Le Monde - 28.03.2020

(Chris Devlin) #1

26 | 0123 SAMEDI 28 MARS 2020


0123


L


e confinement devait of­
frir du temps pour lire
Proust ou Karine Tuil, re­
garder des films, déguster
en DVD la Tétralogie, de Wagner,
mise en scène par Patrice Ché­
reau. Pour se poser. Mais le temps
libre est submergé par les expé­
riences émotives rapides, l’infor­
mation en boucle, l’échange de vi­
déos potaches, les apéros par
Skype. On craignait que nos cer­
veaux soient peu réceptifs à la cul­
ture classique comme à la nou­
velle qui déferle en masse sur no­
tre canapé via la Toile. D’autant
que, juste après l’annonce du con­
finement, lundi 16 mars, les ven­
tes qui ont explosé sont allées aux
équipements informatiques, pas
aux livres ou CD. Sans compter la
télévision, qui a gagné une heure
d’écoute, au profit, entre autres,
du Jour du Seigneur – audience tri­
plée pour la messe.
Or, bonté divine, l’audience de la
culture virtuelle bondit aussi par­
tout depuis que le SARS­CoV­2
(nom scientifique du nouveau co­
ronavirus) est là. Sauf que certains
gagnent bien plus que d’autres, et
surtout ils ne gagnent pas la
même chose. D’un côté, les entre­
prises qui font du commerce en li­
gne gagnent pour la plupart de
l’argent. De l’autre, les musées ou
salles de spectacle gagnent de la
visibilité, ils informent le public,
le fidélisent, l’élargissent, mais,
comme leurs sites sont gratuits,
ils perdent de l’argent.
C’est l’injustice du virus que de
faire perdre ceux qui font un tra­
vail de fond auprès du public et ga­
gner ceux qui le font moins. Mais
que l’industrie numérique sorte
renforcée de cette crise est dans
l’air du temps. Elle était déjà floris­
sante avant le confinement. C’est
vrai pour la culture qui se niche
parmi une offre pléthorique (You­
Tube) et celle qui est un fonds de
commerce. Les plates­formes de
ventes de films cumulent les clés
du succès : le cinéma est un art po­
pulaire, facile, adapté au confine­
ment, sans risque sanitaire, car dé­
matérialisé. Ces entreprises font
un carton et le disent peu – ce se­
rait indécent. Aux Etats­Unis, la
courbe des abonnements s’en­
vole pour Netflix comme pour
Disney +. Même les petits opéra­
teurs français de cinéma en ligne
en profitent. LaCinetek parle d’un
mouvement « extraordinaire » ,
avec des abonnements multipliés
par trois, voire par quatre pour les
films « spécial réconfort ».
Autre gagnant, et sans surprise,
le jeu vidéo, dont les ventes se­
raient multipliées par cinq ou par
dix. La surprise vient des plates­
formes de musique en ligne. En
Italie, durant les quinze premiers
jours de mars, les écoutes de Spo­
tify ont baissé de 23 %. Moins 13 %
en Espagne. En France, Deezer
constate une « baisse relative » des
streams, mais plus de « régula­
rité » et des abonnements qui se
tiennent. Pourquoi cette baisse?
Parce que cette forme d’écoute
colle bien avec les transports et les
escapades et mal avec le chez­soi.
Mais c’est bien le livre qui cris­
tallise le débat entre numérique
et virus, avec des librairies à l’ar­
rêt et Amazon en mouvement,
embauchant même du person­
nel. Aujourd’hui, pour des raisons
multiples teintées d’indignation,

le numéro un du commerce en li­
gne dit se limiter aux produits de
première nécessité, mais vend
encore « des livres scolaires et jeu­
nesse » , soit le secteur le plus de­
mandé. La Fnac, elle, moins dans
l’œil du cyclone, continue de ven­
dre des produits culturels livrés
sur le palier – des ventes multi­
pliées par deux pour les livres.

Fracture
Le virus pourrait aussi être une
occasion pour le livre numérique
et la liseuse, qui n’ont pas vrai­
ment pris en France. Depuis le
confinement, le secteur bondit.
Un doublement des ventes pour
la Fnac. Encore plus pour les pe­
tits opérateurs, comme ePagine,
qui parle d’un phénomène « iné­
dit et énorme ». Quant aux biblio­
thèques, leur fermeture est com­
pensée par un numérique omni­
présent. Le site Gallica, de la Bi­
bliothèque nationale de France
(BNF), affiche + 34 % de fréquenta­
tion alors qu’il reçoit déjà 16 mil­
lions de visites par an.
Les salles de spectacle et les mu­
sées vivent une autre fracture. En­
tre les petits, aux sites Internet
modestes et pour qui c’est double
peine, et les gros qui voient leur
fréquentation numérique dou­
bler, et parfois plus, en recyclant
des concerts ou autres sur le Net.
C’est le cas de la Philharmonie de
Paris, de l’Opéra­Comique, de
l’Opéra de Paris, dont Manon ,
dont la représentation a été stop­
pée en salle, a été vu 370 000 fois
sur le site, souvent quelques mi­
nutes, mais tout de même.
Ayons une pensée pour les mu­
sées dont les expositions devaient
débuter ces derniers jours : Christo
au Centre Pompidou ou Pompéi
au Grand Palais. Sinon, la plupart
de ces lieux de l’art, où l’original
est roi et les sites peu novateurs,
essaient tant bien que mal de se
donner une nouvelle vie sur la
Toile. Pour garder le contact, en at­
tendant des jours meilleurs. Et ça
marche étonnamment fort pour
les gros : + 170 % de visites pour le
Grand Palais et 29 000 « vues », le
25 mars, premier jour de son Pom­
péi virtuel – le chiffre va monter.
Même chose pour le Louvre,
dont l’audience a grimpé de
40 000 visiteurs par jour à près de
400 000. Il y a tout de même une
prime aux sites à forte valeur ajou­
tée autour de thématiques attracti­
ves ou éducatives. C’est le cas des
expositions virtuelles de la BNF, en
hausse de 113 % depuis le confine­
ment, alors même qu’elles sont
déjà vues par 4 millions de person­
nes par an. C’est aussi le cas de la
quinzaine de musées de la Ville de
Paris. Les sites de chacun ont perdu
la moitié de leurs visites, mais
ceux qui les réunissent, par exem­
ple Parismuséescollections, voient
les visites exploser depuis dix
jours, jusqu’à + 350 % ou + 600 %.
Ces fréquentations hors normes
marquent une date. Elles disent
au secteur culturel, souvent à la
traîne sur le sujet, qu’Internet
peut être bien plus qu’un appoint
ou le moyen d’acheter des billets.
Des idées surgiront. C’est une pe­
tite consolation pour les musées
ou salles de spectacle, qui, très
vite, devront affronter un sujet
douloureux : leur viabilité écono­
mique. Là, tout le monde est per­
dant. Nous y reviendrons.

L’


ampleur de la crise déclenchée par
la pandémie de Covid­19 sera­t­elle
fatale au projet européen ou, au
contraire, va­t­elle inciter les Vingt­Sept à
consolider leur union? C’est l’alternative
devant laquelle leurs dirigeants se trouvent
placés, face à un choc économique qui s’an­
nonce comme le plus violent que l’Union
européenne (UE) ait connu depuis sa créa­
tion. A l’issue du sommet européen qui
s’est tenu, jeudi 26 mars, par visioconfé­
rence, ils se sont donné deux semaines
pour répondre à ce défi existentiel.
Tandis que l’Italie et l’Espagne sont en
pleine détresse pour gérer la crise sanitaire,
que la France voit arriver avec angoisse le
pic de l’épidémie d’ici quelques jours, que le
cap des 15 000 morts vient d’être franchi en

Europe, qu’un peu partout l’activité écono­
mique est à l’arrêt, que des millions d’em­
plois sont menacés, les Etats membres sont
à ce stade incapables d’apporter une ré­
ponse commune et massive pour soutenir
les pays les plus en difficulté. Le délai qu’ils
se sont accordé pour trouver une riposte
économique à la hauteur montre que les
divisions restent profondes.
Pourtant, les lignes ont énormément
bougé ces derniers jours. La Banque cen­
trale européenne a annoncé qu’elle était
prête à racheter pour 1 100 milliards d’euros
de dettes aux Etats. Le carcan du pacte de
stabilité limitant les déficits budgétaires a
été mis entre parenthèses. Mais, pour
autant qu’elles soient nécessaires, ces avan­
cées ne seront pas suffisantes tant qu’elles
ne seront pas complétées par une action
coordonnée des Etats membres.
Depuis la crise des dettes souveraines de
2011, la morale a joué un rôle central dans
le déclenchement des mécanismes de
solidarité financière entre les membres
de la zone euro. Les Etats les plus ver­
tueux sur le plan budgétaire n’acceptaient
de porter secours aux plus impécunieux
du fait de leur mauvaise gestion qu’en
échange de réformes structurelles visant à
les remettre dans le droit chemin. La crise
du coronavirus doit amener les dirigeants
européens à changer de logiciel pour,
enfin, mettre en œuvre une véritable soli­
darité, dénuée d’arrière­pensées.

Le choc sanitaire et économique touche
sans exception tous les pays de la zone
euro, sans qu’aucun d’entre eux en soit
responsable d’une façon ou d’une autre.
Ces circonstances exceptionnelles doivent
inciter leurs dirigeants à jeter rapide­
ment les bases d’une nouvelle cohésion.
Celle­ci passe obligatoirement par une
mutualisation des efforts qui devront être
consentis pour absorber le choc.
Neuf pays, dont la France, poussent pour
l’émission d’obligations européennes. Ces
« coronabonds » permettraient aux pays
n’ayant déjà plus aucune marge de
manœuvre pour emprunter de s’endetter à
moindre coût, grâce à la garantie des Etats
les plus solides, comme l’Allemagne, les
Pays­Bas ou l’Autriche. Inacceptable, répon­
dent ceux­ci, craignant un engrenage dan­
gereux pour leurs propres équilibres.
Pour surmonter ce blocage, la porte de sor­
tie consiste à recourir au Mécanisme euro­
péen de stabilité. Ce fonds de 410 milliards
d’euros, mis en place dans la foulée de la
crise de l’euro, constitue une solution impar­
faite. Mais, une fois adapté aux circonstan­
ces actuelles, il représenterait une esquisse
encourageante de solidarité européenne,
quitte à aller plus loin quand les esprits se­
ront mûrs. Les pays qui estiment que le prix
de la solidarité est trop élevé doivent se
poser la question du coût d’une probable
dislocation de l’Union. Dans cette crise du
coronavirus, l’UE, elle aussi, joue sa survie.

QUE L’INDUSTRIE 


NUMÉRIQUE 


CULTURELLE SORTE 


RENFORCÉE DE 


CETTE CRISE EST 


DANS L’AIR DU TEMPS


UN MOMENT 


DE VÉRITÉ POUR 


Un virus, des L’EUROPE


gagnants et des perdants


CES FRÉQUENTATIONS 


HORS NORMES 


DISENT AU SECTEUR 


QU’INTERNET PEUT 


ÊTRE BIEN PLUS 


QU’UN APPOINT


Tirage du Monde daté vendredi 27 mars : 143 055 exemplaires

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