Libération - 03.04.2020

(Ann) #1

8 u Libération Vendredi 3 Avril 2020


O


n achève même les che-
vaux, au Yémen. Des di­-
zaines d’entre eux ont été
tués lundi par des frappes de la
­coalition sur les écuries de l’école
militaire à Sanaa, la capitale.
L’aviation saoudienne s’est déchaî-
née ces derniers jours sur le pays
en riposte à des tirs de missiles lan-
cés par les rebelles houthis, inter-
ceptés dans le ciel de Riyad. La
guerre de cinq ans se poursuit, im-
muable, alors que les parties pre-
nantes du conflit s’é taient enga-
gées à entamer une trêve pour faire
face à l’arrivée probable de l’épidé-
mie de Covid-19 qui atteint forte-
ment la région. Comme au Yémen,
la crise sanitaire mondiale n’a eu
quasiment pas d’effets sur la rou-
tine des conflits en Libye, en Af-
ghanistan, ou encore sur les fronts
jihadistes en Afrique. Sinon que les
affrontements se poursuivent à
l’abri du regard international et
dans l’inconscience des dangers
qui guettent des pays dévastés, aux
infrastructures médicales démo-
lies ou ­défaillantes.
Les deux théâtres de guerres
­longues (et à entrées multiples) que
sont l’Irak et la Syrie ont été plus
sensibles que d’autres ­au nouveau
facteur viral. Sans bouleverser fon-
damentalement la donne, et loin de
tout apaisement, la crise du corona-
virus fait malgré tout évoluer les po-
sitions des puissances internatio­-
nales et régionales très impliquées
dans ces deux pays. La confronta-
tion entre les Etats-Unis et l’Iran en
Irak a ainsi repris le ton de l’esca-
lade. Une escalade qui sert de di­-
version utile alors que les deux ad-
versaires font face à une situation
intérieure particulièrement tendue
face à l’épidémie. Mercredi, Donald
Trump mettait en garde dans un
tweet contre «une attaque sournoise
visant les troupes américaines ou les
ressources américaines en Irak. Si
cela se produit, l’Iran paiera un prix
très, très élevé». Quelques heures
auparavant, Téhéran dénonçait un
«risque d’entraîner le Moyen-Orient
dans une situation désastreuse», en
réponse au déploiement de missiles
Patriot par les forces américaines en
Irak sur une base militaire dans
l’ouest du pays.

Repli stratégique
Ce renforcement apparent des
moyens militaires américains vise
à compenser le repli stratégique des
forces occidentales. «La coalition
internationale soutiendra les forces
irakiennes de sécurité avec moins de
bases et moins de personnel», a indi-
qué le commandement américain.
En effet, outre la fermeture de trois
bases en Irak, les troupes de la coa-
lition antijihadiste se sont retirées
les unes après les autres ces der­-
nières semaines. Après les Tchè-
ques, les Britanniques, les Alle-
mands et les Canadiens, la France
a annoncé le départ de ses 200 mili-
taires, affectés à la formation de
l’armée irakienne.
Un rapatriement clairement mo-
tivé par la peur du Covid-19, a con-
firmé l’état-major français, tout en

prenant soin de préciser qu’il
s’agissait de «suspendre provisoire-
ment les activités». En janvier en-
core, Emmanuel Macron affirmait
l’importance de maintenir des sol-
dats français en Irak pour empê-
cher toute résurgence de l’Etat isla-
mique. Mais «les Etats-Unis et les
autres pays de la coalition sont au-

jourd’hui préoccupés par les priorités
intérieures imposées par le corona-
virus», indique l’analyste stratégi-
que irakien Hisham al-Hashemi.
«Ils sont moins concernés par ce
qu’il se passe hors de leurs fron­-
tières. Une occasion en or que les
membres restants de Daech ont
commencé à saisir en multipliant

les attaques au cours des dernières
semaines», affirme l’expert.

Cessez-le-feu
En Syrie aussi, les préoccupations
des principaux parrains extérieurs
de la guerre sont maintenant tour-
nées vers la nouvelle bataille, celle
contre le coronavirus. Or la Turquie,

la Russie et l’Iran, ayant trop à faire
chez eux, laissent les parties sy­-
riennes se débrouiller avec le nouvel
­ennemi. Mais, contre toute ­attente,
le fragile cessez-le-feu décrété le
5 mars à Moscou par Recep Tayyip
Erdogan et Vladimir Poutine dans la
région d’Idlib, dans le nord-ouest du
pays, continue globalement de tenir.
Les images des hommes en combi-
naison et avec un masque de protec-
tion procédant à la désinfection des
lieux sont les mêmes dans les rues
de Damas – où le régime prétend
n’avoir enregistré qu’une petite di-
zaine de cas de coronavirus – et dans
les camps de réfugiés à la frontière
turco-syrienne. Parmi le million de
déplacés du fait des bombarde-
ments aériens meurtriers menés de-
puis le début de l’année, la peur du
virus est relative. «On est tellement
habitués à la mort ­sanglante que le
coronavirus nous semble un moindre
mal», avoue un jeune de la région
qui participe aux campagnes de sen-
sibilisation à la prévention de l’épi-
démie dispensée par des ONG tur-
ques et locales.
Avec un total de 145 civils morts se-
lon le rapport de l’ONG Syrian Net-
work for Human Rights, le mois de
mars aura été le moins meurtrier
­depuis des années en Syrie. Un répit
sans doute très provisoire.•

Par
HALA KODMANI

Analyse


Si la tension remonte entre Donald Trump et le


régime iranien, les troupes étrangères se retirent


d’Irak et de Syrie pour affronter la crise du


coronavirus dans leurs pays. Un désengagement


que les jihadistes comptent bien exploiter.


Près de Nadjaf, mardi, des employés du

Un camp de déplacés, le 24 mars, dans la province d’Idlib, en Syrie. Photo Aaref Wtad. AFP

Au Moyen-Orient,


des fronts


dégagés par


les Occidentaux


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