Le Monde - 28.03.2020

(Chris Devlin) #1
0123
SAMEDI 28 MARS 2020

CULTURE


| 19


Films courts 


pour temps 


long sur le Net


Dans le sillage du Festival du court


métrage, en ligne, une sélection


de pépites à découvrir sur la Toile


CINÉMA


E


n ces temps cloîtrés, le
court­métrage se désen­
clave. Dégagé des enjeux
financiers et législatifs
du long, il prend sa revanche et
accourt sur la Toile, dans un élan
de gratuité qui ira droit au cœur
des confinés. Plus facile à réaliser,
plus propice à l’essai du débutant,
le format – c’est sa faiblesse –
n’est pas exempt de grosses facili­
tés. A contrario, il est aussi le lieu
d’une liberté rarement exercée.
Parmi la foultitude des proposi­
tions qui courent généreuse­
ment aujourd’hui sur le Net, voici
une modeste sélection, non
exhaustive, de perles rares à
pêcher au gré du courant.
Cela commence à la Fête du
court­métrage, tournée vinaigre
comme le reste et qui se tient ipso
facto en ligne jusqu’au mardi
31 mars. S’il fallait ici n’en retenir
qu’un – choix absurde qui ne
contraint que le journaliste
soucieux de maîtriser l’envergure
de son papier –, ce serait un classi­
que relativement méconnu : En
rachâchant (1982), de Jean­Marie
Straub et Danièle Huillet. A peu
près le contraire de tout ce qui se
fait. Epuré, sec, économe, rapide
et précis comme une flèche.
Adapté d’un conte pour enfants
de Marguerite Duras, Ah! Ernesto
(1971), voici l’histoire d’un garçon­
net qui ne veut plus aller à l’école
(parce qu’on y apprend des choses
qu’on ne sait pas !), traîné par ses
parents déconcertés à un rendez­
vous avec le maître. Hymne à la
vie comme elle se vit, refus de
l’encagement fût­il pédagogi­
que, voilà une petite merveille
anarcho­brechtienne qui, surtout
en ce moment, aérera la tête des
petits comme des grands.
De son côté, la revue spécialisée
Bref invite à découvrir chaque
mercredi trois courts­métrages
en accès libre. On attirera tout
particulièrement l’attention sur
le riche programme du mercredi

8 avril. Enfants des courants d’air ,
d’Edouard Luntz, Prix Jean­Vigo
1959, est la journée d’un gosse du
bidonville d’Aubervilliers. Une
étonnante liberté de ton et un
puissant sentiment d’authenti­
cité – au diapason de la Nouvelle
Vague qui éclôt alors – frappent
ici. Lui tient compagnie Le Coup
du berger (1956), de Jacques
Rivette, jeu de mœurs cruel consi­
déré comme la pierre de touche
de ladite Nouvelle Vague. Une
femme mariée (Virginie Vitry) se
fait offrir une fourrure par son
amant (Jean­Claude Brialy, déjà !).
Mais il faut trouver un strata­
gème pour que le mari récupère
en personne le manteau.
Ajoutez à l’ensemble Le Batteur
du Boléro (1992), de Patrice
Leconte, et vous avez un ensem­
ble aux petits oignons. En huit
minutes douze secondes, soit la
durée du Boléro, de Ravel, inter­
prété par l’Orchestre symphoni­
que de Paris, il filme en plan fixe
Jacques Villeret qui y tient le rôle,
passablement lancinant, de la
caisse claire. Pur génie de Villeret,
qui parvient avec presque rien à
exprimer l’abyssale routine, le sé­
pulcral ennui qui le travaillent.
Où il se vérifie donc que les idées
les plus simples donnent les
courts­métrages les plus embal­
lants, et que le meilleur film de
Patrice Leconte est inconnu du
grand public.

Sport, danse et musique
Pendant ce temps, le GREC
(Groupe de recherches et d’essais
cinématographiques) – structure
d’aide créée en 1969 par Jean
Rouch pour les primo­courts­mé­
tragistes ambitieux – dispose non
seulement d’un beau réper­
toire d’une centaine de films li­
bres d’accès, mais a en sus la
délicatesse de proposer en ces
temps sombres des séances thé­
matiques hebdomadaires à
compter du mercredi 1er avril.
On y découvrira ce jour­là qua­
tre films dont l’addition est ma­

thématiquement baptisée « Vingt
minutes de sport ».
Soit trois épatants courts éclairs
d’une minute – une joggeuse
s’assouplissant à côté d’une fille
voilée sous la statue de Jeanne
d’Arc, une incroyable championne
de sabre chinois au Luxembourg,
une rigolote démonstration shao­
lin au lac Daumesnil – plus les dix­
sept minutes de The Face, the Heel
et Corentin , de Jean­François
Mozerr. Ledit Corentin, grand gar­
çon sympathique, y rêve de « cat­
cher en Amérique ». Petit pro­
blème, il ne semble pas doué pour
la pratique. Roué de coups à l’en­
traînement, essoufflé au moindre
geste, d’une exemplaire mollesse,
sa vocation interroge. Le chemin
sera long vers l’Amérique. Signa­
lons à toutes fins utiles que les
séances qui suivront s’intitulent
« Au coin de la rue », « Depuis ma
fenêtre » et « Bain de foule et be­
soin de fête ». L’esprit du temps.
Terminons sur des sommets
plus escarpés. Depuis 2015,
l’Opéra de Paris invite, sur sa
« 3e Scène », des artistes de toutes
obédiences (cinéastes, photogra­
phes, plasticiens, écrivains...) à
filmer la danse et la musique.
Apichatpong Weerasethakul,
Jonathan Littell, Arnaud des
Pallières, Benjamin Millepied,
Bertrand Bonello, Rebecca
Zlotowski sont passés par là.
Leurs œuvres sont disponibles
sur le site, qui se targue de cinq
millions de vues depuis sa créa­
tion. Ne ratez pas, encore qu’il ait
déjà et légitimement beaucoup
tourné, Les Indes galantes , de

Clément Cogitore – rencontre
prodigieuse des danseurs de
krump, issu des ghettos de Los
Angeles, et de l’opéra­ballet de
Jean­Philippe Rameau.
On pourra également faire un
tour chez RE : Voir, un site d’archi­
ves de cinéma expérimental qui
met en ligne quotidiennement
un titre de son riche répertoire.
Ne manquez pas, dimanche
29 mars, l’anthologie des courts
du cinéaste autrichien Virgil
Widrich. En particulier, Copy
Shop – nommé en 2001 aux

Retour en 1980 pour The Weeknd


Le chanteur canadien sort un quatrième album studio efficace


MUSIQUE


D


epuis fin novembre 2019,
les synthétiseurs entê­
tants du single Blinding
Lights préparaient la nouvelle dé­
ferlante disco funk du chanteur et
auteur­compositeur The Weeknd,
Abel Makkonen Tesfaye pour l’état
civil. Alors que beaucoup d’artistes
ont choisi de décaler leur sortie de
disque en raison de la pandémie
de Covid­19, le Canadien a main­
tenu la parution de son quatrième
album studio, After Hours. Ce nou­
vel opus pourrait bien aider à pas­
ser le confinement. Une tournée
mondiale est prévue, avec trois
concerts à l’AccorHotels Arena, à
Paris, les 11, 12 et 13 novembre (dont
deux sont déjà complets).
Les paroles du premier titre,
Alone Again , plutôt anxiogène
avec une lente montée en puis­
sance, semblent ainsi résonner

avec l’actualité : « Together, we’re
alone » (« Ensemble nous sommes
seuls »). Après le succès de ses pré­
cédents albums – Beauty Behind
the Madness (2015) avec l’irrésisti­
ble single Can’t Feel My Face ,
Starboy (2016), puis le mini­album
My Dear Melancholy (2018), copro­
duit en partie avec le musicien
français d’électro Gesaffelstein – et
des clips dépassant le milliard de
vues sur YouTube, le trentenaire (il
est né le 16 février 1990 à Toronto),
qui explore dans ses chansons ses
difficultés relationnelles et ses
addictions aux drogues, n’a pas
son pareil pour transformer ce
mal­être en tubes dansants.
La première partie d’ After Hours
constitue une mise en bouche, tra­
versée par des nappes de synthéti­
seurs empruntées aux années
1980, comme sur Hardest to Love ,
télescopé par un breakbeat issu,
lui, de la drum’n’bass londo­

nienne, le genre électronique ap­
paru dans la décennie 1990. Scared
to Live manifeste aussi ce goût su­
ranné pour la pop britannique des
années 1980 avec une batterie que
n’aurait pas reniée Phil Collins.
Après une enfilade de titres apai­
sants et sensuels tels qu’ Escape
From L.A. , il faut attendre le tube
Blinding Lights puis le remarqua­
ble In Your Eyes , qui se distingue
par son solo de saxophone, pour
qu’A fter Hours retrouve son effica­
cité rythmique. Quelques heures
après sa sortie sur les plates­for­
mes de téléchargement et de strea­
ming, l’album a été enrichi d’une
version « deluxe » contenant cinq
remix, dont celui d’ After Hours, la
chanson, revisitée par The Blaze, le
binôme français de cousins.
stéphanie binet

1 CD Republic Records/Island
Records.

Filmé en plan fixe, Jacques Villeret tient le rôle de la caisse claire dans « Le Batteur du Boléro ». PATRICE LECONTE

Le meilleur film
de Patrice
Leconte,
« Le Batteur
du Boléro »
(1992), est
inconnu
du grand public

Oscars – qui, dans un noir et
blanc charbonneux du temps du
muet, suit l’employé d’allure kea­
tonienne d’un magasin de photo­
copies pour mieux le soumettre
lui­même à un processus de du­
plication qui devient bientôt in­
fernal. Un film à la fois trivial et
angoissant, qui s’inquiète en
s’amusant de l’épuisement de la
réalité sous l’effet de la proliféra­
tion mécanique des images qui la
représentent. Le cinéma comme
virus de la vie ?
jacques mandelbaum

Exposition organiséeencollaborationavec Instituto Moreira Salles (Brésil)
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