Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1
« Tout le monde est sur les rotules! »
Lorsque Olivier Cotinat, cofonda-
teur de Schoolab fait le p oint sur ses
troupes et les 17 jours qui viennent
de s’écouler depuis le début du
confinement lié au Covid-19, le dis-
cours est franc. Son entité est un
bon moyen de prendre le pouls de
l’écosystème puisqu’elle rassemble
startuppeurs, grands groupes et
étudiants dans des programmes
d’accompagnement ou d’immer-
sion q ui se déroulent dans le monde
physique.
Forcément, avec l’avènement de
cette crise, Schoolab a dû revoir son
fonctionnement de fond en comble
et basculer ses cursus dans le
monde digital. Le premier est un
cours commun à Centrale, l’Essec et

au Strate Collège qui s’est totale-
ment transformé en dix jours,
explique Olivier Cotinat : « Au
début, je me suis dit que nous allions
le retarder, puis l’annuler. Je ne pen-
sais pas que nous étions capables
d’en faire une version qualitative en
digital, mais nos équipes m’ont
bluffé! »
Côtés grands groupes, le bilan est
plutôt rassurant. Juste après
l’impact, seulement six program-
mes ont été décalés sur la vingtaine
que Schoolab monte p our leur infu-
ser les méthodes d’innovation
issues de la Silicon Valley. « Pour
certains, c’est le feu dans la maison,
ils ne peuvent pas se projeter, résume
l’entrepreneur. Mais pour une
bonne partie d’entre eux, se projeter

avec des échanges de bonnes prati-
ques ou de technos. C’est assez inédit
et rassurant pour la suite. »

Po ser les bases
pour la reprise
Po ur les start-up résidentes au sein
de Schoolab, la réaction est moins
évidente. La plupart du temps au
tout début de leur aventure et avec
des entrepreneurs très jeunes à la
barre, les échéances sont difficiles à
tenir, surtout pour celles qui étaient
en processus de levée de fonds.
Mais là aussi, la solidarité joue à
plein et l’incubateur a déjà basculé
ses programmes de mentoring en
version digitale. « C’est étrange car
les startuppeurs avaient montré peu
d’appétence pour ce modèle

d’apprentissage à distance jusque-là,
note Olivier Cotinat. Mais nous
avons passé l’ensemble des outils
dans ce mode en moins de quinze
jours et cela fonctionne. »
Avec ses 10.000 mètres carrés de
bureaux répartis en France, à San
Francisco et au Vietnam quasiment
vides, Schoolab se r etrouve, comme
toutes les structures qui lui ressem-
blent, face à une urgente nécessité
d’accélérer sa mue digitale. Avec les
10 millions d ’euros levés début 2019,
l’entreprise reste raisonnablement
confiante à court terme, « mais il ne
faudrait pas non plus que cela dure
six mois », prévient son PDG qui
estime pour le moment avoir posé
les bases pour rebondir après la fin
de la crise sanitaire. —G. B.

FORMATION


Cette entreprise
emblématique du
Silicon Sentier à Paris
a dû revoir de fond
en comble ses pro-
grammes d’accompa-
gnement de start-up,
grands groupes
et étudiants.


Son modèle, comme
celui de toutes
les structures similai-
res, sera modifié
en profondeur.


Schoolab face à l’urgence de la transformation digitale


En France, une grande partie des argentiers des start-up qui pourraient engendrer les champions de demain ont appuyé sur le bouton
« pause » depuis le début du confinement. Phot o iStock

« Pour certains,
c’est le feu dans la
maison [...] Mais
pour une bonne
partie d’entre eux,
se projeter dans
le monde d’après
a été une action
primordiale. »
OLIVIER COTINAT
Cofondateur de Schoolab

dans le monde d’après a été une
action primordiale. Durant cette
période, j’ai pu noter beaucoup de
solidarité entre corporate d’ailleurs,

Guillaume Bregeras
@gbregeras


Ce n’est pas qu’une légende : de
Facebook, qui s’est internationalisé
en pleine débâcle financière
de 2008, à Zoom, dont le nombre de
clients explose depuis le début de
l’épidémie mondiale de Covid-19, ce
sont bien durant les crises que les
plus grandes entreprises de la tech
émergent. En France, une grande
partie des argentiers des start-up
qui pourraient e ngendrer les cham-
pi ons de demain ont appuyé sur le
bouton « pause » depuis le début du
confinement, tandis qu’une poi-
gnée d’entre eux a choisi de pour-
suivre leurs investissements.
Parmi eux, Audrey Soussan, asso-
ciée de Ventech, dont le fonds a réa-
lisé ses meilleurs paris durant ces
périodes d’incertitude (Webedia en
2008 ou Curse en 2009). « Avec notre
expérience des crises précédentes, on
sait qu’il ne faut pas se regarder en
chiens de faïence, ce n’est pas bon. »
Consciente des opportunités qui se
profilent, celle qui est également
vice-présidente de l’association
France Digitale continue son travail
de tête chercheuse : « Si nous som-
mes mobilisés à très court terme sur
les entreprises de notre portefeuille,
des opportunités sont à saisir. Celles
qui p asseront la crise auront moins de
concurrents et plus de facilité à recru-
ter. » Sur les trois contrats de négo-
ciations exclusives (term sheet)
signées avant le début du confine-
ment, la VC assure en avoir main-
tenu deux : « L’une des start-up est
dans le secteur de la santé et la crise
sanitaire impacte positivement son
activité. L’autre subit davantage à
court terme mais notre investisse-
ment porte sur une période de cinq à
dix ans, et l’on estime que cela ne
change pas la vision à long terme. »


Des entretiens
par visioconférence
Même état d’esprit chez Pierre Entre-
mont, de Frst (e x-Otium Capital), qui
vient de boucler une levée de fonds
avec Riot, une pépite tricolore qui
lutte contre le phishing en entraînant
les salariés d’une entreprise qui p our-
rait ê tre visée par ce mode de cyberat-
taque. « Il y a quelques semaines, nous
avons identifié son fondateur, un Fran-
çais qui incubait son projet au sein du
Y Combinator, explique-t-il. Ensuite,
nous avons mené des entretiens en
visioconférence et au moment de pren-
dre la décision d’investir, la crise sani-


taire avait déjà bien démarré. » Au-
delà du secteur que l’on comprend
porteur dans l’environnement
actuel, l’associé de Ring Capital se dit
aussi ouvert aux secteurs qui pour-
raient pâtir en ce moment : « J’ai dis-
cuté avec un entrepreneur qui évolue
dans le secteur de l’immobilier com-
mercial. Après la crise, les change-
ments de locataires vont se multiplier,
générer des transactions et il faudra
accompagner tout cela. »

L’expérience des crises
précédentes
Dans une phase de transition avec
l’obtention de l’agrément permet-
tant de gérer directement des fonds,
OneRagtime poursuit ses opéra-
tions d e financement malgré l a crise.
La structure dirigée par Stéphanie
Lhospital vient d e conclure une s érie
B avec + Simple, un courtier d’assu-
rances en ligne : « Tous les fonds ont
été fidèles à leur engagement et nous
avons bouclé l’opération à distance
avec un process de signature électroni-
que. » Une autre opération encore
confidentielle a été menée à son
terme par la VC dans le domaine du
jeu vidéo, d ont l ’ensemble d u secteur
bénéficie du confinement actuel.

Le mardi 17 mars, premier jour de
la mise au vert imposée par le gou-
vernement français, Nicolas Celier,
associé de Ring Capital signe, lui,
une term sheet après neuf mois à
refuser les opportunités d’investis-
sement : « Les valorisations étaient
trop importantes. Nous avons deux
opérations dans les tuyaux et nous
irons au bout. Nous aurions pu nous
retirer comme certains de nos confrè-
res, mais nous pensons que ces inves-
tissements de long terme seront fruc-
tueux. » Comme c eux qui ont
traversé les précédents crashs, le VC
est convaincu qu’il faut poursuivre
l’activité d’un secteur « qui fait partie
des enfants gâtés de la crise », comme
il le qualifie : « Il est plus facile d’être
convaincu qu’il faut investir durant
cette période lorsque l’on a déjà passé
des moments durs comme e n 2000 ou
en 2008. Notre métier est d’analyser
les risques et les opportunités, et cela
ne s’est jamais révélé aussi vrai! »n

lMalgré la crise du Covid-19, une poignée de VC poursuivent les opérations de financement des start-up.


lA contre-courant du réflexe général de se focaliser uniquement sur les entreprises déjà en portefeuille,


ils expliquent comment ils naviguent durant cette période inédite.


Les investisseurs qui maintiennent


les levées de fonds


INVESTISSEMENT


Ayant réalisé leurs
meilleurs coups
lors des crises
précédentes,
ils maintiennent
leur activité en quête
d’opportunités.

« Nous avançons sur tous les dossiers,


mais pas en aveugle »


Propos recueillis par G. B.

D


epuis le début de la crise, de
nombreux investisseurs
français ont les nouvelles
levées de fonds. Elaia Partners, l’un
des acteurs du capital-risque les
plus actifs en 2019, veut poursuivre
son activité et explique comment il
va s’y prendre.

Quel a été l’impact des premiè-
res semaines de crise sur vos
nouveaux investissements?
Au début du confinement, nous
avions huit opérations a pprouvées
par le comité d’investissement, six
« term sheets » (contrat de négo-
ciations exclusives) signés, et deux
entreprises avec qui nous étions en
phase de finalisation de négocia-
tion. Un seul « term sheet » a été
revu, et je peux vous dire que nos
avocats travaillent en ce moment
au bouclage d e ces nouveaux tours
de financement. Chaque situation
est revue, mais les perspectives de
long terme tiennent. Nous avan-
çons sur tous les dossiers ouverts,
mais pas en aveugle.

économique résistant. Il faut aussi
que les investisseurs existants sui-
vent durant ce nouveau tour de
table, mais nous acceptons d’être
le seul nouvel entrant.

Comment préparez-vous
les entrepreneurs
que vous accompagnez?
Il faut accepter que le deuxième
trimestre 2020 soit une période
morte. Le troisième sera celui de la
sortie de crise, mais restera très

perturbé. A la fin de celui-ci, les
cycles de vente seront repensés
pour que l’activité reprenne à la fin
du quatrième trimestre, voire au
début du premier trimestre 2021.
Pour toutes les start-up dont l’acti-
vité est bien orientée, nous les
aidons à mettre en place ce scéna-
rio. En leur demandant également
de prévoir assez de liquidités pour
tenir en 2021, si la période noire
devait se prolonger.

Quels sont, au contraire,
les modèles que vous écartez
désormais?
Il y a, bien sûr, toutes les entrepri-
ses dont le modèle est basé sur un
secteur d’activité très touché,
comme l’aérien. Mais nous ne sui-
vrons pas non plus celles qui choi-
sissent de se refinancer chaque
année à travers de petites levées,
car leur plan ne résisterait pas à un
décalage d e la reprise. Pour gagner
les 24 heures du Mans, il faut pas-
ser le cap de la première heure. Et
dans le contexte actuel, nous ne
savons pas si cette crise durera
une, deux, ou trois heures...n

Regardez-vous de nouveaux
dossiers?
Nous les examinons avec un filtre :
si les « due diligence » (vérification
des actifs et du marché de la
start-up) n’ont pas été effectuées,
nous déterminons quel est le degré
d’urgence. Est-il n écessaire de f aire
ce travail, alors qu’il est impossible
de rencontrer physiquement les
entrepreneurs? Pour certains
dossiers, nous continuerons
d’avancer. C’est le cas la semaine
dernière avec l a réunion du comité
d’investissement pour évaluer une
fintech.

Quelles sont les conditions
pour décider de votre engage-
ment dans une nouvelle levée
de fonds?
Nous priorisons aussi les entrepri-
ses dont l’impact de la crise sera
neutre ou positif, qui sont plus
développées et avec un modèle

XAVIER LAZARUS
Associé d’Elaia
Partners

« Il faut accepter
que le deuxième
trimestre 2020
soit une période
morte. Le
troisième sera
celui de la sortie
de crise. »

START-UP


Vendredi 3 et samedi 4 avril 2020Les Echos

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