Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1

Les Echos Vendredi 3 et samedi 4 avril 2020 IDEES & DEBATS// 11


opinions


La Bourse n’a pas pris la vraie


mesure de la crise


dent d’algorithmes n’ayant pas été pro-
grammés pour de tels écarts? Est-ce
l’excès de liquidités, souffleur d’une
bulle qui avait prolongé la hausse au-
delà du cycle et qui, aujourd’hui, conti-
nue de pousser mécaniquement à la
hausse? Est-ce l’absence d’alternative
pour les placements puisque les taux
d’intérêt sont en territoires négatifs?
Sans doute. Peut-être aussi que le plon-
geon va reprendre lorsque la Bourse va
réaliser combien les Etats-Unis, qui
donnent encore le « la » au monde de la
finance (il ne leur reste plus que cela),
sont frappés encore plus salement que
les autres pays, et que le nombre de
morts laisse voir un pays dont l’état
sanitaire est celui d’une nation sous-dé-
veloppée? Peut-être encore que les
boursiers s’inquiéteront d’un coup de la
montagne de dettes que le Covid-19 lais-
sera derrière l ui. Ils c hangeront alors de
refrain pour nous chanter la rigueur en
défense de « l’épargnant mondial »
aujourd’hui oublié et, pas écoutés par
les gouvernements, ils tourneront pes-
simistes. L a Bourse d emain, ce sera noir
c’est noir.
Mais pour l’heure, son pari e st que les
plans gouvernementaux vont marcher
et qu’en parallèle, les laboratoires vont
trouver, avant l’été, de quoi amoindrir
les effets du virus, et ce avant que le vac-
cin n’arrive dans une petite année, peut-
être avant. La vie reprendra le dessus,
l’activité dans les usines et les bureaux,
les bénéfices couleront et les indices
fleuriront.
On peut tirer la conclusion que la
Bourse est décidément bien déconnec-
tée de l’économie réelle, des souffrances
sociales, du destructeur protectionnis-
me-nationalisme-populisme, des men-
songes de la Chine et de la dégradation
de la coopération politique internatio-
nale. Les boursiers tournent dans un
monde factice. Mais on peut aussi se
dire, tout au contraire, que ce sont eux
qui voient juste. La mise en marche des
armées humaines, économiques et
scientifiques, permettra, somme toute
incroyablement vite, de vaincre la pan-
démie. A vous de choisir.n

d’expansion (7-8 ans) et que, par ce
virus, ce qui devait de toute façon arri-
ver arrivait. Mais non. L’accord entre les
républicains et les démocrates au Con-
grès américain portant sur 2.000 mil-
liards de dollars de soutien à l’économie
les a rassurés et le plongeon a cessé.
Au total, il reste ce mystère : lors de la
crise d’Internet de 2000, le recul de la
Bourse de Paris avait été de 64 %, lors de
la crise financière de 2008, l’indice avait
perdu 59 %, cette fois-ci, alors que tout
le monde sait que la récession sera bien
plus profonde, le CAC 40 n’a perdu à ce
jour que 31 % sur son plus haut et le Dow

Jones 29 %. Certes, il s’agit d’une photo-
graphie à l’instant T. Nul ne sait où
s’arrêtera la chute due à la présente
crise, toujours en cours. Comment une
débâcle des PIB qu’on attend autour de
10 % voire plus et une perte de résultats
des entreprises qui sera d’un ordre
encore supérieur ne déclenchent pas
une déflagration? Les boursiers sont-
ils devenus d ’inébranlables o ptimistes?

Montagne de dettes
On s’interroge sur les causes. Est-ce à
cause des machines qui ont désormais
la haute main sur les c ours et qui dépen-

Le pari de la Bourse
est que les plans
gouvernementaux
vont marcher,
que les laboratoires
vont trouver,
des traitements, et
que le vaccin va arriver
dans une petite année,

Les gigantesques plans
de secours des banques
centrales et des
gouvernements font
leur effet. Pour l’instant

Les mauvaises performances des marchés, malgré l’ampleur de la réces-
sion annoncée par les économiste, ne sont pas encore équivalentes à celle
que l’on a connues lors des autres crises. Excès d’optimisme de la part des
boursiers, ou voient-ils plus loin que nos seules angoisses immédiates?

DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE

LE MEILLEUR DU
CERCLE DES ÉCHOS


  • La^ France se pense souvent comme
    une exception. Sans répondre à cette
    question, le « Financial Times » se pen-
    che sur « les frictions de classes ». La
    pandémie en Europe souligne « com-
    bien la vie de tous les jours et l’économie
    réelle dépendaient des travailleurs tou-
    chant de bas salaires » (infirmiers, ven-
    deurs, r outiers, a griculteurs,
    éboueurs), écrit estime le « FT », qui a
    interrogé des salariés travaillant pen-
    dant le confinement. Leurs « expérien-
    ces ont conduit des syndicalistes, des poli-
    ticiens et des commentateurs de g auche, à
    comparer le sort de ceux qu’ils considè-
    rent comme l’élite incapable télétra-
    vaillant avec celui d es femmes et des hom-
    mes aux caisses de supermarché, ou sur
    les chaînes de production ».


La France vulnérable
« à un conflit de classes
Mais deux facteurs aggravent la frac-
ture sociale dans un pays « blessé » par
les protestations des « gilets jaunes » et
par les grèves contre la réforme des
retraites : la fuite des Parisiens les plus
aisés dans leur résidence secondaire et
l’absence de masques de protection et
de gel hydroalcoolique.
Or ce sont les salariés les moins bien
payés qui sont les plus à risque d’infec-
tion. La France est ainsi particulière-
ment vulnérable « à un conflit de classes
et pourrait faire face à une confrontation
entre les partis d’opposition et le gouver-
nement, après ou même pendant, la pan-
démie ». L’un des principaux reproches
faits à Emmanuel Macron est d’avoir
maintenu certains secteurs d’activité
non essentiels. Le président de la Répu-
blique a récemment appelé à l’unité
nationale face aux flots de fausses infor-
mations et face à ceux qui veulent frac-
turer le pays.
Reste la question de savoir si la pan-
démie transformera « la place dans la
société française » du personnel des
supermarchés et des autres bas salai-
res. Ou si l’élan de solidarité disparaîtra
avec la fin de la crise.
—J. H.-R.

Fracture sociale : une
France exceptionnelle

La chloroquine
de l’économie

Po ur relancer la consommation, en chute
libre depuis la crise du coronavirus,
il est parfois envisagé de distribuer
de l’argent aux citoyens. Comment?
Plusieurs pistes sont à l’étude. Et pourquoi
pas via les cryptomonnaies s’interroge
Pascal Ordonneau?

DISRUPTION « Pour lutter contre
la maladie, il faut des médicaments.
Si on en trouve des miraculeux, tant mieux.
Si on n’est pas sûr du résultat, tant pis.
Il faut essayer. C’est d’ailleurs le débat
du moment avec l’utilisation de
l’hydrochloroquine pour soigner les patients
atteints du coronavirus SARS-CoV-2. Dans
le domaine économique, on trouve aussi
des partisans des formules révolutionnaires
ou, tout du moins, disruptives. »

DISTRIBUTION« L’idée qui se fait jour
dans de nombreux pays libéraux – dont
les Etats-Unis – est simple comme bonjour.
Pour relancer les économies, pour atténuer
l’impact dramatique sur le niveau de vie
des citoyens du monde et, donc, ne pas
provoquer l’effondrement des appareils
productifs en raison de l’effondrement
de la demande, il faut que
les consommateurs puissent continuer
à consommer. Donc, il faut distribuer
de l’argent. »

CRYPTODOLLARS« Les crytomonnaies
sont une piste. [...] Aux Etats-Unis,
on verserait ces subsides sous la forme
de dollars numériques. Un cryptodollar
adossé au dollar lui-même dans un rapport
paritaire. Pour ce cryptodollar, pas besoin
de toutes les complications des bitcoins et
de leurs émules. Pas de nœuds, pas de
communauté où tout le monde fait
mouliner son ordinateur, pas d’autre chose
qu’un portefeuille et une clef personnelle.
Le reste ce sont des enregistrements
informatiques sur une blockchain gérée par
les pouvoirs publics. Cette technique aurait
le mérite d’éviter que les données aillent
se perdre chez une ou deux grosses baleines
comme on nomme les milliardaires
en monnaies cryptées. »

a
Lire l’intégralité sur Le Cercle

Lucas Jackson/Reuters lesechos.fr/idees-debats/cercle


S


i fatigué du « noir c’est noir »,
vous cherchez des gens encore
optimistes, allumez vos écrans
sur les sites de la Bourse. Tandis que les
responsables politiques nous disent
que les dégâts de la pandémie seront les
plus graves depuis la Seconde Guerre
mondiale, tandis que les économistes
rivalisent de scénarios de crise, tandis
que les catastrophistes nous prédisent
la fin du monde, les boursiers, eux, fina-
lement, restent confiants. A voir
l’extrême volatilité des cours, +4 % un
jour, –4 % le lendemain, la profession
n’est certes pas calme. Les marchés
européens et Wall Street achèvent le
premier trimestre sur des baisses supé-
rieures à 20 %. Le Dow Jones a piqué de
son sommet de 29.500 à 21.200 points.
Le CAC 40 est tombé de 6.100 à
4.200 points. Et les 40 premières socié-
tés françaises ont perdu 450 milliards
d’euros de capitalisation boursière.
Mais force est de constater que,
depuis une grosse semaine, malgré les
mauvais chiffres de l’emploi américain
hier, les boursiers, rassurés par les
gigantesques plans de secours des ban-
ques centrales et des gouvernements,
parient que tout ira bien. Le sentiment
semble dominer la corbeille qu’on va
s’en sortir, les profits et les indices repar-
tiront comme avant.

Débâcle des PIB
Pourtant, les observateurs ont un
moment cru au grand krach, à la
grande récession, que nombre d’e ntre
eux redoutaient depuis trois ans. La rai-
son essentielle de la crainte était que
l’économie américaine, depuis sa
reprise en 2009, avait largement
dépassé la longueur normale du cycle

LA
CHRONIQUE
d’Eric
Le Boucher

LA REVUE
DU JOUR

75 ans de marine


LE PROPOS Le magazine
de la Marine nationale fête ses
trois quarts de siècle.
Né en février 1945 il a raconté
le quotidien des marins, présenté
les évolutions technologiques,
rendu compte des engagements
et des opérations, un peu partout
dans le monde. Et il continue à
le faire, pour le plaisir de ceux
qui aiment la mer. Cette belle
livraison, qui permet de s’évader
quand être confiné vient à peser,
permet de revoir Tabarly,
Cousteau, le général de Gaulle
(à bord du « Clemenceau »),
Mireille Darc (coiffée
d’une casquette d’officier) et
de s’arrêter sur le terme choisi
par Michel Serres (qui est entré
à l’Ecole navale en 1949) :
« appareillage ». La plongée
dans le recueil d’archives de
cette revue est une manière
originale de traverser les décennies
et les océans, avec de grands
moments et des anecdotes qui font
le sel de la vie.

LA PUBLICATION « Cols bleus »
compte parmi ces publications
de haute tenue que savent
produire les armées. Aux dossiers
thématiques bien ficelés s’ajoutent
les informations et analyses
du moment (sur la vie des unités
et le déploiement des bâtiments
autour de tous les continents).
Surtout, illustrations
et photographies savent faire rêver.
Et voyager.
—Julien Damon

75 ans de service actif
« Cols bleus », no 3085 , 2020,
5,25 euros.
Free download pdf