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VENDREDI 3 AVRIL 2020 coronavirus | 7
Gestion de crise : le vraifaux repli de Macron
Omniprésent, le président veut laisser son premier ministre gérer l’opérationnel mais peine à s’effacer
E
n langage militaire, on
appelle cela un repli
stratégique. Omnipré
sent depuis le début de
la crise du coronavirus, Emma
nuel Macron a décidé de « prendre
de la hauteur » et de laisser davan
tage de place au premier ministre,
Edouard Philippe, notamment
pour expliquer la stratégie du
gouvernement aux Français.
« Nous entrons dans la phase deux
de la gestion de la crise, le prési
dent doit s’économiser. C’est au
tour du premier ministre d’être mis
en avant », justifieton à l’Elysée.
Jusqu’ici, Emmanuel Macron
occupait tout l’espace. Depuis le
27 février, date de son premier dé
placement lié à l’épidémie de
Covid19, à l’hôpital de la PitiéSal
pêtrière à Paris, le chef de l’Etat a
effectué une dizaine de visites
pour évoquer la pandémie, en ré
gion parisienne mais aussi en
province, et a prononcé quatre
allocutions aux audiences record
- celle du 16 mars annonçant le
confinement a été suivie par
35,3 millions de Français.
Un déploiement destiné à l’ori
gine à sensibiliser au confi
nement et à mobiliser les services
de l’Etat, mais considéré comme
moins nécessaire désormais. « La
séquence est aujourd’hui très opé
rationnelle, c’est le rôle du gouver
nement » , expliqueton à l’Elysée.
Samedi 28 mars, pour la première
fois depuis le début de l’épidémie,
Edouard Philippe a ainsi tenu
une conférence de presse, accom
pagné du ministre de la santé,
Olivier Véran, et de plusieurs mé
decins et scientifiques. « Nous
étions arrivés à un moment où
les Français avaient perdu le fil. Il
fallait se poser, rappeler tout ce
qu’on fait, relier les fils » , explique
ton à Matignon.
Mercredi 1er avril, c’est de nou
veau Edouard Philippe qui a été
envoyé au front, pour répondre
aux questions de la mission d’in
formation mise en place par l’As
semblée nationale. Le premier
ministre a défendu l’action de son
gouvernement mais il a aussi re
connu que la situation était « re
doutablement complexe ». Il de
vait également s’entretenir avec
les chefs de parti et les représen
tants des associations d’élus,
jeudi matin depuis Matignon.
Sur le plan médiatique aussi,
Edouard Philippe est sur le pont.
Jeudi soir, il devait participer à
une émission en prime time sur
TF1, réalisée depuis Matignon, et
appelée « Le premier ministre
face à la crise ». « Il y a un incroya
ble besoin de parole publique, et le
premier ministre prend toute sa
part depuis le début, il ne se plan
que pas, plaide un proche de l’ex
maire du Havre. Son rôle est d’ex
pliquer ce que fait le gouverne
ment, d’expliquer pourquoi il
prend telle ou telle décision. Et il va
continuer à le faire. »
« Capitaine de crise »
Selon différentes sources, cette
nouvelle répartition des rôles a
été décidée d’un commun accord
lors d’un déjeuner qui a réuni
les deux têtes de l’exécutif, le
27 mars à l’Elysée. C’est au cours
de cette rencontre que la prolon
gation de quinze jours du confi
nement, annoncée quelques
heures plus tard par le premier
ministre, a été actée.
« Le président est comme un ca
pitaine de crise, il a mis en place les
rouages, installé les comités scien
tifiques, mais il entend désormais
être davantage dans le faire faire
que dans le faire » , précise un pro
che de M. Macron pour expliquer
ce tournant. « Le président veut se
réserver du temps pour déceler les
angles morts de la crise et réfléchir
à l’après. Il veut se redonner de la
perspective et de la hauteur de
vue » , ajouteton à l’Elysée.
Une répartition des rôles consi
dérée comme normale au sein de
la majorité. « Chacun est dans la
fonction qui est la sienne et qui est
d’ailleurs le fonctionnement perti
nent de nos institutions : le prési
dent fixe les grandes orientations,
s’adresse à la nation ; le premier
ministre pilote en première ligne
l’organisation opérationnelle. C’est
justement ce bon fonctionnement
entre les deux qui ne cesse d’éton
ner certains » , apprécie Aurore
Bergé, députée (LRM) des Yveli
nes. « Ce que je vois avant tout,
c’est un exécutif solidaire et déter
miné. Il sera temps après de tirer
les leçons de ce qui n’a pas marché,
mais le pack à cinq constitué du
président, du premier ministre,
d’Olivier Véran, de Bruno Le Maire
[ministre de l’économie] et de Mu
riel Pénicaud [travail] est au ren
dezvous, et c’est en soi une bonne
nouvelle » , abonde Sacha Houlié,
député (LRM) de la Vienne.
Cette nouvelle répartition des
rôles a surtout l’avantage de
moins exposer Emmanuel Ma
cron, alors que les critiques se
multiplient sur la gestion de l’exé
cutif et que des premières plaintes
ont été déposées devant la Cour
de justice de la République. « Par
essence, le premier ministre a un
rôle de bouclier du président sous
la Ve République. Il n’y a pas de rai
son que le coronavirus change
quelque chose à cet état de fait » ,
estime un conseiller ministériel.
Pour autant, Emmanuel Macron
n’entend pas disparaître du pay
sage. Mardi, il s’est rendu près
d’Angers pour visiter une usine de
fabrication de masques et défen
dre la nécessité d’un nouveau pa
triotisme économique. « Le prési
dent va continuer à aller au con
tact des Français, c’est son rôle et ce
n’est pas contradictoire avec celui
plus opérationnel du premier mi
nistre, justifie un proche. Le prési
dent veut être en résonance et en
compréhension du corps social. »
Un nouveau déplacement prési
dentiel est d’ailleurs à l’étude,
peutêtre dès le 3 avril, auprès des
« personnes en difficulté ». « Le pré
sident est à sa place, là où les Fran
çais produisent un effort » , a égale
ment défendu la porteparole du
gouvernement, Sibeth Ndiaye, à la
sortie du conseil des ministres,
mercredi, alors que certains s’in
terrogent sur la nécessité de ces
visites en période de confine
ment. « On est en crise et le prési
dent ne peut pas s’économiser.
D’ailleurs, il ne le fait pas » , ajoute
un parlementaire de la majorité.
« Le président est Jupiter sur le cap,
chef d’orchestre dans la gestion, les
pieds dans le réel », résume un pro
che qui a ses entrées à l’Elysée.
« Pas le moment de fermer »
Comme à son habitude, le chef de
l’Etat continue d’ailleurs de se
mêler de tout. Selon nos informa
tions, il a décroché son téléphone,
mardi soir, pour demander à Phi
lippe Wahl, le patron de La Poste,
pourquoi le service du courrier
avait été réduit à trois jours par se
maine et de nombreux bureaux
de poste fermés. Une décision
motivée par le nombre important
d’absences parmi les postiers
mais que le chef de l’Etat trouve
incompréhensible au vu de la si
tuation de confinement des Fran
çais. « Le président estime que ce
n’est pas le moment de fermer.
Les Français ont besoin d’échan
ger, de recevoir leur quotidien ré
gional, de toucher leurs alloca
tions... Rendezvous compte, seule
ment 10 % des bureaux de poste
sont ouverts en Corse! » , s’étouffe
un conseiller du chef de l’Etat.
Moins de vingtquatre heures
après ce coup de fil, Philippe Wahl
a annoncé la réouverture de
400 bureaux de poste en zone
rurale et 250 dans les quartiers
prioritaires de la politique de la
ville, ainsi que l’ajout d’une
quatrième journée de distribu
tion du courrier. Même en retrait,
la parole présidentielle garde tout
son poids.
cédric pietralunga
Face aux parlementaires, le gouvernement prépare le « déconfinement »
Le premier ministre et le ministre de la santé ont répondu plus de trois heures durant aux questions des députés sur leur gestion de la crise
E
n préambule, Richard Fer
rand tient à rassurer son
monde. « Nous veillerons à
ne pas entraver l’action de l’exécu
tif en ne surmobilisant pas les
membres du gouvernement , pré
vient le président (La République
en marche, LRM) de l’Assemblée
nationale. Le temps des éventuel
les remises en cause, légitime, vien
dra, mais une fois le plus fort de la
crise derrière nous. » Pas question
de faire de la mission d’infor
mation sur le Covid19, dont il
préside la première réunion au
PalaisBourbon, mercredi 1er avril,
un instrument de désordre.
L’instance pourra se transfor
mer en commission d’enquête,
aux pouvoirs étendus, mais « dans
une deuxième phase » , précisetil,
après la sortie du confinement.
« C’est une mission de contrôle et
pas de défiance » , ajoute le prési
dent du groupe MoDem, Patrick
Mignola. Encadré par son direc
teur de cabinet adjoint, Thomas
Fatome, et le ministre de la santé,
Olivier Véran, Edouard Philippe
tient à rassurer son monde, lui
aussi : « Il est extrêmement utile
que le gouvernement puisse être
contrôlé par le Parlement. »
Le premier ministre poursuit
une longue série de séances d’ex
plication sur la stratégie de ges
tion de la crise sanitaire de la part
de l’exécutif. Après avoir tenu une
conférence de presse, samedi, il
devait s’adresser, jeudi matin,
aux représentants de l’opposition
puis aux téléspectateurs de TF1,
quelques heures plus tard, le
temps d’une soirée spéciale.
Mais le chef du gouvernement a
réservé aux députés la primeur
d’une annonce : le « déconfine
ment » de la population française,
invitée à rester chez elle depuis
deux semaines pour lutter contre
la propagation du coronavirus,
et ce au moins jusqu’au 15 avril,
pourrait être progressif. « Il est
probable que nous ne nous ache
minions pas vers un déconfine
ment général, en une fois, partout
et pour tout le monde » , prévient
Edouard Philippe, selon qui
diverses « hypothèses » prévalent.
« Nous avons demandé à plusieurs
équipes de travailler sur cette ques
tion en étudiant l’opportunité, la
faisabilité d’un déconfinement qui
serait régionalisé, qui serait sujet
à une politique de tests, en fonc
tion, qui sait, de classes d’âge » ,
souligne le locataire de Matignon.
Face à lui, un mur de députés
s’affiche sur l’écran de télévision
de la commission des lois de
l’Assemblée nationale, où se tient
l’audition. Trente et un, précisé
ment, qui interviennent à dis
tance, par visioconférence. Huit
corapporteurs, tous présidents de
commissions permanentes, ont
été désignés ; sept appartiennent
à la majorité. Mais, tient à préciser
l’entourage de Richard Ferrand,
sur les vingtsix questions
posées, quatorze le sont par des
représentants de l’opposition.
Damien Abad, président du
groupe Les Républicains (LR) de
l’Assemblée, lance la salve d’accu
sations. « Aujourd’hui, l’Allemagne
fait 500 000 tests [de dépistage du
virus] par semaine, cinq fois plus
qu’en France. Comment rattraper
ce retard? » Son collègue (LR) Eric
Ciotti, lui, y voit « sans doute un
manque d’anticipation » de la part
du gouvernement. Car qui dit
déconfinement dit d’éventuels
dépistages préalables, comme le
reconnaît Edouard Philippe lui
même. Le premier ministre, qui se
félicite du chiffre de 20 000 tests
quotidiens en France, met en
doute les annonces allemandes.
« Il peut y avoir un décalage entre
la réalité de ce qui est fait et l’ambi
tion et l’objectif affiché. »
Marottes
Derrière les questions affleu
rent les critiques. JeanChristo
phe Lagarde, président du groupe
UDI, Agir et indépendants, monte
d’un ton devant son écran, et
évoque ses « incompréhensions ».
« Pourquoi sommesnous entrés
si progressivement dans le confi
nement? » , lance l’élu de Seine
SaintDenis. « Nous ne sommes
pas les seuls à avoir fait un confi
nement progressif » , réplique
Edouard Philippe, citant en
exemple l’Italie. Les différents
protagonistes retrouvent leurs
marottes. A la gauche de la gau
che, JeanLuc Mélenchon, prési
dent du groupe La France insou
mise, évoque la « planification » ,
et demande au premier ministre
s’il compte nationaliser Luxfer et
Famar, deux usines produisant,
pour l’une, des bouteilles
d’oxygène, pour l’autre des mé
dicaments. L’ancien candidat à
la présidentielle réclame par ail
leurs que des industries textiles
soient réquisitionnées pour pro
duire des masques.
A droite, Eric Ciotti, encore lui,
interroge le supposé nonrespect
du confinement dans les ban
lieues, et s’étonne du fait que « la
frontière francoitalienne ne soit
toujours pas fermée ». Mais, d’un
écran à l’autre, un sujet commun
hante les questions des députés,
autant que les couloirs des
hôpitaux : qu’en estil des stocks
de masques, de respirateurs, de
médicaments, et de leur réparti
tion sur le territoire?
Olivier Véran répète que la
France a commandé « plus d’un
milliard et demi de masques en
France et à l’étranger ». Pour les
médicaments, « nous avons de
quoi tenir durablement » , rassure
de son côté Edouard Philippe,
tout en concédant que « nous de
vons faire attention à la gestion de
la ressource ». Les députés de
vront sans doute se montrer pa
tients avant de connaître l’état
des stocks constitués ou non
avant l’épidémie. Le temps que la
mission d’information, qui audi
tionnera, la semaine prochaine,
le ministre de l’intérieur, Christo
phe Castaner, et la garde des
sceaux, Nicole Belloubet, se trans
forme en commission d’enquête.
Car l’heure n’est pas à chercher
des responsabilités. En conclu
sion des trois heures et vingt mi
nutes d’échange, Richard Ferrand,
qui n’a pas passé pour rien près de
vingtcinq ans au Parti socialiste,
convoque La Rose et le Réséda,
d’Aragon : « Quand les blés sont
sous la grêle/Fou qui fait le déli
cat/Fou qui songe à ses querelles/
Au cœur du commun combat. »
olivier faye
et manon rescan
« Par essence,
le premier
ministre a un rôle
de bouclier du
président sous la
Ve République »,
dit un conseiller
ministériel
Le premier ministre, Edouard Philippe, et Emmanuel Macron, à l’Elysée, le 19 mars. REUTERS
L’Airbus présidentiel en renfort
L’exécutif a mis à disposition les avions de la flotte gouvernemen-
tale pour acheminer en Ile-de-France une partie des 300 infir-
miers et 20 à 30 médecins, de quatre régions (Bretagne, Occitanie,
Nouvelle-Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d’Azur), nécessaires à
l’ouverture de 200 lits de réanimation d’ici à ce week-end, a indi-
qué au Monde le directeur général de l’ARS Ile-de-France, Aurélien
Rousseau. Trois avions ont transporté mercredi une trentaine de
soignants, confirme Matignon. Et c’est l’Airbus A330 présidentiel
qui a été utilisé, les 31 mars et 1er avril, pour acheminer à Mayotte
et à La Réunion 3,5 tonnes de matériel médical et « deux équipes
militaires de désinfection Covid », a confirmé l’Elysée au Monde.