Le Monde - 28.03.2020

(Chris Devlin) #1

24 |idées SAMEDI 28 MARS 2020


0123


Aidez-nous : acceptez de participer


à nos études de recherche clinique


Cinquante-neuf réanimateurs


appellent patients et familles


à coopérer afin d’identifier


le traitement le plus efficace


pour lutter contre le Covid­19


[Des essais cliniques viennent de dé­
marrer sous l’égide de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS). En Europe,
le consortium Reacting a lancé, diman­
che 22 mars, l’essai Discovery. Il prévoit
de recruter 3 200 patients, dont 800 en
France, répartis de façon aléatoire
dans cinq groupes afin de recevoir dif­
férentes thérapeutiques, des soins stan­
dards, différents antiviraux, ou encore
la fameuse hydroxychloroquine, pro­
mue par le professeur Didier Raoult.
D’autres essais devraient suivre. Mais
obtenir l’accord de personnes malades,
ou de leurs familles, pour accepter de

démonstration de son efficacité
contre cette maladie. Si vous ou un
de vos proches êtes hospitalisés
dans nos services, nous vous solli­
citerons pour participer à une
étude de recherche clinique dont
l’objectif est d’identifier de la fa­
çon la plus rigoureuse et la plus
scientifique possible le meilleur
traitement pour lutter contre le vi­
rus du Covid­19.
Il n’y a pas d’alternative possible
pour faire progresser la connais­
sance médicale. Il n’y a pas
d’alternative possible pour que
demain nous arrivions à vous
soigner encore mieux qu’aujour­
d’hui. Nous avons besoin de vous.
Aidez­nous en acceptant de parti­
ciper à nos études de recherche
clinique. Vous pouvez compter sur
nous pour vous soigner, nous
comptons sur vous pour faire
progresser les connaissances sur
cette maladie.

Roman Frydman et Edmund Phelps


Aux Etats-Unis, les tabous sur le rôle


de l’Etat ne doivent pas faire obstacle


Les deux économistes appellent à conditionner
les aides promises par le président Donald Trump
à la participation effective des entreprises à la lutte

D contre le coronavirus et au maintien des salaires


es villes entières en état de confi­
nement. La panique sur les mar­
chés financiers. Des rayons vides
dans les magasins. Des hôpitaux
à court de lits. Les Etats­Unis sont entrés
à leur tour dans une réalité qui nous était
inconnue en temps de paix.
En exigeant que les gens restent confi­
nés chez eux, les décideurs politiques es­
pèrent ralentir puis inverser la vitesse de
propagation du Covid­19. Mais ni le con­
finement ni une importante création de
monnaie ne vont suffire à arrêter la pan­
démie ni à sauver nos économies.
Le plan de sauvetage économique de
2 000 milliards de dollars (1 800 mil­
liards d’euros) qui vient d’être adopté par
les Etats­Unis en est un exemple. Le pays
a certes besoin de dépenses publiques à
cette échelle gigantesque, mais aussi
d’une intervention de l’Etat pour faire
face à une crise de santé publique qui
s’aggrave. De ce fait, bon nombre de dis­
positions du projet de loi sur les « mesu­
res de relance » semblent malavisées,
voire lamentables dans certains cas.
D’autres vont dans la bonne direction,
mais sont trop fragmentaires.
Mais ce qui est alarmant, c’est que de
nombreux décideurs politiques améri­
cains – dont le président Donald Trump –
supposent qu’il sera possible d’assouplir
le confinement dès Pâques, en ignorant
la menace que constitue le Covid­19 non
seulement pour les personnes âgées,
mais également pour les jeunes. Selon le
New York Times , environ 40 % des per­
sonnes hospitalisées à cause de cette ma­
ladie aux Etats­Unis ont entre 20 et
54 ans, ce qui laisse penser que la sur­
charge de travail qui pèse sur les systè­
mes de santé va s’amplifier considérable­
ment avant un retour à la normale.
La possibilité même de la mort de mil­
lions de personnes alors que l’économie
est mise à mal justifie une augmentation
substantielle de l’ampleur et de la portée
de l’action de l’Etat. Il faut donc considé­
rer la réponse de l’Etat comme une
forme sans précédent d’assurance systé­
mique à court terme sur nos vies et sur
nos moyens de subsistance. Compte
tenu de la valeur absolue que nous accor­
dons à nos vies et à nos moyens de sub­
sistance, les citoyens et les gouverne­
ments doivent être prêts à payer ce qui
peut leur faire l’effet d’une prime d’assu­


rance extraordinairement forte. Cette as­
surance systémique est nécessaire dans
quatre domaines :
­ réaffecter la capacité de production
actuelle de l’économie pour surmonter
les pénuries croissantes de matériels et
de services nécessaires pour répondre ef­
ficacement à la pandémie ;
­ venir en aide aux entreprises qui ne
sont pas directement impliquées dans
les efforts de lutte contre la crise afin
qu’elles puissent continuer à fournir des
biens et des services essentiels ;
­ veiller à ce que la population dispose
de moyens suffisants pour acheter ces
biens et services ;
­ créer une facilité financière pour
aider les personnes incapables de rem­
bourser leurs prêts et leurs créances, at­
ténuant ainsi les risques de cataclysme
pour le secteur financier.

Pénurie médicale
Une assurance systémique de ce type va
bien au­delà des propositions actuelles de
milliards de dollars de dépenses, dont
une grande partie est destinée à des ini­
tiatives politiques qui diagnostiquent la
crise – à tort – comme une faiblesse de la
demande globale, ou comme le résultat
d’un choc d’offre de type courant. En
outre, des sommes substantielles sont
consacrées à des plans de sauvetage d’en­

treprises, sans assortir explicitement l’al­
location de cette aide de conditions ga­
rantissant la participation de l’entreprise
à l’effort de lutte contre la crise sanitaire
et contre ses conséquences économiques.
Alors que les responsables politiques
du monde entier envisagent des dépen­
ses importantes pour lutter contre la
crise, la question la plus immédiate est
de savoir si les mesures actuellement à
l’étude fournissent une assurance suffi­
sante contre les risques systémiques qui
sont en train de se multiplier.
Les critères sont simples :
­ les dépenses publiques concentrent­
elles effectivement la totalité de l’atten­
tion nécessaire pour surmonter la crise
de santé publique?
­ le plan de sauvetage économique
est­il suffisant pour préserver le bien­
être de la population?
A ce titre, les injections gouvernemen­
tales d’argent « hélicoptère » (alloca­
tions directes d’argent liquide) pour
aider à maintenir la population à flot
devraient être récurrentes, contraire­
ment aux quelques décaissements en
cours de discussion. L’élargissement
des allocations de chômage, de l’admis­
sibilité aux bons d’alimentation et à
d’autres paiements de ce type permet­
trait également de payer les biens et ser­
vices essentiels.
Les mesures visant à stimuler l’em­
ploi, telles que les réductions d’impôts
sur les sociétés ou sur les salaires préco­
nisées par les républicains au Sénat
n’aideront certainement pas à lutter
contre la pandémie, ni contre ses consé­
quences sur l’offre de biens et de servi­
ces. On ne peut pas compter sur des em­
ployés malades ou susceptibles d’être
malades, et donc d’être un danger pour
les autres, pour maintenir la production
de biens et de services.
Ce qui est maintenant douloureuse­
ment clair, c’est qu’il y a une pénurie
d’offres d’un type sans précédent : le ma­
tériel et les installations médicales. Et
il est tout aussi clair que les mesures

actuellement à l’étude aux Etats­Unis,
qui reposent principalement sur la réaf­
fectation volontaire de la capacité de pro­
duction existante, sont cruellement ina­
déquates pour réduire ces pénuries.
Le rééquipement d’usines pour pro­
duire des ventilateurs pour les patients
et des équipements de protection indi­
viduelle pour le personnel médical,
par exemple, prend du temps. Ces me­
sures doivent donc être renforcées sans
délai. En outre, ce renouvellement de
l’équipement exige des dépenses subs­
tantielles, qui sont difficiles à réaliser
dans le contexte d’une économie qui
s’effondre.

Plans de sauvetage
Afin de réaffecter la capacité existante, le
gouvernement doit conditionner le sou­
tien de toute entreprise privée par l’enga­
gement de celle­ci à produire du matériel
vital (spécifié par un groupe d’experts
médicaux) et à rémunérer ses employés
à des salaires raisonnables. Pour éviter
un gonflement des prix, les fournitures
médicales doivent être facturées aux ni­
veaux d’avant la crise.
Cette condition ne doit pas s’appliquer
seulement aux entreprises qui produi­
sent du matériel. Les grandes entrepri­
ses du secteur des services, telles que
les compagnies aériennes ou les chaî­
nes d’hôtels, ne doivent recevoir de sub­
ventions du contribuable que si elles
réaffectent leurs capacités à la lutte
contre la pandémie.
Plutôt que de rester les bras ballants
en attendant la reprise du trafic de voya­
geurs, les compagnies aériennes de­
vraient recevoir des fonds pour rééqui­
per leurs avions afin de transporter des
fournitures et du matériel médical, ou
pour envoyer des patients malades vers
des lieux en mesure de les prendre en
charge. De même, les chaînes d’hôtels
ne devraient bénéficier de l’aide de
l’Etat qu’à condition de transformer
leurs hôtels en hôpitaux temporaires.
En outre, la condition du versement
des aides doit être que les employés
continuent d’être rémunérés à un sa­
laire adéquat. Les plans de sauvetage
ne doivent pas être détournés vers les
augmentations de salaire de la direc­
tion, les rachats d’actions ou le verse­
ment des dividendes.

La mise en place d’une assurance systé­
mique est sans précédent, dans la me­
sure où elle exige non seulement des dé­
penses publiques – ce qui peut être con­
sidéré comme la partie en espèces de la
prime –, mais également des interven­
tions de l’Etat à grande échelle dans la fa­
çon dont nos économies produisent et
distribuent des biens et des services.
Cette évolution de l’action de l’Etat est
bien plus globale que la mobilisation
pour la seconde guerre mondiale – un
parallèle fréquemment évoqué.
Une telle réorganisation de nos écono­
mies va au­delà de simples difficultés
opérationnelles, en particulier aux Etats­
Unis, où le gouvernement a historique­
ment limité strictement son interven­
tion directe sur les activités productives.
Bien que l’intervention des gouverne­
ments dans les économies modernes
prenne de nombreuses formes, les idées
encore profondément enracinées sur
l’équilibre entre l’Etat et le marché empê­
chent, même aujourd’hui, de répondre
de manière adéquate à cette crise.
Le président Trump et les responsables
politiques américains ont jusqu’à pré­
sent préféré des mesures fragmentaires.
Leur croyance instinctive en la supério­
rité du marché et des initiatives privées,
quelles que soient les circonstances, les
fait reculer face à l’ampleur de l’interven­
tion de l’Etat nécessaire pour sauver nos
vies et nos moyens de subsistance.
Les vieux tabous sur le rôle de l’Etat ne
doivent pas devenir des obstacles à la
lutte contre les graves risques systémi­
ques auxquels nous sommes confrontés.
Les piètres états de service des gouver­
nements en matière de lutte contre une
autre menace existentielle – celle du
changement climatique – ne sont pas de
bon augure.
Copyright Project Syndicate, 2020
(Project­syndicate.org)

Roman Frydman est professeur
d’économie à la New York University
Edmund Phelps est directeur
du Centre sur le capitalisme
et la société de l’université Columbia
(New York), Prix Nobel d’économie 2006

CETTE ÉVOLUTION


DE L’ACTION


DE L’ÉTAT EST BIEN


PLUS GLOBALE QUE


LA MOBILISATION


POUR LA SECONDE


GUERRE MONDIALE


Liste des signataires de la Société de
réanimation de langue française (SRLF) :
Hafid Ait-Oufella, professeur, Paris ;
Laurent Argaud, professeur, Lyon ;
Pierre Asfar, Angers ; Cécile Aubron,
professeure, Brest ; Elie Azoulay,
professeur, Paris ; Pierre-Edouard
Bollaert, professeur, Nancy ; Alexan-
dre Boyer, professeur, Bordeaux ;
Emmanuel Canet, professeur, Nantes ;
Gilles Capellier, professeur, Besançon ;
Alain Cariou, professeur, Paris ;
Guillaume Carteaux, médecin,
Créteil ; Vincent Castelain, professeur,
Strasbourg ; Jean-Daniel Chiche,
professeur, Paris ; Alain Combes, pro-
fesseur, Paris ; Alexandre Demoule,
professeur, Paris ; Nicolas De Prost,
professeur, Créteil ; Pierre-François
Dequin, professeur, Tours ; Stephan
Ehrmann, professeur, Tours ; Muriel
Fartoukh, professeure, Paris ; Sté-
phane Gaudry, professeur, Bobigny ;
Guillaume Géri, professeur, Boulogne ;
Bertrand Guidet, professeur, Paris ;
Gilles Hilbert, professeur, Bordeaux ;
Mercé Jourdain, professeur, Lille ;
Kada Klouche, professeur, Montpel-
lier ; Alexandre Lautrette, professeur,
Clermont-Ferrand ; Nicolas Lerolle,
professeure, Angers ; Stéphane Le-
teurtre, professeur, Lille ; Bruno Levy,

professeur, Nancy ; Charles-Edouard
Luyt, Paris ; Julie Helms, professeure,
Strasbourg ; Julien Maizel, professeur,
Amiens ; Eric Maury, professeur, Paris ;
Armand Mekontso Dessap, profes-
seur, Créteil ; Alain Mercat, professeur,
Angers ; Ferhat Meziani, professeur,
Strasbourg ; Jean-Paul Mira, profes-
seur, Paris ; Xavier Monnet, professeur,
Le Kremlin-Bicêtre ; Bruno Mourvillier,
professeur, Reims ; Saad Nseir, profes-
seur, Lille ; Laurent Papazian, profes-
seur, Marseille ; Frédéric Pène, profes-
seur, Paris ; Jean Reignier, professeur,
Nantes ; Jean-Christophe Richard,
professeur, Lyon ; René Robert, profes-
seur, Poitiers ; Charlotte Salmon
Gandonnière, médecin, Tours ; Francis
Schneider, professeur, Strasbourg ;
Frédérique Schortgen, médecin,
Créteil ; Carole Schwebel, professeure,
Grenoble ; Romain Sonneville, profes-
seur, Paris ; Jean-Marc Tadié, profes-
seur, Rennes ; Fabienne Tamion, pro-
fesseure, Rouen ; Guillaume Thiery,
professeur, Saint-Etienne ; Jean-Louis
Teboul, professeur, Le Kremlin-Bicêtre ;
Yves Le Tulzo, professeur, Rennes ;
Arnaud W. Thille, professeur, Poitiers ;
Frédéric Vargas, professeur,
Bordeaux ; Nicolas Weiss, professeur,
Paris ; Lara Zafrani, professeure, Paris.

laisser le hasard décider du traitement
qui leur sera prodigué pose de sérieux
problèmes. C’est pourtant la condition
d’une recherche « la plus rigoureuse et
la plus scientifique possible », souli­
gne ce collectif de réanimateurs.]

A


vec l’épidémie virale due au
SARS­CoV2, la France traverse
aujourd’hui la plus grande crise
sanitaire de son histoire. Nous, mé­
decins réanimateurs, sommes mo­
bilisés tous les jours en première li­
gne pour prendre en charge les
formes graves de cette maladie. Nos
services nous permettent de mettre
en œuvre une surveillance conti­
nue, une assistance respiratoire et
d’autres traitements afin de gagner
du temps, de permettre à l’orga­
nisme de combattre ce virus et de
survivre à la maladie.
Nous disposons de plusieurs trai­
tements potentiels dirigés contre le
virus, mais à ce jour aucun n’a fait la
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