Le Monde - 28.03.2020

(Chris Devlin) #1

YVES COCHET NE


TOMBE PAS DE HAUT.


Texte Vanessa SCHNEIDER


NOUS ÉTIONS ALLÉS LE VOIR
DANS SA LONGÈRE BRETONNE où il pré-
parait la fin du monde. Il venait de sortir
un livre, Devant l’effondrement. Essais
de collapsologie (Les liens qui libèrent),
et on le regardait comme un doux
dingue, un drôle de Cassandre. C’était
en septembre 2019, autant dire il y a
une éternité. Avec l’arrivée du coronavi-
rus et le confinement, fini de ricaner :
et si Yves Cochet avait eu raison avant
tout le monde? Joint, cette fois, par
téléphone, l’ancien ministre de l’envi-
ronnement de Lionel Jospin a la pudeur
de ne pas fanfaronner. Certes, il avait
écrit noir sur blanc qu’une pandémie
pourrait déclencher l’effondrement
généralisé – page 123 de son livre –,
mais il n’en rajoute pas. « J’aurais plutôt
pensé que cela viendrait d’une crise
du pétrole ou d’une catastrophe clima-
tique », reconnaît-il. Il avait prévu la fin
du monde entre 2020 et 2030, il a été
un peu pris de court. « Avec mes
copains collapsologues, on s’appelle
et on se dit : “Dis donc, ça a été encore
plus vite que ce qu’on pensait !” » Il
va sans dire que la situation actuelle
apporte de l’eau à son moulin. « To u t
cela montre que la mondialisation nous
fragilise et rend vulnérable notre écono-
mie. Nous sommes trop interdépen-
dants, il n’y a pas assez de résilience
locale. Il faut absolument essayer de
créer des biorégions qui seraient auto-
nomes en énergie et en alimentation. »
L’ancien leader des Verts, qui se prépare
à l’apocalypse depuis des années, a
pris un sacré coup d’avance en matière
de confinement. Dans la maison qu’il
partage avec sa fille et ses deux petits-
fils, il dispose d’un puits doté d’une
pompe à bras, de trois citernes compor-
tant chacune 1 0 00 litres d’eau de pluie,
d’un étang dont l’eau peut être filtrée et
de bois pour se chauffer pendant cinq
ans. « On avait prévu le coup depuis
quinze ans. Nous sommes autonomes
en eau et en énergie », se félicite-t-il. En
matière alimentaire, il n’est pas encore
au point et doit se déplacer comme
tout le monde avec son autorisation sur
papier à l’hypermarché du coin. Un point
faible qu’il s’applique à réparer : il s’est
acheté des graines et quelques serres
et compte bien voir pousser mâche,
haricots, tomates et radis dans sa
parcelle. Le confinement à la campagne
n’a pas le même goût qu’en ville, il
l’ admet volontiers : « Contrairement à
ceux qui sont bloqués dans leur HLM
au onzième étage, nous sommes
des  privilégiés. On a du calme
et un bois pour se promener. »
Dans sa petite communauté (il héberge
un woofeur, qui bricole pour lui en

L’ex-leader
des Verts, dans
sa propriété, près
de Rennes, en
septembre 2019.


L’ancien ministre de l’environnement,


qui se prépare à un effondrement du


système depuis des années, voit l’actuelle


crise sanitaire conforter ses théories.


Et regrette de n’être pas pris plus au


sérieux en ces temps de confinement.


échange d’une place pour sa caravane,
et la petite copine de l’un de ses petits-
fils), il respecte les règles en vigueur
et les gestes barrière. « S’il n’y avait pas
l’immense malheur du monde, on serait
presque heureux, constate-t-il. On
déjeune ensemble dehors, on ne s’em-
brasse pas. On a de l’alcool et du gel
pour se désinfecter les mains. Et, comme
personne ne vient nous voir, on est rassu-
rés! » Sa fille a fermé son cabinet d’os-
téopathe ainsi que le temple hindouiste
installé à la place de l’ancienne piscine.
« Avec un de mes petits-fils, qui est éga-
lement converti, ils font des chants et des
prières pour améliorer la situation, mais
je n’y crois pas trop », sourit-il.
Au-delà de la crise sanitaire, l’écologiste
planche déjà sur les scénarios qui pour-
raient entraîner un effondrement global
du système. « Les chauffeurs routiers,
déjà exploités, n’ont plus la possibilité
de s’arrêter dans les restoroutes, qui sont
fermés, note-t-il. Quand ils en auront
marre de manger des sandwichs indus-
triels, on peut imaginer qu’ils décident de
s’arrêter de rouler, leur défection provo-
quera alors la rupture de la chaîne alimen-
taire. » La fin du monde, Yves Cochet
n’est pas sûr et certain qu’elle ait lieu ce
coup-ci. S’il pronostique une grave crise
économique à l’automne, il ne se mouille
pas trop quant à son ampleur : « To u t
dépendra du nombre de morts, estime-t-
il. S’il y en a beaucoup, on peut basculer
dans de l’incontrôlable, de la panique,
des émeutes, des scènes de pillage, le
chaos social. » Il concède néanmoins,
en citant Pierre Dac, qu’ « il est souvent
trop tôt pour voir s’il est déjà trop tard ».
L’ancien ministre se garde de donner
trop de leçons au pouvoir en place. « Ils
ont merdé sanitairement, ils ont fait des
erreurs d’estimation au début et n’ont pas
commandé assez de gel, de masques et
de tests. Le confinement a un peu tardé,
mais à présent la situation est assez bien
gérée. » Le premier discours
d’ Emmanuel Macron lui a plu –  « un vrai
discours présidentiel, du sérieux, c’est ce
qu’il fallait faire ». Il apprécie le ministre
de la santé, Olivier Véran, et a un faible
pour le directeur général de la santé,
Jérôme Salomon : « Il est épatant, je
l’adore. Tous les soirs, je le regarde à la
télévision à 19 heures. Il est bonhomme,
habile, il se donne à fond. » Il a tout de
même un petit regret : personne au
sommet de l’État ne songe à lui deman-
der son avis : « Aucun de ceux qui réflé-
chissent à cette situation depuis des
années n’a été appelé, déplore-t-il. C’est
dommage, car on a écrit des livres et
des articles qui pourraient aider à la
réflexion. » Et de soupirer : « Ils ne nous
prennent toujours pas au sérieux. »

LA SEMAINE

Théophile Trossat

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