Libération - 03.04.2020

(Ann) #1

10 u Libération Vendredi 3 Avril 2020


P


armi les 3 millions de PME et
TPE françaises frappées de
plein fouet par l’arrêt quasi-
total de leur activité depuis plus de
quinze jours, la société parisienne
Bluetens a sans doute vu plus que
d’autres le cygne noir de l’épidémie
de Covid-19 arriver de Wuhan jus-
qu’en France. «Le 16 mars, à l’an-
nonce du confinement général, j’ai
tout de suite compris qu’on allait se
prendre un effet double lame», ra-
conte Cédric Ballanger, le directeur
commercial de cette ­petite entre-
prise innovante spécialisée dans
les dispositifs médicaux d’électro-
thérapie connectée. Et pour cause,
les stimulateurs musculaires intel-
ligents développés par la PME pari-
sienne sont fabriqués en Chine,
dans la région de Shenzen. Et Blue-
tens, qui commercialise ses pro-

duits dans une quinzaine de pays,
a dû faire face dès ­février à l’arrêt
de sa production délocalisée :
«Nous avions des stocks, mais on
les a écoulés depuis. Les usines chi-
noises repartent mais maintenant
il va falloir deux mois entre la fabri-
cation et le transport pour être li-
vrés. De toute façon, avec le confine-
ment un peu partout en Europe,
nous sommes pour le moment blo-
qués, à l’arrêt.»

Défaillances
A l’image de milliers d’entreprises,
la société a dû mettre une partie de
ses douze salariés, les six commer-
ciaux notamment, au chômage par-
tiel. 2020 devait être l’année du
grand décollage pour cette start-up
lancée il y a six ans par Cyrille Dela-
hodde et Boris Dorin. Ce sera partie
remise... «On tablait sur une aug-
mentation de notre chiffre d’affaires
de plus de 15 % en 2020 après une
très bonne année 2019 en forte pro-
gression, autant dire que ça va être
compliqué. On s’inquiète aussi pour

la trésorerie si le confinement devait
durer, reconnaît Cédric Ballanger.
Mais on profite aussi de ce temps de
réflexion utile pour réfléchir à de
nouveaux produits, étudier d’autres
débouchés.» En attendant le retour
aux affaires, Bluetens va contribuer
à «l’effort de guerre» contre le coro-
navirus en proposant gracieuse-
ment ses appareils aux services de
réanimation. Objectif : aider au ré-
veil des patients en leur prodiguant
des soins de kiné localisés. Parmi les
questions que se posent les diri-
geants de Bluetens : pourra-t-on
continuer à produire à 100 % en
Chine après cette crise? Faudra-t-il
relocaliser et comment rester con-
currentiel? «Une chose est sûre, il va
falloir être des “warriors” pour sortir
de cette crise et se relancer.»
Ces questions tournent évidem-
ment dans la tête de tous les petits
patrons et artisans confinés qui ne
savent pas toujours comment ils
vont payer leurs salariés en avril.
Déjà, l’assureur Euler Hermes pré-
voit une augmentation des dé-

faillances d’entreprises de 8 % en
France en 2020. Ce sera sans doute
beaucoup plus, malgré l’arsenal dé-
ployé par le gouvernement pour vo-
ler au secours de l’économie fran-
çaise : 300 milliards d’euros de prêts
garantis par l’Etat, 45 milliards
d’euros d’aides diverses et variées,
un Fonds de solidarité spécifique
pour venir en aide aux PME et TPE
et même une cagnotte faisant appel
à la générosité des français lancée
par le ministre des Comptes pu-
blics, Gérald Darmanin... «Pour les
PME et les TPE, les défaillances d’en-
treprises, ce sont des clients qui dis-
paraissent, donc des encaissements
aussi», alerte Antoine de Riedmat-
ten, le patron du réseau d’experts-
comptables In Extenso.

Chômage partiel
Mais pour survivre aux deux mois
de gel quasi total de leur activité qui
s’annoncent, les dirigeants de ces
petites entreprises et affaires fami-
liales n’espèrent pas trop des aides,
garanties de prêt et autres reports

de charges débloqués de toute ur-
gence par le gouvernement.
­Beaucoup n’ont eu d’autre choix
que de mettre au chômage partiel
leurs salariés, en espérant que la
­reprise des affaires courantes ne
tardera pas trop : ce jeudi 2 avril,
Muriel Pénicaud a annoncé que
400 000 sociétés, «dont une majo-
rité de petites ­entreprises», avaient
déjà recouru à ce dispositif et «qua-
tre millions de salariés, c’est-à-dire
un sur cinq» dans le privé, étaient
au chômage partiel. Coût estimé
pour l’Etat : près de 15 milliards
d’euros. Et ce n’est pas fini. Car
la ministre du Travail observait
cette semaine «plusieurs milliers
de demandes» par minute. A la
tête d’entreprises à taille humaine,
la plupart de ces patrons s’angois-
sent autant pour l’emploi de leurs
salariés que pour l’avenir de leur
­entreprise. Alors Libération leur a
donné la parole. Ils parlent de leurs
inquiétudes, mais aussi de leurs
­espoirs pour le monde d’après le
coronavirus.•

Par
Jean-Christophe
Féraud
Photo
Fabrice Picard. Vu


Récit


Malgré les dispositifs d’aide mis en place


par l’Etat, les PME et TPE peinent à faire


face aux difficultés liées au confinement.


Des dirigeants profitent de ce moment de


vide pour repenser l’avenir de leur société.


Les petites


entreprises


connaissent


bien la crise


Événement France

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