Libération - 03.04.2020

(Ann) #1

22 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Vendredi 3 Avril 2020


Théâtre

Les festivals

en plein flou

artistique

A l’approche des rendez-vous estivaux,


notamment à Avignon ou Montpellier, directeurs


de programmation et compagnies tentent de


s’organiser tant bien que mal malgré le


confinement. Mais ils redoutent que les spectacles


présentés soient inaboutis et que le public, encore


traumatisé par la crise sanitaire, ne se déplace pas.


C


omment répéter un spec­-
tacle en période de confine-
ment? A fortiori quand on
doit jouer aux prochains festivals
estivaux d’Avignon ou de Montpel-
lier? Peut-on présenter un «work in
progress» à un public qui, lui, aura
payé l’intégralité de sa place? Et se
déplacera-t-il même, ce public, si
peu de temps après l’interdiction
des rassemblements? Les annula-
tions d’importance se bousculent,
comme on a pu le voir cette semaine
avec le rendez-vous wagnérien de
Bayreuth qui jette l’éponge ainsi que

le Fringe d’Edimbourg, qui devait se
dérouler en août prochain et qui est
avec Avignon l’un des plus impor-
tants festivals scéniques de l’été. La
voix étale, Jean Varela, directeur du
Printemps des comédiens, tra-
vaillait jusqu’au 26 mars à maintenir
l’édition. En quelques jours, la si-
tuation a considérablement évolué.
«Aucune équipe en Europe ne répète,
les montages techniques ne peuvent
pas avoir lieu, on navigue à vue.»
Pas pour longtemps cependant : «La
décision de maintenir ou non le festi-
val aura lieu dans les heures qui
viennent et elle sera annoncée en dé-
but de semaine prochaine.» Le Prin-
temps des comédiens doit ou devait

accueillir l’Odyssée par Krzysztof
Warlikowski, dont les répétitions en
Pologne sont suspendues sine die
depuis quinze jours, ainsi que la
dernière création de Roméo Castel-
luci – qui lui a un petit espoir de les
reprendre rapidement.

«Solo filmé
dans la cuisine»
Pour Olivier Py également, à la tête
­d’Avignon, il s’agit d’imaginer l’im-
possible – sans que le slogan re-
noue avec la moindre utopie. Mais
toute prise de décision est bloquée.
Pourtant, l’annonce de la program-
mation de l’édition 2020 aura bien
lieu mercredi, et il pense, ou es-

Par
Anne Diatkine

père, qu’elle sera au plus proche de
celle qui se tiendra donc, jusqu’à
nouvel ordre, du 3 au 23 juillet.
«Pour l’instant, une seule produc-
tion a annulé sa venue. Tous nous
ont envoyé des petits films où ils
nous font part de leur dé-
sir de jouer. Notre in-
quiétude va vers certains
spectacles de pays dont l’épidémie
vient juste de se déclarer. Je pense
au continent africain ou au Moyen-
Orient. Les frontières seront-elles
fermées ?»
Les mots sont fermes... pour dire le
brouillard : «Si le confinement en
France se poursuit jusqu’à la mi-
mai, on sera dans l’impossibilité de
savoir quoi faire.» Notamment
parce que 80 % des spectacles pré-
sentés dans le «in» sont des créa-
tions et un certain nombre stoppées
net dans leur élaboration. Notam-
ment parce que le montage de la
scène et du plateau dans la cour
d’honneur du Palais des papes
commence obligatoirement deux
mois avant le festival – un délai non
­réductible car le matériel n’accède
au bâtiment classé que par une
toute petite porte, elle aussi classée.
Notamment parce qu’il est impossi-
ble de savoir si les rassemblements

de plus de mille personnes seront
autorisés en juillet...
Côté artistes, les troupes les plus en
difficulté sont celles dont les répé-
titions avaient à peine commencé
avant le confinement, surtout si
­elles pratiquent l’écriture
dite «de plateau» – c’est-
à-dire sans texte préala-
ble. La programmation de Lamenta
des chorégraphes Rosalba Torres
Guerrero et Koen Augustijnen a été
officialisée lors d’une rencontre
avec le public dès décembre. C’est
une première ultra attendue à Avi-
gnon pour cette petite équipe. Ce-
pendant, il leur est impossible de
travailler la chorégraphie de La-
menta à distance en l’absence des
neuf danseurs grecs recrutés pour
cette pièce : «On ne procède pas avec
une chorégraphie préfabriquée. On
arrive en répétition avec une struc-
ture mais pour construire le specta-
cle, il faut que le groupe se rassem-
ble, dialogue, prenne le temps
d’élaborer des propositions. On ne
peut pas raboter le temps de la ren-
contre.» Koen Augustijnen pour-
suit : «Chacun des danseurs nous
envoie par WeTransfer un solo filmé
dans leur cuisine ou leur salle de
bains. Mais notre projet n’est pas

Enquête


Le montage de la scène et du plateau dans la cour d’honneur du Palais des
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