Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1

CORONAVIRUS


La semaine dernière, ce tweet
repris par Stéphane Richard a été
partagé des milliers de fois : « Lundi
Alexis tech #orange de #Carcas-
sonne est intervenu chez une cliente
de 74 ans, à son arrivée il l’a trouvée
sous aide respiratoire à demie
consciente. Il a pu la rassurer et appe-
ler le Samu. Elle va bien ce jour et...
sa ligne a été rétablie. Fiers de nos
#HerosduRéseau. »
L’histoire est belle. Elle illustre le
rôle crucial dévolu en ces temps de
confinement aux petites mains qui
assurent le bon fonctionnement
d’une infrastructure ultra-sollici-
tée. « En temps normal, on gère
100 millions d’appels par jour. Lundi
16 mars, quand le confinement a
été annoncé, il a fallu tenter d’ache-
miner 80 millions d’appels en plus »,
explique Antoine Janiaud, chargé


des équipes supports chez Bouy-
gues Telecom. Par endroits, le taux
d’acheminement tombe à 40 %.
« Les gens tentaient de rappeler, ce
qui crée des phénomènes de bulle
d’appels qui peuvent faire s’effondrer
le réseau. » En moins d’une jour-
née, les opérateurs se coordon-
neront pour ajuster les inter-
connexions, à distance.

La porte de service
de l’hôpital
Ce n’est pas toujours possible. Dans
plusieurs hôpitaux, il a fallu ajouter
des équipements face au recours
massif à la téléconsultation et au
télétravail. L’AP-HP a ainsi contacté
SFR le 18 mars pour augmenter
de 50 % les capacités réseau d’un
hôpital parisien. « En temps nor-
mal, cela aurait été planifié sur deux
à quatre semaines. Là, on a rapatrié
du matériel du Mans et tout réalisé
en 36 heures », raconte Patrice
Fauvel, qui a coordonné les travaux,
réalisés par Huawei.
Même combat à l’hôpital de
Verdun, où Damien et Thomas,
deux techniciens d’Orange, ont dû

se faufiler par la porte de service
pour éviter de croiser le personnel
et les malades. « On a traversé
trois couloirs et rencontré seulement
deux personnes de la maintenance et
un médecin », racontent-ils. Sollici-
tés quelques jours plus tôt par l’opé-
rateur pour intervenir dans des

lieux sensibles – hôpitaux, gendar-
meries, pharmacies... –, ils ont
passé une visite médicale avant de
rejoindre la force d’intervention
spéciale de l’opérateur. Equipés de
gants, de masques et même de com-
binaisons i ntégrales – au cas où –, i ls
évitent au maximum les contacts,
« même si c’est parfois difficile pour
raccorder des fibres optiques ». Avec
un motif de satisfaction : « Sur la
route, ça circule comme jamais. »

Dormir dans la voiture
En revanche, la difficulté à trouver
de quoi se loger ou dormir en
mission est parfois réelle. Jamal
El Ghoulti, responsable qualité
et sécurité chez Huawei, a par-
couru 1.538 k m à travers la Bretagne
pour intervenir sur le réseau
mobile la première semaine du
confinement. « J’embarque des
produits secs pour manger. Et je
prévois la possibilité de dormir dans
la voiture. La dernière nuit, j’ai eu
deux annulations d’hôtels. Mais j’ai
toujours trouvé », explique-t-il.
« Même à 4 ou 5 heures du matin,
les gens ont le sourire, ça change! »

Dans les centres informatiques, le
travail des techniciens a également
radicalement changé. « Tout le per-
sonnel est passé en télétravail,
sauf les techniciens qui sont obligés
d’intervenir dans les data centers.
Ce sont les héros de la situation, expli-
que Arnaud de Bermingham, le
patron de Scaleway, la filiale cloud
d’Iliad. La pression est double : les
clients ne peuvent plus venir faire la
maintenance et exigent plus de
performances. Nous avons connu
d’autres crises. Mais celle-ci est parti-
culière, parce que les équipes tra-
vaillent la boule au ventre. C’est une
variable qu’on ne connaissait pas. »
Si personne ne les applaudit le
soir, un sentiment de fierté anime
ces spécialistes des réseaux. Celui de
participer à un effort national. Con-
tre un virus auxquels ils sont plus
exposés que les Français confinés.
« On fait attention, souligne Tho-
mas, jeune père de 23 ans. J’ai une
fille de deux ans qui a l’habitude de me
sauter au cou quand je rentre. Main-
tenant j’envoie un SMS juste avant
d’arriver, pour isoler la petite le temps
que je me désinfecte. » —S. Dum.

Sur le terrain avec les techniciens, « héros des réseaux »


Pour maintenir et réparer
les infrastructures pendant
le confinement, les techni-
ciens télécoms sont très sol-
licités. Sur place, ils s’acti-
vent, masqués, et à bonne
distance les uns des autres.


les TPE qui sont menacées. Mais
l’exemple de la crise financière mon-
tre que l’impact reste mesuré. En
2009 en Espagne, le nombre de lignes
pro avait diminué de 5 %. »

Economies sur le marketing
En comparant à la crise de 2008 éga-
lement, Moody’s estime que les
mauvaises créances des opérateurs
pourraient augmenter de 50 %,
pour avoisiner 1,5 % des revenus en
moyenne. « C’est un choc qui peut
parfaitement être absorbé », assure
Carlos Winzer, de Moody’s.
Pour l’analyste, les pertes
devraient rester limitées. « Un fort
recul du PIB se traduira par des reve-
nus en berne. La difficulté est que l’on
ne sait pas bien combien de temps
durera la crise, reconnaît-il. Si elle se
résorbe à la fin du deuxième trimes-
tre, nous estimons que les opérateurs

enregistreront une faible décrois-
sance à un chiffre en 2020, avant un
retour à la normale en 2021. »
Les télécoms bénéficieront aussi
d’un effet rattrapage sur certains
postes. « Contrairement aux coif-
feurs, chez qui vous irez à la sortie de
la crise avec des cheveux très longs
mais une seule fois, les déploiements
que nous aurons à faire seront
décalés mais ne seront pas per-
dus, expliquait Patrick Drahi la
semaine dernière. Les revenus d e ces
constructions seront dans les caisses
de l’entreprise dans les quatre ou
cinq prochains trimestres. » Et pour
encore rassurer les investisseurs
sur l’impact du Covid-19, le patron
d’Altice ajoutait qu’« avec la ferme-
ture des boutiques, la mauvaise nou-
velle c’est que nous avons une baisse
des ventes. Mais la bonne nouvelle,
c’est que le “churn” [les départs

d’abonnés pour un autre opérateur,
NDLR] diminue. [...] En réalité, cela
va réduire significativement les
dépenses commerciales et marketing
pour les prochaines semaines. »

Fr einer les investissements
En plus de sabrer dans ces coûts
opérationnels, les opérateurs peu-
vent freiner les investissements.
« Les Capex critiques pour la mainte-
nance des réseaux ne représentent q ue
50 % du total, explique Carlos Win-
zer. Les opérateurs réduiront sans
doute leurs investissements d’environ
10 %. Ce sera une des clefs qui permet-
tra de maintenir la rentabilité et les
cash-flows. » Le report des enchères
5G dans de nombreux pays (France,
Portugal, Espagne, Belgique, Autri-
che...) les y aidera, en faisant écono-
miser quelques centaines de mil-
lions d’euros sur l’exercice 2020.

Dernier élément de stabilité du
secteur, la dette y est globalement
maîtrisée. « Nous n’attendons aucun
problème de liquidité chez les opéra-
teurs européens. Ils ont des profils
d’endettement avec de bonnes matu-
rités, du cash et un accès aux ban-
ques », valide Carlos Winzer. Sans
compter que l’industrie compte
parmi les grands émetteurs d’obli-
gations hybrides, qui permettent
d’étaler les coupons si nécessaire.
En réalité, le principal impact du
Covid-19 ne se verra peut-être pas
dans les comptes. « Les gouverne-
ments ont réalisé le caractère stratégi-
que des télécoms, pointe Jacques de
Greling. Il y aura sans doute moins de
transactions internationales après
cette crise. Les fantasmes de ban-
quiers d’affaires, comme la fusion
d’Orange avec Deutsche Telekom, res-
teront dans les tiroirs. »n

L’activité des réseaux n’a jamais été aussi intense que depuis le début du confinement. Photo Laurent Grandguillot/RÉA

Sébastien Dumoulin
@sebastiendmln


Fa ce au coronavirus, le secteur des
télécoms s’avère un patient quasi-
ment asymptomatique. Les hôtels
ont fermé leurs portes, les avions
sont cloués au tarmac, mais les
réseaux des opérateurs fonction-
nent à plein régime. L’activité n’a
même jamais été aussi intense que
depuis le début du confinement.
Ce qui leur procure des rentrées
d’argent... assez stables. « Les haus-
ses de trafic ne se traduisent pas
par des revenus supplémentaires.
Depuis vingt ans, la vaste majorité
des abonnements est à prix fixe »,
souligne Jacques de Greling, spécia-
liste du secteur chez Scope Ratings.
Pas d’explosion du chiffre d’affai-
res donc, mais pas vraiment de
baisse non plus. « Business as
usual », ou presque.
Car certaines activités sont tout
de même à la peine. Les revenus du
roaming ont disparu avec les touris-
tes, pesant sur les opérateurs du sud
de l’Europe. Les ventes de smart-
phones qui ne peuvent plus se faire
en boutique sont loin de s’être
reportées en ligne.
Et certaines factures pourraient
rester impayées. « Le risque sur les
créances clients est assez limité, tem-
père Jacques de Greling. Les dépen-
ses télécoms ne représentent que 2 %
du budget des ménages. Ce n’est pas le
poste sur lequel ils vont arbitrer. En ce
qui concerne les entreprises, soit un
tiers du marché des télécoms, ce sont


TÉLÉCOMS


« Nous avons connu
d’autres crises.
Mais celle-ci
est particulière,
parce que
les équipes
travaillent
la boule au ventre.
C’est une variable
qu’on ne
connaissait pas. »
ARNAUD DE BERMINGHAM
Patron de Scaleway

lMalgré


des tensions


sur les réseaux


et les revenus,


les opérateurs


européens n’ont


pas de problèmes


de trésorerie


ni de dette.


lIls peuvent


étaler leurs inves-


tissements pour


attendre la reprise.


Les opérateurs télécoms résistent


bien à la crise sanitaire


Tofane rachète


les services


internationaux


de NOS


Et de cinq. Après le groupe
Altice (plus précisément le fran-
çais SFR, le portugais MEO et
Altice Dominicana) puis le
néerlandais KPN en 2018, c’est
au tour du portugais NOS de
céder sa filiale spécialisée dans
l’achat et la vente de minutes de
voix à l’international à Tofane.
Le français renforce sa force
de frappe. Depuis sa création en
2017 par Alexandre Pébereau


  • ancien patron des réseaux
    internationaux d’Orange –, la
    jeune pousse est devenue le pre-
    mier acteur indépendant du
    marché avec plus de 30 mil-
    liards de minutes de trafic voix
    transportées et le troisième
    mondial derrière Vodafone
    (45 milliards de minutes), Tata
    Communications (35 milliards)
    et juste devant Orange. Tofane a
    ainsi atteint le milliard de dol-
    lars de recettes. En récupérant
    les 2 milliards de minutes de tra-
    fic voix de NOS et ses 141 millions
    d’euros de chiffre d’affaires, le
    petit groupe spécialisé monte
    encore en puissance.


Si l’externalisation séduit cer-
tains opérateurs, c’est que la
capacité de négociation d’un
grossiste indépendant comme
Tofane permet de faire baisser
les prix. Par ailleurs, acheter et
vendre des connexions intero-
pérateurs à l’international est
une activité qui brouille la lec-
ture des investisseurs, car elle
est beaucoup moins rentable
que le business traditionnel des
opérateurs – moins de 5 % de
marge d’Ebitda, selon Tofane,
contre plus d e 30 % dans les télé-
coms en général – et très irrégu-
lière, avec des pics à Noël, pour
la Fête d es mères ou le ramadan.
Enfin, la valeur des appels
internationaux décroît structu-
rellement. Ce que Tofane i ntègre
dans ses calculs. Le cash généré
par la voix est investi dans le
développement des services
mobiles plus lucratifs, comme
les SMS à l’international, les
objets connectés ou l’identifica-
tion des usagers en roaming.
Autant d’activités qui représen-
tent déjà un tiers de sa marge
brute, avec des taux de crois-
sance de 10 à 15 % par an. « Notre
modèle est bien équilibré sur le
plan financier », assure Alexan-
dre Pébereau. Si le montant d e la
transaction avec NOS n’a pas été
communiqué, le patron de
Tofane précise ne pas avoir eu
recours à la dette bancaire et
avoir les moyens de consolider
son secteur si d’autres opéra-
teurs se décidaient à vendre.
« Nous avons tenu notre business
plan. Nos investisseurs comme
notre pool bancaire sont prêts à
nous accompagner pour d’autres
acquisitions. » —S. Dum.

Après Altice et KPN,
le portugais NOS cède
ses activités de grossiste
de minutes de commu-
nication et de SMS à
l’international à Tofane,
qui consolide sa position
de numéro trois mondial.

Tofane mise sur des
services mobiles
plus lucratifs.

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Vendredi 3 et samedi 4 avril 2020Les Echos

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