Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1

L’« après » devient


présent


LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE
Cécile
Cornudet

A


près avoir bu pendant
trois semaines les
paroles des médecins


  • il fallait bien comprendre ce
    qui nous arrivait –, notre
    appétit s’aiguise pour d’autres
    sources d’expertise.
    Sociologues, économistes,
    politologues, penseurs de tous
    poils, dites-nous où nous
    allons! Leurs tribunes et
    interviews cartonnent dans la
    presse. « Passé la sidération, les
    besoins en termes d’information
    se tournent vers davantage
    d’analyse ou de réflexion sur
    nos sociétés et leur devenir afin
    de ne pas rester collé,
    totalement impuissant, au
    nombre de morts qui ne fait
    qu’augmenter. Mais aussi parce
    qu’on veut croire que “c ette
    crise servira à quelque chose’’ »,
    constate le sondeur Jérôme
    Fourquet dans « Le Point ».
    Le confinement a peut-être
    comme le deuil sa propre
    courbe : au bout d’un moment,
    il faut faire entrer « l’après »
    dans le présent. Comprendre,
    penser, réinventer. De
    l’intellectuel qui voit son
    moment venu au gérant seul
    dans son entreprise après avoir
    renvoyé ses collaborateurs
    chez eux... Se projeter comme
    réflexe de vie.
    Un peu partout, des initiatives
    se préparent pour canaliser ce


mouvement. Après avoir
mobilisé son réseau militant et
auditionné des intellectuels et
partenaires sociaux (le
climatologue Jean Jouzel et le
directeur de l’OFCE Xavier
Timbeau, cette semaine), le
Parti socialiste s’apprête à
lancer une plateforme de
consultation et de propositions
sur la France d’après : « Un
espace de bouillonnement »,
dit- il. D’autres le suivront. Si
Emmanuel Macron délègue
l’opérationnel à Edouard
Philippe, c’est pour mieux
se préparer à l’« après ». Déjà
le 23 mars, il reçoit les forces
religieuses et leur demande de
l’aider à mesurer la « résilience »
de la société française
et à penser l’après. « Après »
protéiforme d’ailleurs :
système de santé, soutien des
secteurs en difficulté, relance
économique, intégration de
la dimension écologique


  • jusqu’à quel point? –,
    dispositif politique,
    international... Dommage que
    l’expression « nouveau monde »
    ait déjà servi. Des réflexions
    informelles se mettent en place.
    Dans une France enfermée,
    l’« après » est synonyme
    d’espoir. Sauf que cela fait
    partie intégrante du problème :
    trop de pression pour en sortir
    risque de nous renvoyer
    au présent. Edouard Philippe
    doit ainsi entrouvrir l’après en
    commençant par une douche
    froide : le déconfinement
    sera progressif et inégal.
    Un « après » très présent,
    mais pas pour maintenant.
    [email protected]


Après trois semaines de confinement, les Français
se projettent dans « l’après ». Les intellectuels sont
appelés à la rescousse. Le PS ouvre une plateforme
de consultation citoyenne et de propositions.

Dessins Kim Roselier pour

« Les

Echos »

encore extrêmement nombreuses
et les scénarios multiples. D’où, mal-
gré l’impérieuse nécessité pour lui
de préparer cette phase en tout point
délicate, la difficulté de se prononcer
publiquement sur le sujet et l’impos-
sibilité, à ce stade, de prendre des
décisions politiques fermes.
« A quoi va ressembler la sortie du
confinement? On n’en sait stricte-
ment rien », a lâché un membre de
l’exécutif mercredi. Edouard Phi-
lippe a ainsi souligné qu’il y avait plu-
sieurs « hypothèses » de travail, qu’il
a immédiatement enjoint de ne pas
prendre pour des « annonces ». Il a
montré l’étendue des questions dont
dépendra ce déconfinement : « trai-
tements éprouvés ou pas », « capacité
à tester, et à tester qui avec quoi »,
« façon dont le virus circule », « nom-
bre de cas sévères », « proportion de
Français immunisés », sachant,
ajoute un conseiller de l’exécutif, que
« nous ne savons pas très bien si on
peut être malade une seconde fois »...
De quoi préparer les esprits à une
sortie longue et difficile.

Be soin d’un horizon
Mais le chef du gouvernement en
est cependant convenu, les Fran-
çais ont besoin d ’un horizon. « Nous
espérons pouvoir avancer sur le sujet
et présenter des éléments d’une stra-

tégie de déconfinement dans la
semaine, les jours qui viennent, de
façon à pouvoir exposer et donner
une perspective à nos concitoyens »,
a-t-il concédé.
Donner des perspectives, donc,
tout en douchant les espoirs d’un
déconfinement rapide et général
puisqu’il a qualifié de « probable »
un déconfinement qui ne serait
« pas en une fois partout et pour tout
le monde », mais peut-être « régio-
nalisé », selon « une politique de
tests », selon des « classes d’âge ».
Bref, « pas question de laisser
croire que le déconfinement, ce sera la
movida espagnole », avance un par-
lementaire d e la majorité p our qui le
gouvernement prépare, là, l’accep-
tabilité sociale d’un déconfinement
ultra-complexe et souhaite « ouvrir
toutes les options pour avoir un débat
et obtenir un c onsensus scientifique et
politique ». Dès jeudi matin, lors
d’une visioconférence avec les res-
ponsables politiques du pays, le Pre-
mier ministre s’est vu reprocher
« l’ambiguïté » de parler déconfine-
ment alors que les Français doivent
encore respecter les règles de confi-
nement. Agacé, Edouard Philippe a
rétorqué avoir s implement
répondu aux questions.
« Il veut dire la vérité, donc il en
parle », ajoute son entourage.

n’y a pas de méthode de déconfine-
ment », a-t-il averti. Le contrôle
social en Chine est plus fort que
jamais. On trace les déplacements
de c hacun, on prend la température
des employés, on garde son masque
au bureau.
Pour Martin Blachier, médecin
de santé publique et dirigeant de
Public Health Expertise, la seule
façon valable de sortir du confine-
ment serait de « libérer » d’abord
les moins de 65 ans, à partir du
15 avril, puis les seniors. Ainsi, les
populations les moins vulnérables
au virus pourront s’immuniser et
protéger les plus fragiles, qui repré-
sentent 25 % du total. « Si jamais
vous relâchez tout le monde le
30 avril, vous aurez 80.000 morts et
une saturation des lits de réanima-
tion. Avec un déconfinement p rogres-
sif par âge, ce sera de 12.000 à 15.
morts », a-t-il calculé.
D’autres stratégies ont été évo-
quées, par exemple un confinement
alterné – deux semaines à l’arrêt et
une semaine de liberté. Les régions
les p lus sinistrées pourraient mettre
plus de temps à se déconfiner.

Scénarios plus noirs
que prévu
Enfin, les réflexions portent sur le
dépistage de la population, qui devra
être s ystématisé d ans certains lieux –
Ehpad, prisons, hôpitaux... – et sur le
traçage des personnes susceptibles
d’être infectées via les smartphones,
qui ne peut pas être rendu obliga-
toire dans le cadre législatif actuel.
Autant dire que sur le terrain, on n’en
est pas là. « Envisager la sortie? On
compte les sacs mortuaires et les
chambres froides. De toute façon, on
peut anticiper tout ce qu’on veut, c’est
toujours p lus que ce qu’on c roit », sou-
pire un responsable de santé en Ile-
de-France, la région la plus touchée
par l’épidémie après le Grand Est.
Selon un document confidentiel
réalisé par les services de l’Assis-
tance publique-Hôpitaux de Paris,
depuis le 29 mars, la réalité est pire
que la projection la plus sombre. Le

groupe hospitalier s’attend désor-
mais, au mieux, à ce que l’Ile-de-
France atteigne le pic le 6 avril, avec
2.400 patients hospitalisés en
détresse respiratoire. « Si la France
suit un scénario à l’italienne avec un
plateau d’une durée de 10 jours, les
besoins en lits seront plus grands, et
sur une durée plus longue », précise
ce document.
A vrai dire, on peine à faire des
projections tant qu’on ne mesure
pas l’efficacité du confinement,
censé faire baisser les entrées en
réanimation en deux ou trois semai-
nes. Un confinement réussi doit
faire t omber le taux de transmission

de l a maladie par c haque p orteur du
virus de trois personnes à moins
d’une. Si ce taux passe à 1 en Ile-de-
France, les 2.500 lits de réanimation
de la région afficheront complet
entre le 10 avril et le 5 mai, prévoyait
il y a quelques jours le modélisateur
Simon Cauchemez, de l’Institut Pas-
teur. Il faut donc faire mieux car le
système de santé souffre, poussé à
ses limites. Si par malheur le taux de
transmission ne baissait qu’à 1,2, il
faudrait alors plus de 4.000 lits de
réanimation, qui n’existent pas.

(


L’éditorial d’Etienne
Lefebvre Page 15

lLe coronavirus ne cesse de déjouer les pronostics, avec un pic des passages en réanimation qui s’éloigne.


lLes pouvoirs publics réfléchissent déjà à la façon dont le confinement pourrait être levé. Sans grandes certitudes.


L’exécutif en quête d’un scénario


pour le déconfinement


Isabelle Ficek
@IsabelleFicek


« Une question redoutablement com-
plexe. » C’est la première réaction
qu’a eue Edouard Philippe mercredi
soir au début de son audition par la
mission d’information de l’Assem-
blée n ationale sur la crise, e n
réponse à son président, Richard
Ferrand, sur la sortie du confine-
ment. Une question sur laquelle
l’exécutif avait jusqu’ici une attitude
unique : y penser, la préparer, tou-
jours ; en parler publiquement,
jamais. Car le Premier ministre n’a
de cesse de préparer les Français à
un « combat qui va durer ». Il répète
également à qui veut l’entendre que
« nous ne savons pas tout ». Et en
matière de sortie de confinement,
les inconnues scientifiques sont


Même s’il ne souhaitait pas en par-
ler trop tôt. Même si l’exercice
relève de l’équilibrisme quand les
Français doivent encore respecter
les règles du confinement et que
l’exécutif sait qu’il sera, entre autres,
jugé sur l’efficacité du confinement
et... du déconfinement en évitant
autant que possible une deuxième
vague épidémique.

Mais si les contours précis du
déconfinement ne peuvent encore
être connus, ils ont déjà des consé-
quences puisqu’ils contraignent le
gouvernement à revoir l’organisa-
tion du bac, à anticiper le report des
municipales cet automne ou encore
à devoir corriger le budget rectifica-
tif voté il y a dix jours et fondé sur
une hypothèse d’un confinement
d’un mois. Et la liste est loin d’être
exhaustive. Il était devenu difficile
politiquement de ne pas en parler.n

Pourquoi Philippe sort du bois maintenant


Le Premier ministre
a indiqué que la sortie
du confinement serait
probablement progressive.
Une manière de préparer
l’acceptabilité sociale d’une
nouvelle phase difficile
dans la crise sanitaire et
de chercher un certain
consensus politique sur de
futures décisions politiques
forcément lourdes.
En matière de sortie
de confinement,
les inconnues
scientifiques sont
encore extrêmement
nombreuses et les
scénarios, multiples.


Solveig Godeluck
@Solwii


Fa ce au coronavirus, les pouvoirs
publics et les établissements de
santé ont appris à encaisser les
mauvaises nouvelles, car l’épidé-
mie est encore plus forte qu’on ne le
pensait. Ainsi, le week-end dernier,
le gouvernement a dû relever en
catastrophe son objectif d’ouver-
ture de lits de réanimation. Néan-
moins, c’est maintenant qu’il faut
anticiper la sortie de crise pour évi-
ter une rechute. Avec une grande
question : comment faire pour
lever le confinement?
Le Premier ministre, Edouard
Philippe, a expliqué mercredi
devant l’Assemblée nationale qu’il
espérait pouvoir présenter une
stratégie de déconfinement « dans
la semaine, dans les jours qui vien-
nent ». Elle ne pourra cependant
être mise en œuvre que lorsque les
entrées en réanimation reflueront.
Selon nos informations, le Conseil
scientifique a créé un groupe de tra-
vail comprenant des médecins et
des économistes, tel l’universitaire
bordelais, Jérôme Wittwer, pour
plancher sur le sujet.
Ce déconfinement n’aura proba-
blement pas lieu « en une fois, par-
tout et pour tout le monde », a pré-
venu Edouard Philippe. Et il sera
risqué. « L’expérience du Hubei, qui
n’était pas le confinement de toute la
Chine, n’est pas reproductible ici. Il


ÉPIDÉMIE


« Si jamais vous
relâchez tout le
monde le 30 avril,
vous aurez
80.000 morts. »
MARTIN BLACHIER
Médecin de santé publique
et dirigeant de Public Health
Expertise

EVENEMENT


Vendredi 3 et samedi 4 avril 2020Les Echos

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