Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1

Les Echos Vendredi 3 et samedi 4 avril 2020 ENTREPRISES// 23


mécénat


Si la France n’a pas la culture de
la philanthropie privée à l’amé-
ricaine, elle a néanmoins la
chance de « compter de nom-
breuses fondations et associa-
tions, en première ligne pour
apporter un soutien déterminant
au gouvernement face à la crise
sanitaire », constate Benoît Miri-
bel, président du Centre Fran-
çais des Fonds et Fondations.
Pour « Les Echos », le CFF s’est
livré à un recensement des
actions menées par ses
350 membres : pas moins de
163 structures sont sur le pied de
guerre face au coronavirus, 98
apportant du mécénat, 65 en
sollicitant.
Les premières s’investissent
auprès des acteurs de la solida-
rité pour 69 % d’entre elles, du
secteur médico-social pour
24 % et de la recherche pour
16 %. Leur engagement se tra-
duit par des dons en nature
(masques ou gels, matériels
divers, titres restaurant ou car-

burant, nourriture...), des finan-
cements – avec déjà 107 millions
d’euros récoltés –, des bénévoles
ou salariés mobilisés. Via leurs
fondations, ou parfois directe-
ment pour raccourcir les procé-
dures, nombre de grandes
entreprises sont ainsi engagées.
Les secondes sont les bras
armés caritatifs des combat-
tants du terrain : centres de
recherche, hôpitaux, associa-
tions solidaires (lire notre enca-
dré). « Les initiatives, projets, sol-
licitations, sont si nombreux que
nous allons les répertorier sur

une plateforme qui sera mise en
ligne dès lundi, afin que cette
mobilisation gagne en lisibilité et
en efficacité », confie Benoît
Miribel.
« Dans les temps de crise, les
fondations adaptent leurs organi-
sations pour être plus réactives,
intensifier leurs soutiens et pré-
parer la sortie de crise, en antici-
pant les mesures à prendre pour
limiter l’impact économique et
social ces prochaines semaines »,
poursuit le président du CFF.

Anticiper la crise
Po ur mutualiser les efforts et
changer d’échelle d’interven-
tion, l’ensemble des parties pre-
nantes – le CFF, le Mouvement
associatif, France générosités,
Admical et une dizaine d’autres
fédérations engagées au profit
de l’intérêt général – est en train
de concevoir une « Alliance Soli-
daire » qui doit déboucher sur
une autre plateforme en ligne,
collégiale.
Car si les fondations parent
actuellement au plus pressé,
elles auront demain à adapter
leurs actions p our participer à la
relance, en finançant de
manière structurelle l es associa-
tions et fondations de terrain
fragilisées. Le secteur en appelle
au gouvernement pour encou-
rager la générosité, en prenant
des mesures incitatives, comme
il l’a fait pour la reconstruction
de Notre-Dame de Paris après
l’incendie, avec une déductibi-

lité fiscale des dons portée à
75 %, pour les particuliers
comme pour les entreprises.
« Le secteur de l’intérêt général
a été mis à mal ces dernières
années, par des mesures fiscales
notamment, qui ont conduit à
une baisse sensible de la généro-
sité. Et la crise économique va
entraîner une chute encore plus
drastique des dons alors que c’est
dans ces moments-là que nous
constatons notre utilité, là où
l’Etat ne peut plus agir », rappelle
Benoît Miribel.
—M. R.

69 % des structures sur le pied de guerre face au Covid-19
s’investissent auprès des acteurs de la solidarité.

CRISE SANITAIRE


Le CFF mettra en ligne lundi
une plateforme recensant
les initiatives liées au
coronavirus. Une « alliance
solidaire » réunissant
les grands acteurs
de la générosité, qui prépare
aussi l’après-crise et réclame
une défiscalisation
à 75 % des dons.

160 fondations ont


déjà apporté plus


de 100 millions de dons


SPECTACLE VIVANT


Martine Robert
@martiRD


Après l’annulation du festival de
musiques actuelles de Glastonbury,
le plus grand du genre en Angleterre
(200.000 festivaliers attendus du 24
au 28 juin), les grands rassemble-
ments musicaux d’été en France
semblent très menacés. A commen-
cer par We Love Green, qui doit, a
priori, se tenir les 6 et 7 juin.
En contact quotidien avec les ins-
titutions et les autorités sanitaires,
l’équipe de We Love Green dit tra-
vailler en parallèle avec les artistes,
agents et autres organisateurs de
festivals à l’échelle internationale,
pour étudier toutes les éventualités.
Idem pour Les Vieilles Charrues,
prévues du 16 au 19 juillet en Breta-
gne, avec Céline Dion en vedette.
« En télétravail, on a bien avancé
sur l’organisation, les aménagements.
On doit signer en avril et mai les
contrats avec les artistes et les fournis-
seurs. Mais comment enclencher
l’artillerie lourde sans savoir si l’inter-
diction de rassemblements ne sera pas
prolongée? » lance Jérome Tréhorel,
le patron du festival, qui a reçu
242.000 spectateurs en 2019.
Dans un courrier adressé au
ministre de la Culture, que « Les
Echos » ont pu se procurer, le prési-
dent du Prodiss, syndicat du specta-


Pour l’instant, dans le festival In,
on veut y croire encore : la pro-
grammation sera annoncée par
vidéo le 8 avril. « Nous avons
45 spectacles prévus dans 37 lieux,
dont la cour d’honneur du Palais des
Papes, 400 rendez-vous sur 20 jours.
On veut donner du rêve, sans fausse
promesse », souligne Paul Rondin,
directeur délégué. Si les comédiens
peuvent apprendre leur rôle à dis-
tance va se poser début mai la ques-
tion du montage des sites.
Si Paul Rondin ne veut pas démo-
biliser ses équipes, bien des incon-
nues demeurent, c onvient-il. « 60 %
de nos programmes sont étrangers,
quelles seront les autorisations

d’entrées et sorties du territoire?
Comment réagira le public? Et dimi-
nuer la jauge pour respecter une dis-
tance sanitaire entre les places, c’est
intenable financièrement et dépri-
mant », avoue-t-il.

« Un océan d’incertitudes
économiques »
Sur un budget de 13 millions, 55 %
provient de subventions, mais 45 %
de la billetterie (3 millions d’euros)
et des partenaires ou mécènes
(1 million), lesquels p ourraient faire
défaut.
Du côté du f estival Off, q ui
est aussi un marché pour l es
1.600 spectacles présentés dans

L’annulation, mercredi, du festival
d’Edimbourg, l’un des plus grands
événements mondiaux de spectacle
vivant – il attire plus de 4,5 millions
d’entrées et 25.000 artistes de
70 pays dans la capitale écossaise –,
qui devait se tenir du 7 au 31 août,
semble signer l’arrêt de mort de son
concurrent français, le Festival
d’Avignon, c ensé débuter le 3 juillet.


Le « In » et le « Off »
constituent un gigantesque
marché pour des centaines
de compagnies
et de tourneurs.
Une annulation serait fatale
pour nombre d’entre eux.


cle vivant, fait part de ses « plus vives
inquiétudes », tant les nuages
s’amoncellent. « Nos festivals sont
confrontés à l’incertitude de la date de
fin de la crise sanitaire, et des autorisa-
tions ou possibles restrictions qui en
découleront », écrit-il. Or, le montage
des équipements précède d’un mois
à un mois et demi l’ouverture. Une
annulation de rassemblement quel-
ques jours ou semaines avant l’évé-
nement constituerait une double
peine au regard des frais engagés.
D’autre part, « nombre d’artistes
internationaux programmés sont
dans l’incertitude de pouvoir honorer
leurs engagements. Les restrictions de
déplacements ou de confinement sont
de plus décalées sur les continents »,
souligne le Prodiss. Les annulations
décidées par des festivals étrangers
fragilisent les tournées en France.

Les billetteries gelées
Directeur général d’AEG Presents
France et organisateur de Rock en
Seine, Arnaud Meersseman
confirme. « On perd les groupes les
uns après les autres, car ils ont l ’habi-
tude d’emprunter des autoroutes de
tournées internationales : ils com-
mencent fin mai par le festival Pri-
mavera, en Espagne, reporté à cause
du virus fin août aux mêmes dates
que Rock en Seine, et enchaînent en
Angleterre, où de g ros festivals o nt été
annulés par AEG et Live Nation. [...]
Alors ça ne les intéresse plus de
venir », note-t-il.

Par ailleurs, « les billetteries sont à
l’arrêt depuis l’annonce de la crise en
France », p ointe le Prodiss. Or l’équi-
libre économique des festivals
impose des taux de remplissage de
plus de 90 % et il est peu probable
qu’une fois levé le confinement le
public se rue sur les tickets. Quant
aux financements des partenaires,
sponsors, mécènes, ils fondent,
alors que pour un festival tel que
Les Vieilles Charrues, ils représen-
tent de 15 à 20 % d’un budget de
17 millions d’euros.
Enfin, « les dépenses de sécurité et
celles liées aux mesures sanitaires
sont complexes à anticiper, tant la dis-
ponibilité du Samu ou des associa-
tions de secours encadrant habituelle-
ment les festivals, est incertaine »,
souligne encore le Prodiss. « Il faut
clarifier les choses. Aux Etats-Unis,
dans de nombreux pays d’Europe, ils
ont déjà décidé de décaler la plupart

des événements. Si on n’annule pas
dans les quinze jours, nombre d’orga-
nisateurs seront redevables des
cachets. Et les fonds de soutien, mis en
place ici ou là par les collectivités,
seront taris car sollicités par d’autres
secteurs », met en garde Angelo
Gopee, directeur général de Live
Nation France.

Cas de force majeure?
« Si le gouvernement décrète l’état de
catastrophe sanitaire, on peut déclen-
cher le cas de force majeure a uprès des
assureurs et ainsi récupérer tous les
acomptes versés, limitant nos pertes
au manque à gagner de l’événement
annulé et aux frais fixes des équipes
déployées », précise Arnaud
Meersseman. Ce qui peut être beau-
coup : 16 permanents aux Vieilles
Charrues, auxquels s’ajoutent déjà
4 CDD et des techniciens intermit-
tents. La survie des structures festi-
valières en monoactivité, incapables
de se remettre d’une édition forte-
ment déficitaire, est en jeu.
« Le report des festivals à 2021
pourrait permettre la survie de cet
écosystème, si tant est qu’il puisse être
accompagné des arrêtés nationaux o u
préfectoraux nécessaires à l’annula-
tion des événements pour 2020 »,
conclut le Prodiss. Sur plus d’un mil-
lier de festivals en France, une cin-
quantaine, plus petits et subvention-
nés, espèrent, eux, un délai avant
l’annulation stricte, assurant pou-
voir repenser leurs événements.n

lSortie du confinement, incertitudes quant aux rassemblements et à la venue


des artistes comme du public, surcoût éventuel des mesures sanitaires...


lTrop de menaces pèsent sur les grandes kermesses musicales de l’été,


qui réclament au gouvernement une clarification.


Les festivals musicaux de l’été


veulent être fixés sur leur sort


140 théâtres permanents ou éphé-
mères, « c’est un océan d’incertitu-
des économiques pour les compa-
gnies qui misent là leur activité à
l’année : elles dépensent 10.000
à 20.000 euros pour se loger et louer
un local où présenter leur pièce, avec
l’espoir de vendre 40 à 50 dates de
tournées. Ne pas y participer, c’est se
condamner, mais y aller est très ris-
qué », souligne le producteur Jean-
Marc Dumontet, habitué du « Off ».
Quant au territoire, les enjeux
sont énormes, avec des retombées
du « In » et du « Off » estimées à
25 millions d’euros pour la ville et
100 pour la région.
—M. R.

L’annulation d’Avignon serait lourde de conséquences


L’édition 2020 du festival We Love Green (ici en juin 2019 au bois de Vincennes, près de Paris) est censée se tenir les 6 et 7 juin. « On doit
signer en avril et mai les contrats avec les artistes et les fournisseurs », explique son directeur, Jérome Tréhorel. Photo Sadaka Edmond/Sipa.


« Si on n’annule pas
dans les 15 jours,
nombre
d’organisateurs
seront redevables
des cachets. »
ANGELO GOPEE
Directeur général
de Live Nation France

Ces acteurs majeurs mobilisés


Ils sont nombreux à s’engager contre le virus. Côté
entreprises ou leurs fondations, citons BNP Paribas,
SNCF, Carasso, Faurecia, EDF, Accenture, AG2R, Macif,
Michelin, Malakoff Mederic, Schneider Electric, Carre-
four, Total, Société Générale, Orange, etc. Côté centres
de recherche, l’Institut Pasteur, la Fondation pour la
recherche médicale, la Fondation du Souffle, notam-
ment, sont en première ligne. Parmi les hôpitaux, les
fondations AP-HP et Hospices civils de Lyon, le Fonds
du CHU de Nîmes, Hospidon, Hôpital Fondation
Rothschild, sont très investis et parmi les associations,
Samu Social, le Rocher, Raoul Follereau, Abbé Pierre,
Apprentis d’Auteuil, Caritas France, entre autres.

Christophe Archambault/AFP
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