Libération - 03.04.2020

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Libération Vendredi 3 Avril 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 9


L


e cessez-le-feu unilatéral d’une durée
d’un mois, annoncé il y a quelques
jours par l’Armée de libération natio-
nale (ELN), a commencé mercredi. «Ce geste
humanitaire», selon le communiqué de la
principale guérilla active en Colombie, ré-
pond à la fois à des appels répétés lancés par
la société civile et à celui du secrétaire général
des ­Nations unies, António Guterres, pour
que cessent les combats «dans tous les coins
du monde». Il a été salué par la plupart
des observateurs politiques et des défenseurs
de la paix.
S’il est un peu tôt pour en connaître les effets,
il ne peut que susciter de l’espoir dans les ré-
gions où cette guérilla est la plus présente :
historiquement dans le nord du pays (les dé-
partements frontaliers du Catatumbo et de
l’Arauca) mais aussi plus récemment dans le
sud (le département du Nariño) et l’ouest
(dans la région du Chocó, sur la côte pacifi-

que). «C’est important car c’est la première fois
depuis longtemps que l’ELN annonce une me-
sure unilatérale, souligne l’analyste politique
Daniel García-Peña. En ces temps extraordi-
naires, c’est une opportunité pour que se rou-
vre un canal de négociation de paix.» Quatre
civils détenus par l’ELN ont par ailleurs été re-
mis au Comité international de la Croix-
Rouge (CICR), la semaine dernière.

Dissidences. L’ELN, qui compterait entre
2 500 et 5 000 hommes en armes selon les es-
timations, s’est récemment renforcée dans de
nombreux territoires abandonnés par l’ex-
guérilla des Farc, démobilisée après la signa-
ture du traité de paix historique de novem-
bre 2016 qui avait mis fin à une guerre de plus
de cinquante ans. La «paix complète» à la-
quelle aspire la grande majorité du peuple
­colombien est loin d’être réalité dans de
­nombreuses régions. Encore plus depuis la
rupture, il y a un peu plus d’un an, des pour-
parlers de paix entre le gouvernement du pré-
sident Iván Duque et l’ELN.
En dépit de la «quarantaine nationale et obli-
gatoire» décrétée depuis le 25 mars par le gou-
vernement pour combattre l’expansion de la
pandémie de Covid-19, la violence n’a pas
cessé en Colombie, sauf peut-être dans les
grandes villes où les homicides ont diminué.

tants politiques, des défenseurs des droits de
l’homme et de l’environnement et des
­responsables locaux, continuent. Juste avant
l’annonce du cessez-le-feu de l’ELN, une
­mission de l’Organisation des Etats améri-
cains (OEA) avait dénoncé dimanche «les
graves faits de violence qui ont eu lieu ces
­derniers jours contre des leaders sociaux et
des défenseurs des droits de l’homme ainsi que
les affectations persistantes contre plusieurs
communautés du pays à cause du conflit armé
et de la criminalité».

Assassinats. Selon le décompte de l’asso-
ciation Indepaz, 14 leaders sociaux ont été
­assassinés depuis le 6 mars, date à laquelle a
été ­répertorié le premier cas de Covid-
en Colombie. Auxquels il faut ajouter les as-
sassinats de quatre ex-guérilleros des Farc,
qui, eux non plus, ne cessent pas depuis l’ac-
cord de paix de 2016 (190 selon l’ONU).
«Nous sommes encore plus isolés et vulnérables
en temps de quarantaine», raconte par télé-
phone un leader paysan d’Arauca qui, menacé
quotidiennement, préfère rester anonyme.
Et d’expliquer que le port du masque, assez
généralisé en Colombie, permet notamment
aux assassins de dissimuler leur visage.
Anne Proenza
Correspondante à Bogotá

Celle-ci est d’ailleurs loin d’être le seul fait de
l’ELN : plusieurs groupes armés – mafias
­diverses, paramilitaires, dissidences des
Farc – se disputent le contrôle des territoires
et les routes des juteux trafics colombiens de
drogue, d’or, etc. La commission de paix
du Sénat a, par exemple, dénoncé le massacre
de six personnes dans le village d’Alto Baudo
(Chocó) et le déplacement de près de 2 000 au-
tres à cause de combats entre l’ELN et le Clan
du Golfe (un cartel de drogue puissant issu
des groupes paramilitaires qui ont mis la Co-
lombie à feu et à sang dans les années 2000)
durant la première semaine de mars.
Et si les Colombiens ne parlent pas de «confi-
nement» à l’heure de la pandémie de Co-
vid-19 mais plutôt de quarantaine ou d’isole-
ment, c’est parce que le mot évoque plus
certainement la violence et la guerre. La se-
maine dernière, plusieurs villages se sont
ainsi retrouvés confinés non pas à cause du
coronavirus, mais de combats entre l’armée
et des groupes illégaux. «Nos communautés,
qui représentent près de 7 000 personnes, sont
en confinement depuis plus d’un an», soupire
par téléphone Leyner Palacios, un «leader»
du village de Bojayá (Chocó), qui a échappé
à un attentat au début du mois de mars. Car
les assassinats ciblés contre ceux qu’on ap-
pelle les «leaders sociaux», comme des mili-

Le virus peut-il apporter la paix en Colombie?


Malgré la quarantaine
et l’annonce d’un cessez-le-feu
d’un mois par la principale
guérilla du pays, qui ont donné
de l’espoir à la population,
les violences subsistent.

Les faits du jour
nLa Thaïlande va être placée à partir
de ce vendredi sous couvre-feu pour
lutter contre la pandémie. Sortir entre
22 heures et 4 heures sera passible de
deux ans de prison et d’une amende
pouvant aller jusqu’à 40 000 bahts
(1 100 euros).
nL’Indonésie a libéré 18 000 détenus
pour tenter d’empêcher que l’épidémie
ne fasse des ravages dans ses prisons.
A terme, 30 000 détenus devraient l’être.
nEn Russie, Vladimir Poutine a
annoncé que le mois d’avril serait chômé
mais les salaires payés. Les régions
devront choisir les entreprises
autorisées à travailler.
nEn Chine, les ours ont de la bile
à se faire : Pékin a autorisé le traitement
des patients avec un médicament à
base de ce produit, extrait de la vésicule
des plantigrades. Les conditions de
prélèvement, avec les animaux
maintenus dans d’étroites cages où leur
abdomen est perforé, suscitent la
polémique.
nSur l’île Maurice (1,3 million
d’habitants et 7 décès), les
supermarchés ont rouvert jeudi après
dix jours de fermeture. La population
a été divisée en trois groupes et chacun
n’est autorisé à faire des courses que
deux jours par semaine.
nAu Liban, l’ambassadrice
des Philippines est décédée jeudi du
nouveau coronavirus. Bernardita Catalla
était très mobilisée ces dernières
semaines par le rapatriement de dizaines
de milliers d’employés domestiques
originaires de son pays.
nEn Belgique, la Ligue de foot a
recommandé de mettre fin
au Championnat en cours et «d’accepter
le classement actuel [...] comme
classement final». Si cette décision,
inédite en Europe, est validée,
le FC Bruges sera sacré champion
ministère de la Santé prient pour une victime du Covid-19 qui va être inhumée dans un cimetière dédié. Photo Anmar Khalil. AP devant La Gantoise et Charleroi.

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