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SAMEDI 28 MARS 2020
CULTURE
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Films courts
pour temps
long sur le Net
Dans le sillage du Festival du court
métrage, en ligne, une sélection
de pépites à découvrir sur la Toile
CINÉMA
E
n ces temps cloîtrés, le
courtmétrage se désen
clave. Dégagé des enjeux
financiers et législatifs
du long, il prend sa revanche et
accourt sur la Toile, dans un élan
de gratuité qui ira droit au cœur
des confinés. Plus facile à réaliser,
plus propice à l’essai du débutant,
le format – c’est sa faiblesse –
n’est pas exempt de grosses facili
tés. A contrario, il est aussi le lieu
d’une liberté rarement exercée.
Parmi la foultitude des proposi
tions qui courent généreuse
ment aujourd’hui sur le Net, voici
une modeste sélection, non
exhaustive, de perles rares à
pêcher au gré du courant.
Cela commence à la Fête du
courtmétrage, tournée vinaigre
comme le reste et qui se tient ipso
facto en ligne jusqu’au mardi
31 mars. S’il fallait ici n’en retenir
qu’un – choix absurde qui ne
contraint que le journaliste
soucieux de maîtriser l’envergure
de son papier –, ce serait un classi
que relativement méconnu : En
rachâchant (1982), de JeanMarie
Straub et Danièle Huillet. A peu
près le contraire de tout ce qui se
fait. Epuré, sec, économe, rapide
et précis comme une flèche.
Adapté d’un conte pour enfants
de Marguerite Duras, Ah! Ernesto
(1971), voici l’histoire d’un garçon
net qui ne veut plus aller à l’école
(parce qu’on y apprend des choses
qu’on ne sait pas !), traîné par ses
parents déconcertés à un rendez
vous avec le maître. Hymne à la
vie comme elle se vit, refus de
l’encagement fûtil pédagogi
que, voilà une petite merveille
anarchobrechtienne qui, surtout
en ce moment, aérera la tête des
petits comme des grands.
De son côté, la revue spécialisée
Bref invite à découvrir chaque
mercredi trois courtsmétrages
en accès libre. On attirera tout
particulièrement l’attention sur
le riche programme du mercredi
8 avril. Enfants des courants d’air ,
d’Edouard Luntz, Prix JeanVigo
1959, est la journée d’un gosse du
bidonville d’Aubervilliers. Une
étonnante liberté de ton et un
puissant sentiment d’authenti
cité – au diapason de la Nouvelle
Vague qui éclôt alors – frappent
ici. Lui tient compagnie Le Coup
du berger (1956), de Jacques
Rivette, jeu de mœurs cruel consi
déré comme la pierre de touche
de ladite Nouvelle Vague. Une
femme mariée (Virginie Vitry) se
fait offrir une fourrure par son
amant (JeanClaude Brialy, déjà !).
Mais il faut trouver un strata
gème pour que le mari récupère
en personne le manteau.
Ajoutez à l’ensemble Le Batteur
du Boléro (1992), de Patrice
Leconte, et vous avez un ensem
ble aux petits oignons. En huit
minutes douze secondes, soit la
durée du Boléro, de Ravel, inter
prété par l’Orchestre symphoni
que de Paris, il filme en plan fixe
Jacques Villeret qui y tient le rôle,
passablement lancinant, de la
caisse claire. Pur génie de Villeret,
qui parvient avec presque rien à
exprimer l’abyssale routine, le sé
pulcral ennui qui le travaillent.
Où il se vérifie donc que les idées
les plus simples donnent les
courtsmétrages les plus embal
lants, et que le meilleur film de
Patrice Leconte est inconnu du
grand public.
Sport, danse et musique
Pendant ce temps, le GREC
(Groupe de recherches et d’essais
cinématographiques) – structure
d’aide créée en 1969 par Jean
Rouch pour les primocourtsmé
tragistes ambitieux – dispose non
seulement d’un beau réper
toire d’une centaine de films li
bres d’accès, mais a en sus la
délicatesse de proposer en ces
temps sombres des séances thé
matiques hebdomadaires à
compter du mercredi 1er avril.
On y découvrira ce jourlà qua
tre films dont l’addition est ma
thématiquement baptisée « Vingt
minutes de sport ».
Soit trois épatants courts éclairs
d’une minute – une joggeuse
s’assouplissant à côté d’une fille
voilée sous la statue de Jeanne
d’Arc, une incroyable championne
de sabre chinois au Luxembourg,
une rigolote démonstration shao
lin au lac Daumesnil – plus les dix
sept minutes de The Face, the Heel
et Corentin , de JeanFrançois
Mozerr. Ledit Corentin, grand gar
çon sympathique, y rêve de « cat
cher en Amérique ». Petit pro
blème, il ne semble pas doué pour
la pratique. Roué de coups à l’en
traînement, essoufflé au moindre
geste, d’une exemplaire mollesse,
sa vocation interroge. Le chemin
sera long vers l’Amérique. Signa
lons à toutes fins utiles que les
séances qui suivront s’intitulent
« Au coin de la rue », « Depuis ma
fenêtre » et « Bain de foule et be
soin de fête ». L’esprit du temps.
Terminons sur des sommets
plus escarpés. Depuis 2015,
l’Opéra de Paris invite, sur sa
« 3e Scène », des artistes de toutes
obédiences (cinéastes, photogra
phes, plasticiens, écrivains...) à
filmer la danse et la musique.
Apichatpong Weerasethakul,
Jonathan Littell, Arnaud des
Pallières, Benjamin Millepied,
Bertrand Bonello, Rebecca
Zlotowski sont passés par là.
Leurs œuvres sont disponibles
sur le site, qui se targue de cinq
millions de vues depuis sa créa
tion. Ne ratez pas, encore qu’il ait
déjà et légitimement beaucoup
tourné, Les Indes galantes , de
Clément Cogitore – rencontre
prodigieuse des danseurs de
krump, issu des ghettos de Los
Angeles, et de l’opéraballet de
JeanPhilippe Rameau.
On pourra également faire un
tour chez RE : Voir, un site d’archi
ves de cinéma expérimental qui
met en ligne quotidiennement
un titre de son riche répertoire.
Ne manquez pas, dimanche
29 mars, l’anthologie des courts
du cinéaste autrichien Virgil
Widrich. En particulier, Copy
Shop – nommé en 2001 aux
Retour en 1980 pour The Weeknd
Le chanteur canadien sort un quatrième album studio efficace
MUSIQUE
D
epuis fin novembre 2019,
les synthétiseurs entê
tants du single Blinding
Lights préparaient la nouvelle dé
ferlante disco funk du chanteur et
auteurcompositeur The Weeknd,
Abel Makkonen Tesfaye pour l’état
civil. Alors que beaucoup d’artistes
ont choisi de décaler leur sortie de
disque en raison de la pandémie
de Covid19, le Canadien a main
tenu la parution de son quatrième
album studio, After Hours. Ce nou
vel opus pourrait bien aider à pas
ser le confinement. Une tournée
mondiale est prévue, avec trois
concerts à l’AccorHotels Arena, à
Paris, les 11, 12 et 13 novembre (dont
deux sont déjà complets).
Les paroles du premier titre,
Alone Again , plutôt anxiogène
avec une lente montée en puis
sance, semblent ainsi résonner
avec l’actualité : « Together, we’re
alone » (« Ensemble nous sommes
seuls »). Après le succès de ses pré
cédents albums – Beauty Behind
the Madness (2015) avec l’irrésisti
ble single Can’t Feel My Face ,
Starboy (2016), puis le minialbum
My Dear Melancholy (2018), copro
duit en partie avec le musicien
français d’électro Gesaffelstein – et
des clips dépassant le milliard de
vues sur YouTube, le trentenaire (il
est né le 16 février 1990 à Toronto),
qui explore dans ses chansons ses
difficultés relationnelles et ses
addictions aux drogues, n’a pas
son pareil pour transformer ce
malêtre en tubes dansants.
La première partie d’ After Hours
constitue une mise en bouche, tra
versée par des nappes de synthéti
seurs empruntées aux années
1980, comme sur Hardest to Love ,
télescopé par un breakbeat issu,
lui, de la drum’n’bass londo
nienne, le genre électronique ap
paru dans la décennie 1990. Scared
to Live manifeste aussi ce goût su
ranné pour la pop britannique des
années 1980 avec une batterie que
n’aurait pas reniée Phil Collins.
Après une enfilade de titres apai
sants et sensuels tels qu’ Escape
From L.A. , il faut attendre le tube
Blinding Lights puis le remarqua
ble In Your Eyes , qui se distingue
par son solo de saxophone, pour
qu’A fter Hours retrouve son effica
cité rythmique. Quelques heures
après sa sortie sur les platesfor
mes de téléchargement et de strea
ming, l’album a été enrichi d’une
version « deluxe » contenant cinq
remix, dont celui d’ After Hours, la
chanson, revisitée par The Blaze, le
binôme français de cousins.
stéphanie binet
1 CD Republic Records/Island
Records.
Filmé en plan fixe, Jacques Villeret tient le rôle de la caisse claire dans « Le Batteur du Boléro ». PATRICE LECONTE
Le meilleur film
de Patrice
Leconte,
« Le Batteur
du Boléro »
(1992), est
inconnu
du grand public
Oscars – qui, dans un noir et
blanc charbonneux du temps du
muet, suit l’employé d’allure kea
tonienne d’un magasin de photo
copies pour mieux le soumettre
luimême à un processus de du
plication qui devient bientôt in
fernal. Un film à la fois trivial et
angoissant, qui s’inquiète en
s’amusant de l’épuisement de la
réalité sous l’effet de la proliféra
tion mécanique des images qui la
représentent. Le cinéma comme
virus de la vie ?
jacques mandelbaum
Exposition organiséeencollaborationavec Instituto Moreira Salles (Brésil)