
Elle n’a pas de voiture, privilégie le train, jamais l’avion «sauf
quand [elle est] obligée pour le boulot». «Je n’ai pas de rêves de
pays lointains, je suis comme un animal, comme le blaireau qui
reste près de son terrier.»
Cécile Coulon n’est engagée
nulle part, ne milite pas.
«Mon engagement, c’est peut-
être de rester là où je suis. De
m’en nourrir pour mes fic-
tions, de défendre ma région,
de dire cette chance que nous
avons d’avoir des fermes au-
tour de nous, des producteurs
qui bossent pour vendre ce
dont on a besoin pour prendre
soin de soi et à moindre coût. Je milite en faisant ma part ici,
pour dire que l’enclave n’est pas une injustice.»
Elle a grandi à Saint-Saturnin, un village au pied des volcans,
à 25 kilomètres de Clermont-Ferrand. Elle se souvient d’une
enfance «paradisiaque» passée à boulotter «des Figolu» sous
le nez de ses deux grands frères. Sa mère, directrice de l’ap-
pellation saint-nectaire, et son père, chercheur agronome
à l’Inra, habitent toujours le village. Son «boulot», comme
elle l’appelle, c’est de raconter des histoires. Elle a toujours
lu. S’est nourrie tôt des voix de John Fante, Faulkner, Stein-
beck, Bukowski. Elle découvre Yourcenar et ses Flandres, Ma-
rie-Hélène Lafon et son Cantal. «D’un coup, je me suis sentie
moins seule. Elles m’ont autorisée à écrire avec mon terroir.»
Cécile Coulon ose aussi écrire et publier de la poésie. «Pas
à la mode non plus, mais c’est en train de changer. La poésie
se déploie notamment sur les réseaux sociaux, où elle est lue
et très demandée.» Elle vit de son boulot depuis 2013. Depuis
Le roi n’a pas sommeil, un succès «vertigineux» pour lequel
elle a touché son premier beau chèque de droit d’auteur. Elle
a alors 23 ans. Elle s’achète des films, des baskets, des bou-
quins et un petit appartement à Clermont-Ferrand. Elle va
«manger dehors» et rassure : «Comme je ne suis pas auver-
gnate pour rien, j’ai mis le reste de côté.»
Cécile Coulon travaille. Le sourire en coin appliqué, elle s’ex-
cuse d’employer des mots simples pour le dire et se vanne :
«A part les livres, il ne se passe rien dans ma vie.» Depuis
qu’elle a débuté dans une petite maison d’édition locale «à
la bonne franquette», depuis sa révélation avec Le roi n’a pas
sommeil chez Viviane Hamy, elle travaille, infuse, ne fait rien
d’autre. Même en vacances. Elle emporte son manuscrit et
des amis qu’elle met volontiers à contribution. «J’ai passé une
semaine studieuse avec Cécile dans sa maison de famille dans
la Drôme», rapporte Myriam Lépron, une amie prof de fac.
«Une semaine de lecture, relecture, réécriture, de promenades
et de piscine.» L’autrice ne se réjouit jamais longtemps. «Un li-
vre, c’est passager, et le prochain jamais joué.» Son corps entier
en porte les marques. «Je me fais tatouer très souvent des
images de chacun de mes ouvrages pour en garder la trace.»
Hissée ou pas sur son toit, Cécile Coulon contemple ces mots
qu’elle adore de Bernard de Chartres et qu’elle nous collerait
bien à la peau : «Nous sommes des nains juchés sur des épaules
de géants.»•
13 juin 1990 Naissance.
2012 Le roi n’a pas
sommeil.
2017 Trois Saisons
d’orage.
2018 Les Ronces.
2019 Une bête
au paradis.
C
écile Coulon est d’une blondeur qui perce l’œil autant
que l’écran. Un blond qui tire sur l’étrange. Si blanc qu’il
vire parfois au bleu spectre selon la lumière et l’humeur
de la fille. Si elle n’avait pas un peu grandi, on verrait la gamine
au générique du Village des damnés. Cette tête d’ange est han-
tée, débarquée elle aussi sur Terre pour y mettre son grain de
sel. Ça explique la précocité qu’on lui connaît. Cécile Coulon
a écrit et publié son premier roman à l’âge
de 16 ans. Douze ans plus tard, elle signe
un septième roman, Une bête au paradis,
qui atteint les 70 000 exemplaires en
six mois. Cécile Coulon a de quoi déranger. «Oui, je porte plus
de fantômes en moi que d’expériences. Mais si je suis hantée,
c’est dans le sens positif. Je le suis par les voix, les histoires, les
paysages de ceux qui nous ont précédés. Je suis à la tête d’un
troupeau de fantômes, mais ils ne me mènent pas.» Elle rassure.
«La maturité qu’on me prête tient au fait que je sais écouter ces
voix d’avant et sais me taire pour les écrire.» Elle dit ça dans un
petit sourire, toujours en coin. «Je souris beaucoup quand je
parle, c’est pour ça.» Elle a deux fossettes qui en rajoutent et
lui taillent une mine joueuse, qui s’éclaire pendant qu’elle par-
tage sa dernière trouvaille pour amuser la galerie de ses
16 000 amis Facebook.
L’«autrice» – comme elle se présente – a le post facile et sympa
en guise d’antijournal de confinement. De ses allers-retours
entre ses fenêtres et son ordinateur, on peut lire : «Arrêtez de
promener votre chien, je viens d’en voir passer un plus musclé
que moi !» Ou de relayer : «Je n’ai pas de poitrine mais en ce mo-
ment il y a du monde au balcon.» Qu’elle
n’a pas non plus d’ailleurs. Elle habite un
appartement au dernier étage d’un im-
meuble de Clermont-Ferrand. Sans balcon
ni jardin attenant, mais avec la possibilité de se hisser sur le
toit. «C’est un toit en tuiles, pas du tout fait pour ça, mais
comme j’ai une fenêtre qui donne dessus, j’en profite et c’est sans
risque.» Elle rassure. «Là-haut, je trouve de quoi respirer,
d’apercevoir un ailleurs, je lis, c’est agréable.» Le grand air, les
volcans, les lacs, le vélo et courir, c’est ce qui lui manque le
plus. «Mais c’est qu’un gros caprice face à ce que vivent les cais-
sières, les éboueurs ou le personnel hospitalier. J’ai une chance
énorme d’être là, seule, sans enfant, je veux dire, sans avoir à
m’occuper de personne d’autre que de moi-même.» Comme de
Le Portrait
Libération Mercredi 8 Avril 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe