Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1

36 // PATRIMOINE Vendredi 3 et samedi 4 avril 2020 Les Echos


constituent des freins puissants,
on trouverait alors un stock obli-
gataire en moins-value...
Et ce scénario pourrait être
aggravé par des réformes fiscales
inopportunes. « Les auteurs d’un
rapport sur la réserve héréditaire
en matière de droits de succession
suggèrent d’aligner le droit de l’assu-
rance-vie sur le droit commun. Une
suggestion du même ordre figure
dans le rapport du Conseil des prélè-
vements obligatoires. Le droit fiscal
étant un droit de superposition, une
mesure d’alignement sur le droit
Civil aurait aussi pour effet d’aligner
la fiscalité de l’assurance-vie en
matière de succession sur celle du
droit commun », explique Philippe
Baillot, enseignant à l’université
de Paris-I.

rapport aux tensions qui se mani-
festent du côté de la dette privée. Les
perspectives de défaut font bondir
les rendements, or « 50 % des actifs
obligataires des assureurs sont des
obligations corporate », affirme
Guillaume Leroy. L’impact sur les
assureurs est direct car leur stock
d’obligations se déprécie au fur et à
mesure de la hausse des taux.
Parallèlement, les épargnants
détenant des contrats leur rappor-
tant moins que l’inflation seront
tentés de racheter leurs contrats
pour investir sur de nouveaux pro-
duits plus rémunérateurs car cons-
truits dans un contexte de taux
beaucoup plus élevés.
Face à une vague de rachats qui
pourrait être forte, même si les frot-
tements fiscaux décrits plus haut

de l’actif, la baisse des taux agit sur
ces deux postes de manière dissymé-
trique. Par exemple, si nous avions
au d épart 100 à l’actif et 100 a u passif,
après la baisse des taux, nous obte-
nons désormais 110 à l’actif versus
120 au passif. »
Pour aider les assureurs à passer
le cap, Bercy a autorisé les compa-
gnies, l’automne dernier, à considé-
rer comme des fonds propres une
partie des provisions pour partici-
pation aux excédents dans le calcul
des exigences prudentielles. Une
mesure permettant de les soulager
provisoirement, mais si le contexte
de taux très bas avait été amené
à durer, les compagnies auraient
été progressivement asphyxiées.
« En moyenne, en France, tous
contrats et toutes compagnies
confondus, les assureurs se sont
engagés à servir des taux entre 0,5 %
et 1 % », affirme Guillaume Leroy.
Certes, les rendements garantis ne
sont plus du tout de mise dans les
nouveaux contrats, mais les
anciens en comportent encore
pour des taux pouvant aller jusqu’à
4,5 %, ce qui alourdit d’autant le far-
deau des assureurs.
Pour autant, les assureurs
avaient largement de quoi t enir plu-
sieurs années. « Au Japon, entre le
moment où les taux ont plongé
en 1990 et la faillite des premières
compagnies puis l’intervention des
autorités publiques, il s’est écoulé
huit ans », souligne Guillaume
Leroy. Mais le scénario de mort
lente qui aurait pu se dessiner avec
des taux à l’étiage pour de longues
années a été brutalement inter-
rompu par la crise du coronavirus.

1 LE SCÉNARIO
DE HAUSSE DES TAUX
Si on a pu observer la brusque
hausse du rendement de l’emprunt
à 10 ans, les investisseurs s’inquié-
tant d es nouveaux besoins de finan-
cement des Etats, ce n’est rien par

Marie-Christine Sonkin
@mcsonkin


L


a solvabilité des assureurs
peut-elle être remise en
cause? La crise sanitaire
s’accompagne d’une crise finan-
cière qui n’est pas sans conséquen-
ces sur leurs comptes, donc sur la
sécurité attachée aux fonds en
euros de nos contrats d’assurance-
vie, la garantie en capital étant
apportée par les compagnies.
Il y a quelque mois seulement, le
stress des assureurs trouvait ses
racines dans l’érosion des taux
d’intérêt. Aujourd’hui, ils sont
confrontés au scénario contraire,
mais non moins déstabilisant :
celui d’une forte et brutale hausse
des taux. Le rendement de l’OAT
à 10 ans est passé de –0,36 % le
9 mars à +0,30 % le 18 mars. La
pression est ensuite un peu retom-
bée, mais ce saut d e plus de
60 points de base en seulement
quelques jours prouve que la vigi-
lance et de mise. Les compagnies
sont littéralement prises entre
deux feux, le seul scénario favora-
ble étant une r emontée l ente et pro-
gressive des taux d’intérêt.
Mais pourquoi la solvabilité des
compagnies est-elle aussi dépen-
dante du niveau des taux et quelles
peuvent être les conséquences de
leurs variations pour les assurés, et
surtout ceux qui détiennent des
fonds en euros?


1 LE SCÉNARIO
DE BAISSE DES TAUX
Aujourd’hui, comme le rappelle
Guillaume Leroy, actuaire associé
de Prim’act, le portefeuille des assu-
reurs-vie est composé à 85 % d’obli-
gations. Si on y ajoute les actifs
monétaires, on approche les 90 %
d’exposition obligataire. Tout le sys-
tème repose sur l’équilibre actif/pas-
sif, l’actif étant le portefeuille de
l’assureur, le passif ses engagements
vis-à-vis de l’assuré. « Les engage-
ments de l’assureur ont globalement
une durée résiduelle d’au moins
10 ans », détaille Guillaume Leroy.
Une durée relativement importante
car les assurés conservent long-
temps leurs contrats ne serait-ce
que pour des raisons fiscales, la
durée de détention minimale leur
permettant d’obtenir les conditions
les plus favorables étant en général
de huit ans. En outre, pour optimiser
la fiscalité en cas de décès, les assu-
rés de plus de 70 ans effectuent très
rarement des rachats.
« En face de ces engagements, le
portefeuille obligataire des assureurs
a, quant à lui, une durée résiduelle
souvent de 6 à 7 ans. Un différentiel
qui s’explique par la volonté des
compagnies de pouvoir réinvestir
plus rapidement en cas de hausse
des taux. Hausse des taux qui
début 2019 était l’hypothèse la plus
probable », décrypte Guillaume
Leroy. Mais la suite n’a pas conforté
ce scénario. « Il y a quinze mois, rap-
pelle-t-il, le rendement de l’emprunt
français à 10 ans était de l’ordre de
1 %. Les assureurs n’anticipaient
donc pas de nouvelles baisses très
importantes, mais depuis, ce rende-
ment a encore plongé jusqu’à attein-
dre environ –0,4 % fin 2019. C’est
ainsi que le piège se referme. La dura-
tion du passif étant supérieure à celle


Assurance-vie : les fonds en euros


sont-ils toujours un abri sûr?


Le baromètre
des fonds Morningstar le

01/04/2020
Les fonds dédiés aux ac-
tions italiennes paient un
lourd tribut. Elles plon-
gent de 23,97 % sur les
douze derniers mois.

FONDS ACTIONS ITALIE
En confinement depuis le
9 mars, l’Italie est le pays le
plus touché dans le monde
par l’épidémie de Covid-19.

–23,97 %
giques affichent une relative
résistance. Sur les douze der-
niers mois, les fonds dédiés
affichent une performance
de 1,03 %.

FONDS ACTIONS
TECHNOLOGIE
Moins touchées que les autres
par les conséquences du confi-
nement, les sociétés technolo-

+1,03 %


PLACEMENTS


Les épargnants qui n’ont pas cédé aux sirènes des unités de compte et sont restés sagement investis sur les fonds en euros


à capital garanti sont-ils vraiment à l’abri? La crise du coronavirus rebat les cartes. Le point sur les scénarios envisageables


et les risques éventuels qui guettent les assurés.


rapid ement devenir élevé. Attention,
il n e faut pas généraliser car certaines
d’entre e lles comme Le Conservateur,
La Mif, Carac ou France Mutualiste
disposent de très grosses réserves.
Pour d’autres, une configuration
défavorable pourrait être l’occasion
d’une nouvelle consolidation du sec-
teur. C’est le cas par exemple pour les
groupes paritaires qui ont de gros
portefeuilles d’assurances collectives
peu rentables ».
Les bancassureurs, ne sont pas
non plus toujours dans une situa-
tion idéale. Certaines banques ont
déjà dû recapitaliser leurs filiales.
« Elles peuvent lever assez facilement
de la dette, mais ce sera à des taux
allant de 4,5 % à 6 %, estime-t-il.
Quant aux groupes d’assurance
cotés, ils pourraient procéder à des
augmentations de capital. Une
option qui retarderait d’autant le
redressement des cours de Bourse. »
—M.-C. S.

ques semaines auparavant ils avaient
le choix entre des rendements négatifs
et des marchés financiers au plus
haut », explique Cyrille Chartier-
Kastler, fondateur de Good Value
for Money.
Certes, le krach boursier a bien
sûr un impact négatif « mais les
actions ne représentent de 8 % du
portefeuille d es fonds en euros et s i on
considère que la baisse est de 30 % et
qu’en outre, les titres n’ont pas été
acquis au plus haut, cet impact doit
être relativisé. Ce qui pourrait mettre
les assureurs en difficulté ce serait
une hausse rapide des taux, au-delà
de 1,50 % à 2 % en 2020 », affirme-
t-il.

Qui sont les plus fragiles?
Selon Cyrille Chartier-Kastler,
parmi les plus fragiles figurent
« certaines mutuelles dont l’unique
moyen de renforcer le capital est de
lever de la dette à un coût qui peut

pris la décision d’autoriser les assu-
reurs à intégrer jusqu’à 70 % de leur
provision pour participation aux
excédents (PPE) pour le calcul des
exigences prudentielles. Une faci-
lité comptable mal vécue dans la
mesure où des réserves affectées à
cette PPE doivent, dans les huit ans
de leur constitution, être restituées
aux assurés.

Bouffée d’oxygène
Cet aménagement qui permet
d’améliorer sensiblement la situa-
tion (voir tableau) sera probable-
ment moins nécessaire, une fois le
stress financier actuel passé. « La
remontée de l’OAT à 10 ans entre
+ 0,20 % e t + 0,30 % d oublée de la pos-
sibilité de revenir sur les actions à des
cours redevenus beaucoup plus rai-
sonnables offrent une véritable bouf-
fée d’oxygène offerte aux assureurs
pour investir de la collecte nette sur
leurs fonds en euros alors que quel-

Si pour la majorité des acteurs éco-
nomiques la hausse des taux est
une mauvaise, voir une très mau-
vaise nouvelle, c’est l’inverse pour
les assureurs... A condition que
cette hausse s’effectue de façon pro-
gressive. Avant la crise du coronavi-
rus et la tension sur les taux qui en a
résulté, les assureurs se sont trou-
vés en situation délicate.
Même si leur marge de solvabi-
lité se situe toujours au-dessus des
exigences réglementaires, la ten-
dance était à une érosion continue.
Au grand dam de certaines associa-
tions d’assurés, le gouvernement a

Le brusque changement
de contexte financier
n’impacte pas tous
les acteurs de la même
façon. Et les récentes
tensions sur les taux vont
peut-être au contraire les
aider à sortir de l’impasse.

Les assureurs ont encore des réserves


Il y a quinze mois,
le rendement de
l’emprunt français à
10 ans était de l’ordre
de 1 %. [...] Depuis, ce
rendement a encore
plongé. C’est ainsi que
le piège se referme. »
GUILLAUME LEROY
Actuaire associé de Prim’act

1 LE RÔLE DES
INCITATIONS FISCALES
Or, l’assurance-vie en euros est rela-
tivement concentrée entre peu de
mains et surtout des mains âgées.
« Dès lors, en cas de hausse des taux,
si les épargnants ne tirent aucun
avantage spécifique de la conserva-
tion de fonds en euros, i ls n’hésiteront
pas à arbitrer vers des produits plus
rémunérateurs, ce qui aurait pour
effet d’accentuer le risque systémi-
que », affirme-t-il. « Si une telle
réforme est assortie d’une clause

de grand-père permettant aux
contrats anciens de conserver leurs
avantages, les épargnants seront i nci-
tés à garder leurs fonds en euros.
L’inconvénient de la réforme dispa-
raît alors, mais elle aura aussi très
peu d’impact sur l’augmentation des
recettes fiscales, ce qui est le but
recherché par les auteurs de ces rap-
ports », souligne Philippe Baillot.
« Si les taux remontent trop brutale-
ment, certaines compagnies ne pour-
ront pas résister et la défaillance de
quelques-unes aura un effet
domino », met-il en garde.
Selon lui, il est p robable que Bercy
intervienne en a mont. L a loi S apin II
permettra de mettre en œuvre le
blocage des fonds ce qui jugulera la
fuite des capitaux. Elle est prévue
pour trois mois seulement, renou-
velables une fois. C’est en fait la
durée nécessaire pour mettre en
œuvre un autre mécanisme destiné
à éviter des retraits massifs généra-
teurs d’un risque systémique.
Les fonds en euros ne sont donc
pas directement menacés, mais il
n’est plus exclu que les assurés
puissent un jour être confrontés à
un problème de liquidité de leurs
contrats...n

La loi Sapin II
permettra de mettre
en œuvre le blocage
des fonds ce
qui jugulera la fuite
des capitaux.

Il a dit


Prim’act
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