Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1

Les Echos Vendredi 3 et samedi 4 avril 2020 PATRIMOINE// 37


A


lors qu’une grande partie
de la planète vit dans le
confinement, l e commerce
de l’art s’est d’abord endormi dans
un grand calme si ce n’est quelques
polémiques. La Foire Tefaf de
Maastricht, pourtant écourtée en
mars, a donné pour son édi-
tion 2020, outre une offre de grande
qualité dans le domaine des anti-
quités, une excellente plateforme
de diffusion du coronavirus.
L’autre nouvelle de ces derniers
jours, déjà largement anticipée,
tient au report du mois de juin au
17 septembre 2 020 d e la plus i mpor-
tante foire d’art moderne et con-
temporain au monde, la suisse Art
Basel. Face au confinement de
3 milliards d’individus sur terre,
Phillips et Christie’s ont repoussé
une grande partie de leurs ventes et
Sotheby’s se distingue par une offre
de ventes online.
Mais toutes les maisons de ventes
ont manifestement pour mot
d’ordre, auprès de leur personnel,
de chercher à multiplier les tran-
sactions privées. C’est dans ce con-
texte que se sont tenues les deux
premières foires uniquement vir-
tuelles de l’histoire du marché de
l’art. La première, Art Basel Hong
Kong (ABHK), ouverte pour cinq
jours après un accès VIP le 18 mars
2020 et un bug de quelques heures,
présentait une plateforme relative-
ment sophistiquée, une « viewing
room » sur laquelle chaque expo-
sant pouvait proposer 10 œuvres à
la fois. 230 galeries ont joué le jeu
sur les 245 initialement prévues
(« Les Echos Patrimoine » du
13 mars 2020). Avec le temps Art
Basel Hong Kong est devenue le
rendez-vous majeur de cette partie
du monde qui, jusqu’à cette crise
sanitaire, était considérée comme
la plus prometteuse en matière
d’achat d’art.


L’exception Zwirner
La galerie la plus satisfaite de sa par-
ticipation à Art Basel Hong Kong est
la multinationale de David Zwirner.
« Nous avons vendu plus de 6 mil-
lions de dollars d’œuvres à cette occa-
sion », observe Elena Soboleva, la
directrice depuis 2018 des ventes
online de la galerie. Parmi les tran-
sactions, on note une peinture de
l’artiste sud-africaine Marlene
Dumas (vendu pour 2,6 millions de


dollars) et une autre du Belge Luc
Tuymans (vendue pour 2 millions
de dollars).
Ce succès, manifestement uni-
que parmi les participants s’expli-
que par le niveau de préparation de
Zwirner, qui a organisé sur son pro-
pre site depuis un an et demi pas
moins de 54 « viewing rooms » ces
expositions-ventes thématiques
exclusivement sur le Net.
« Notre défi consiste à trouver la
meilleure manière de vendre », expli-
que Elena Soboleva. « Les prix affi-
chés, des détails filmés en vidéo, des
histoires à raconter pour suivre les
artistes dans leur processus créatif,
montrer les sculptures sous tous les
angles... 37 % seulement des ache-
teurs sur la viewing room d’Art Basel
Hong Kong, relayée sur notre propre
site, étaient asiatiques », ajoute-t-
elle.
Ce n’est pas le cas des autres gale-
ries participant à la ABHK virtuelle,
qui ont observé un intérêt surtout
asiatique, qui s’est manifesté pour
des sommes sensiblement inférieu-
res. A Paris, Kamel Mennour, par
exemple, déclare avoir vendu cinq
œuvres, mais exclusivement à des
acheteurs asiatiques ( 2 pour plus de
300.000 euros, 3 entre 30.000 et
100.000 euros). « Nous avions beau-
coup travaillé en amont pour préve-
nir nos clients », explique Kamel
Mennour, qui ajoute que l’heure est
au marchandage très poussé : « Les
gens négocient avec acharnement.
Ordinairement nous consentons une
réduction de 5 à 10 % du prix. En
l’occurrence, nous sommes allés,
exceptionnellement, pour une œuvre
jusqu’à une réduction de 20 %. »

Art Dubaï
en pleine tourmente
Quant à Art D ubaï (la foire é tait phy-
siquement prévue du 17 au 20 mars
2020) avec 90 exposants, elle revêt
un impact plus régional mais reste
l’épicentre annuel du négoce au
Moyen Orient et jusqu’au Pakistan.
Sa formule online, qui se tient en ce
moment pour une durée encore
indéterminée, o ffre u n catalogue de
reproductions d’œuvres sans prix
affichés avec la possibilité de con-
tact par e-mail de chaque galerie
concernée. Les conflits entre les
Emirats arabes unis et le Qatar voi-
sin, les deux grands acheteurs his-
toriques de cette partie de la pla-

en bref


Fonds actions : qui résiste au coronavirus?


En Bourse, pas de vaccin contre le coronavirus. « Tous les paris stratégiques
sont tombés à l’eau. Même les gestionnaires de fonds les plus prudents sont
dans le rouge », explique Jean-Paul Raymond, cofondateur de Quantalys,
une fintech spécialisée notamment dans l’analyse boursière. La tempête
n’a épargné aucune catégorie, et encore moins le segment des fonds actions.
Sur le seul mois de mars 2020, le CAC 40 a encaissé une chute de plus de
25 % de son cours. Une descente aux enfers boursiers à partir de laquelle
Quantalys a effectué son tri pour cerner les catégories les plus résilientes
et celles qui ont plus souffert. « Du point de vue des actions par pays, il y a
un lien direct entre les mesures sanitaires prises par le pouvoir politique et
les réactions des investisseurs », explique Jean-Paul Raymond. Ainsi le déni
affiché par Jair Bolsonaro au Brésil ou les mesures de confinement tardives
prises par les dirigeants indiens et russes n’ont pas contribué à rassurer les
marchés qui ont sanctionné leurs sociétés cotées. « C’est l’ultra court terme
qui l’emporte sur les marchés actuellement. Les investisseurs naviguent au gré
des décisions politiques », détaille l’analyste. Parmi les actions sectorielles,
l’énergie et les matières premières paient au prix fort la chute vertigineuse
des cours pétroliers. Le secteur bancaire et assurantiel subit lui des pertes
de plus de 20 % sur la période. Quant à l’or, valeur refuge, il limite la casse.


Drouot

nète, n’ont pas arrangé les affaires
de la foire. Sans compter que l’Ara-
bie saoudite, avec ses nouveaux
projets pharaoniques de musées
dans le site archéologique d’al-Ula,
a, selon des sources bien informées,
mis en sommeil tous ses projets
depuis la crise du coronavirus. La
stratégie du soft p ower par l’art peut
manifestement attendre, dans cette
époque de g rands bouleversements
et de baisse vertigineuse des prix du
pétrole.
La galerie Templon de Paris et de
Bruxelles participe à 12 foires par an,
dont celles de Hong Kong et de
Dubaï. « La viewing room d’ ABHK
nous a permis de vendre en Corée, en
Chine et à Taiwan des œuvres entre

6.000 et 100.000 euros de Chiharu
Shiota », souligne Mathieu Tem-
plon, le directeur de l’antenne
bruxelloise. L’artiste japonaise, née
en 1972, n’a jamais autant été
d’actualité puisqu’elle conçoit à l’aide
d’un réseau infini de fils tendus, des
espaces confinés et des maquettes,
des boîtes, dans le même esprit.
La galerie Templon participe
aussi à Art Dubaï, car elle ne défend
pas moins d e quatre a rtistes indiens
particulièrement appréciés de la
diaspora installée dans les Emirats.
C’est le cas de Jitish Kallat (né en
1974) bien connu internationale-
ment. Il est l’o bjet d’une exposition
au Frist Art Museum de Nashville
jusqu’au 28 juin. Ses grandes pein-
tures composées de références
mystiques et d’allusion à son uni-
vers sont à vendre pour
100.000 dollars. « Nous n’avons reçu
aucune demande substantielle
depuis la plateforme d’Art Dubaï »,
souligne cependant Mathieu Tem-
plon. « L’offre de la foire qui corres-
pond simplement à un catalogue en
ligne n’est pas très attrayante. »

Toutes les galeries
promettent d’ici
à très peu de temps
des viewing rooms
attractives qui
permettront de voir
les expositions en
cours ou des œuvres
à vendre.

D
A
retenir

1 La suspension des contrôles
fiscaux ne privera pas
l’administration de l’exercice
de son droit de reprise.

L’ART AU SERVICE
DES SOIGNANTS
Du 3 au 5 avril, une vente aux
enchères en ligne est organi-
sée par Piasa, une maison
française de ventes aux
enchères et tous les profits
seront reversés au collectif
Pie#Protegetonsoignant.

rre et

Gilles

Pia

sa

DROUOT SE VISITE
EN LIGNE
Av ec une grande affluence
et des taux élevés de lots
vendus, les ventes aux enchè-
res en ligne se continuent
sur le site de Drouot, avec
deux à trois plus d’inscrip-
tions qu’auparavant.

MARCHÉ


DE L'ART


LA CHRONIQUE
DU FISCALISTE

L’ordonnance 2020-306
du 25 mars 2020 instaure
un principe général de report
ou suspension de l’ensemble
des délais prévus par les lois
et règlements. Sauf applica-
tion de dispositions spéciales
différentes, elle instaure
une « période juridiquement
protégée » qui s’étend
du 12 mars au 24 juin 2020
soit à l’issue d’un délai
d’un mois suivant la fin
de l’état d’urgence, sauf
modification en raison
de la situation sanitaire.

Procédures « figées »
Durant cette période, il a été
décidé qu’aucun contrôle
fiscal ne sera engagé
et les procédures de contrôle
en cours seront « figées ».
En pratique, cela signifie
que les délais prévus pour
les différents actes de procé-
dure qui avaient commencé
à courir avant le 12 mars
reprendront leur cours après
le 24 juin et ceux qui devaient
commencer à courir entre
le 12 mars et le 24 juin
ne débuteront qu’à partir
de cette dernière date.
Pour préserver le plein
exercice du droit de contrôle
de l’administration, son
droit de reprise, c’est-à-dire
le délai dans lequel elle peut
procéder à des rectifications
des impositions dues
par les contribuables,
est suspendu pour la même
durée. Lorsque la prescrip-
tion est en principe acquise
au 31 décembre 2020,
l’administration pourra
à titre exceptionnel exercer
son droit de reprise au-delà
de cette date et durant
une période égale à celle
de la suspension.
Autrement dit, s’agissant
par exemple des revenus,
du bénéfice passible
de l’impôt sur les sociétés
ou de la taxe sur la valeur
ajoutée déclarés au titre de
l’année 2017, l’administration
pourra procéder à des recti-
fications jusqu’au début
du mois d’avril 2021.

Suspension


de la
prescription

fiscale


Elisabeth Ashworth
Avocate associée, CMS
Francis Lefebvre avocats

Chloe Vaitsou, la directrice d’Art
Dubaï, estime néanmoins à envi-
ron 300 les demandes les premiers
jours grâce au catalogue online
avec 40 0000 vues en une semaine
soit un trafic trois fois supérieur à
l’année précédente. « Ordinaire-
ment les prix s’échelonnent entre
5.000 et 500.000 dollars à la foire. On
sait que sur Internet la demande
s’exerce vers des sommes relative-
ment modestes et vers des artistes
déjà bien connus. L’un des noms les
plus demandés est celui d’Etel
Adnan. » Cette peintre et poétesse
d’origine libanaise née en 1925 vit à
Paris et est devenue tardivement
une star internationale grâce à ses
paysages cubisants aux couleurs
contrastées (à vendre chez Sfeir
Semler de Beyrouth entre 70.000 et
100.000 euros).

Impact international
Dubaï est aussi la plateforme inter-
nationale de promotion de l’art ira-
nien par excellence, un des rares
pays dans la région à bénéficier
d’une longue tradition de peinture.

Et Dastan’s Basement est une des
seules galeries iraniennes à conti-
nuer à faire des foires internationa-
les. Elle expose elle aussi via le site
de la foire. « Il nous permet d’avoir
un impact international mais en ter-
mes d’ergonomie il est assez déce-
vant », observe Hormoz Hematian,
le propriétaire de la galerie Dastan à
Téhéran, qui propose des œuvres
entre 2.000 et 10.000 d ollars. « Nous
avons vendu deux œuvres mais à
deux collectionneurs iraniens. »
Quels que soient les résultats
commerciaux des offres online de
ces foires, conçues en urgence, elles
annoncent la nouvelle préémi-
nence d’une offre de l’art sur Inter-
net. Toutes les galeries auxquelles
nous nous sommes adressées pro-
mettent d’ici à très p eu de temps des
viewing rooms attractives qui per-
mettront de voir les expositions en
cours ou des œuvres à vendre. Une
nouvelle ère pour le marché de l’art
commence.
— Judith Benhamou-Huet

https://www.artdubai.ae/

L’artiste japonaise, Chiharu Shiota, conçoit à l’aide d’un réseau
de fils tendus, des espaces confinés comme ce cadre en métal,
robe et fil. Photo galerie Templon, Paris

LE GRAPHE DE LA SEMAINE


Premiers résultats éclectiques


pour les foires d’art on line


En pleine crise du coronavirus, Art Basel Hong Kong et Art Dubaï,


sont les premières grandes foires à proposer des œuvres sur Inter-


net, chacune selon une formule particulière. Le contexte tire les


prix vers le bas mais les affaires continuent.

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