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VENDREDI 3 AVRIL 2020 coronavirus | 5
Le port du masque s’impose en Europe centrale
S’inspirant des résultats obtenus en Asie, quatre pays ont adopté des mesures obligatoires dans les lieux publics
vienne correspondant régional
C
e n’est certes pas dans
notre culture, mais c’est
comme ça que les pays
asiatiques sont parve
nus à n’avoir que quelques cas par
jour. » Lundi 30 mars, c’est ainsi
que le chancelier conservateur
autrichien, Sebastian Kurz, a jus
tifié l’introduction du port du
masque obligatoire dans les su
permarchés à partir du mercredi
1 er avril, et sa probable extension
dans les jours suivants à toute
sortie dans l’espace public. Il a ra
pidement été suivi par la Slové
nie, alors que la République tchè
que et la Slovaquie avaient rendu
le port du masque obligatoire
dans tous les lieux publics de
puis plusieurs jours déjà pour
lutter contre le coronavirus. En
Bulgarie, le port du masque est
aussi fortement recommandé,
même si le gouvernement est re
venu mardi, après une vague de
protestation, sur l’idée d’infliger
des amendes.
Dans toute l’Europe centrale, le
port du masque est en train de
devenir la norme. A Prague
comme à Bratislava, tous les pas
sants sortent ainsi la bouche et le
nez couverts, sous peine de sanc
tions. « C’est ennuyeux pour tout
le monde, surtout quand on doit le
porter huit heures de suite parce
qu’on travaille dans un supermar
ché comme moi, mais la plupart
des Tchèques le prennent comme
un acte responsable », assure Da
vid Kazda, 20 ans, qui est em
ployé dans un commerce de la ca
pitale tchèque.
Lui porte un masque FFP3 que
sa mère a pu se procurer au tout
début de l’épidémie. « J’ai com
mencé à en porter un dès le
13 mars, au début j’étais un peu
seule, mais quand c’est devenu
obligatoire, tout le monde en a
mis », abonde Lenka Gren, qui
tient d’habitude une librairie à
Tabor, au sud de Prague, et s’est
fabriqué ellemême un masque
en coton.
L’Europe centrale semble dé
sormais persuadée que c’est la so
lution. « M. Trump, essayez de
vaincre le virus à la manière tchè
que. Porter un simple masque ré
duit la propagation du virus de
80 % », a tweeté le 29 mars le pre
mier ministre tchèque, Andrej
Babis. M. Babis a aussi vanté un
site qui assure que « la position
officielle antimasque est complè
tement erronée ». A l’appui de sa
démonstration, le site présente
une infographie censée prouver
que le port du masque a permis à
plusieurs pays comme Singapour
ou le Japon « d’aplatir la courbe
des infections » alors que ceux qui
ne portent pas de masque sont
largement audessus.
Cette courbe est toutefois trom
peuse, puisqu’elle inclut à tort la
Chine dans les pays « sans mas
que ». L’Organisation mondiale
de la santé (OMS) ne recom
mande toujours sur son site de
n’utiliser le masque « que si [on
s’occupe] d’une personne présu
mée infectée ».
Gestes de solidarité
« C’est difficile de savoir si cela
peut marcher, mais je crois que si
vous l’utilisez bien en le désinfec
tant régulièrement, cela aide, es
time Lenka Gren. Comme notre
premier ministre et notre ministre
de la santé ont dit qu’il fallait le
garder tout le temps, certains pen
sent même qu’il faut l’avoir dans
son jardin. »
De facto, ces pays comptent à
l’heure actuelle nettement
moins de décès et de personnes
infectées qu’en France, mais dif
ficile de dire si c’est en raison de
ces masques ou de décisions de
confinement prises très tôt, em
pêchant la formation de foyers
de contamination comme on a
pu en voir en Europe de l’Ouest.
Le port du masque est devenu
politique d’Etat et a suscité de
nombreux gestes de solidarité
spontanés.
Pour compenser la pénurie, les
gouvernements locaux ont en ef
fet appelé les gens à se fabriquer
des masques soimême. « Ma
sœur travaille dans une pharma
cie et n’avait aucun masque, je me
suis fâchée et j’ai commencé à
coudre des masques en coton en
récupérant des trucs de ma grand
mère », raconte Mariana Zele
nakova, traductrice dans l’est de
la Slovaquie, qui porte systémati
quement son masque en coton
bleu pour sortir de chez elle.
Elle le lave et repasse tous les
soirs. Depuis, elle en a cousu une
trentaine pour ses proches et les
collègues de sa voisine, qui tra
vaille dans une maternité. « Cela
aide que la plupart des Tchèques
ont encore une machine à coudre
chez eux », témoigne Lenka Gren,
qui a elle aussi lancé une initia
tive citoyenne pour fabriquer des
masques en tissu à donner aux
personnels médicaux.
En Slovaquie comme en Répu
blique tchèque, le port du mas
que est promu au plus haut ni
veau de l’Etat et il est devenu une
véritable esthétique, avec des
couleurs et des motifs variés. Les
images de la présidente slovaque,
Zuzana Caputova, portant un
masque pourpre assorti à sa robe
lors de la prestation de serment
du nouveau gouvernement, sa
medi 21 mars, ont ainsi fait le tour
de l’Europe.
Entretemps, la Slovaquie et la
République tchèque ont réussi à
se procurer des masques en
Chine, grâce aux bonnes rela
tions de plusieurs de leurs mil
liardaires locaux avec Pékin. Des
masques chirurgicaux simples
sont désormais disponibles dans
des distributeurs automatiques
en Slovaquie. En République
tchèque, la pénurie reste toute
fois encore réelle dans les phar
macies. « Cela va mieux dans les
hôpitaux, mais la plupart des gens
dans la rue à Tabor portent des
masques faits maison », assure
Lenka Gren.
Cette politique promasque a
pu conduire à des pratiques qui
posent question. Le gouverne
ment tchèque a ainsi été mis en
cause en Italie pour s’être em
paré, mimars, dans des condi
tions mystérieuses d’un stock de
100 000 masques chinois qui
était officiellement destiné à la
Péninsule. A la suite de la polémi
que, le ministre de l’intérieur
tchèque a assuré que les policiers
avaient simplement saisi un
stock détenu illégalement par un
entrepreneur chinois qui es
sayait de les revendre à un prix
prohibitif. Prague a ensuite en
voyé 100 000 nouveaux mas
ques à Rome.
jeanbaptiste chastand
Le gouvernement britannique critiqué pour le manque d’équipements
Londres a mêlé retard et confusion dans sa gestion des commandes de ventilateurs et de tests pour lutter contre le Covid
londres correspondante
bruxelles bureau européen
L
es critiques se multiplient
contre le gouvernement
britannique à mesure qu’il
aligne confusions et ratés dans sa
course à l’équipement contre la
pandémie de Covid19. Le Royau
meUni a enregistré en une jour
née, mercredi 1er avril, 563 décès
supplémentaires de patients at
teints par le virus, nouveau re
cord marquant une nette accélé
ration de la pandémie et portant
le bilan à plus de 2 000 morts
dans le pays. Quant au gouverne
ment de Boris Johnson, lui
même en quarantaine après
avoir été testé positif, il accumule
les revers.
Idéologie mal placée? Incom
pétence? Voici six jours, Dow
ning Street a confirmé ne pas
avoir participé aux différents ap
pels d’offres européens destinés
à l’achat groupé de ventilateurs.
« Nous avons nos propres fabri
cants, c’est un secteur où nous
produisons nos propres efforts »,
avait expliqué un porteparole du
premier ministre. Or il apparaît
que le NHS, le système de santé
britannique, ne disposait alors
que de 8 000 de ces appareils mé
dicaux complexes et coûteux. Ils
sont essentiels dans la lutte con
tre la maladie, car ils permettent
de prendre le relais des poumons
défaillants chez les patients les
plus gravement atteints.
Jusqu’au 31 décembre 2020, du
rant la période de transition fai
sant suite au Brexit, rien n’empê
chait pourtant le RoyaumeUni
de participer à ces appels d’offres
européens. Londres a d’ailleurs
changé de version dès la révéla
tion de cette bévue, le 26 mars : si
le RoyaumeUni n’a pas participé
aux appels d’offres, ce n’est pas
par réflexe nationaliste, mais
parce que le pays « n’a pas reçu à
temps l’invitation pour se joindre
aux quatre appels d’offres com
muns. [...] Nous n’avons donc pas
pu y participer ». Des mails se se
raient perdus ou n’auraient ja
mais atteint la boîte électronique
de leurs destinataires.
Concurrence mondiale
Du côté européen, on s’étonne
un peu. « Le RoyaumeUni est
bienvenu s’il souhaite participer
aux appels d’offres communs
que nous lançons pour le compte
des pays européens » , a répété le
lendemain un porteparole de
la Commission. « Ils ont eu plu
sieurs fois l’occasion de manifes
ter leur intérêt pour ces appels
d’offres », poursuivait le porte
parole de l’exécutif européen.
Sur douze réunions du « Health
Security Committee » au cours
desquelles ont pu être discutés
ces appels d’offres, le Royaume
Uni était présent huit fois. A
commencer par la réunion du
31 janvier, le jour où Londres a
officiellement quitté les institu
tions européennes.
Ce jourlà, à lire le compte
rendu de la réunion, « quatre
Etats membres ont évoqué des
besoins possibles en matière
d’équipements médicaux de pro
tection personnelle [gants, mas
ques...] , si la situation s’aggra
vait au sein de l’Union euro
péenne », et la Commission s’est
dite prête à aider. Le 13 mars, il a
été encore rappelé que la DG
santé attendait les besoins des
uns et des autres en matière de
ventilateurs.
Pourtant, il s’avère que, comme
ailleurs en Europe, les Britanni
ques, qui n’ont pas anticipé ce be
soin urgent de ventilateurs, ont
du mal à se les procurer : la con
currence est mondiale, et les fa
bricants pas si nombreux. La se
maine dernière, après avoir lancé
un appel en forme de SOS à la
bonne volonté des industriels na
tionaux, Downing Street confir
mait la commande de 10 000 ven
tilateurs mis au point par l’indus
triel et inventeur britannique
Dyson, mais précisait que le fabri
cant « n’a pas encore reçu les certi
fications » nécessaires à la fabrica
tion de son prototype, le CoVent.
Un consortium, le Ventilator
ChallengeUK, incluant Airbus,
Ford, RollsRoyce et Siemens, a
également reçu une commande
de 10 000 ventilateurs, mais at
tend toujours, lui aussi, le feu vert
de l’Agence nationale d’homolo
gation des matériels médicaux (la
MHRA).
Mardi 31 mars, Downing Street
précise finalement qu’une com
mande de 8 000 ventilateurs a
été passée « auprès de fabricants
existants » , et que « d’autres quan
tités » − sans plus détailler les
quelles − ont été commandées,
mais que les machines sont tou
jours en attente d’homologation.
Michael Gove, le numéro deux du
gouvernement, promet que, « ce
weekend [des 4 et 5 avril] , les pre
miers milliers de nouveaux venti
lateurs sortiront des chaînes de
montage et seront distribués à
partir de la semaine prochaine au
NHS, puis aux unités sur le front ».
« Fiasco »
Même confusion concernant les
tests du coronavirus, dont le gou
vernement britannique s’est bru
talement rendu compte, mi
mars, qu’ils étaient cruciaux afin
de maintenir suffisamment de
personnels de ssanté au travail
(après qu’ils ont été testés néga
tifs) et pour envisager la sortie
sfuture du confinement. Boris Jo
hnson a promis, mimars, le pas
sage à 25 000 tests par jour, il a
même avancé l’objectif de
250 000 quotidiens.
On en est encore très loin : le
gouvernement a confirmé dispo
ser d’une capacité nationale de
10 000 tests par jour, mais ne pas
avoir testé plus de 8 240 person
nes, mardi 31 mars, et seulement
900 personnels soignants pen
dant le weekend précédent (sur
plus de 400 000 médecins et in
firmiers que compte le système
national de santé).
Michael Gove a aussi concédé
que les objectifs n’étaient pas at
teints du fait du manque de cer
tains réactifs chimiques permet
tant de détecter la présence du vi
rus dans les tests. « Je viens juste
de parler avec l’association britan
nique des industries chimiques,
elle assure que ces produits ne sont
pas en rupture de stock », souli
gnait pourtant, dans la foulée, le
journaliste vedette de la chaîne
ITV Robert Peston dans un Tweet.
Encore plus direct, le député tra
vailliste Bill Esterson a lui aussi
tweeté, mardi soir : « Aujourd’hui,
nos industries chimiques ont pro
posé de faire tout leur possible pour
aider le gouvernement. Ce dernier a
dit non et affirmé qu’il y avait un
manque de réactifs chimiques. Il
faut que ce problème soit résolu. »
Le Daily Mail appelait, mercredi,
le gouvernement à « en finir avec
le fiasco des tests ». Ce dernier a
til enfin pris la mesure du défi?
Le Times assure que Matt Han
cock, le ministre de la santé, a de
mandé à tous les hôpitaux du
pays d’utiliser « toutes leurs capa
cités disponibles » pour au moins
pouvoir tester leur personnel.
cécile ducourtieux
et virginie malingre
Seuls
900 personnels
soignants ont
été testés sur
les 400 000
que compte
le système
national de santé
La présidente slovaque, Zuzana Caputova, au milieu de son gouvernement, le 21 mars, à Bratislava. RADOVAN STOKLASA/REUTERS
En Slovaquie,
des masques
chirurgicaux
simples sont
disponibles dans
des distributeurs
automatiques
« La plupart
des Tchèques
le prennent
comme un acte
responsable »
DAVID KAZDA
employé dans un commerce
à Prague