Les Echos - 03.04.2020

(Chris Devlin) #1

04 // EVENEMENT Vendredi 3 et samedi 4 avril 2020 Les Echos


La difficulté d’un déconfinement


coordonné en Europe


Yves Bourdillon
@yvesbourdillon


C’est la question à plusieurs milliers
de milliards de dollars. Quand
allons-nous sortir du confinement?
Et avec qui? Un dilemme redouta-
ble pour les quelques 80 pays qui
recommandent, voire interdisent de
ne plus sortir de chez soi.
« Un déconfinement coordonné
entre pays voisins au même stade de
l’épidémie permettrait d’optimiser la
gestion des risques », estime Marc
Baguelin, épidémiologiste à l’Impe-
rial College. Qui minimise toutefois
l’impact d’un cas « exporté » par un
pays ayant levé trop tôt l’obligation
de rester à la maison. Il aurait peu de
chance de provoquer un foyer
d’infection important dans un pays
encore en confinement, puisque ce
dernier limite drastiquement
l’apparition de nouvelles chaînes de
contamination. Les pays encore
confinés seront de toute façon
enclins à garder fermées les frontiè-
res avec ceux qui ne le sont plus, afin
de s e protéger. Même si Marc
Baguelin estime que, historique-
ment, la fermeture des frontières n’a
pas de gain épidémiologique avéré.


Une expérience totalement
inédite
La coordination est d’autant plus
délicate qu’il n’existe pas une défini-
tion internationalement standardi-
sée de c e qu’est un cas de Covid-19 n i
des techniques de dépistage. En se
« déconfinant », l’humanité va
devoir se lancer dans une expé-
rience totalement inédite, même si
la grippe de 1918 avait conduit à des
mesures analogues dans des villes
et régions entières.
L’Italie, en avant de la vague épi-
démique en Europe, sera vraisem-
blablement la première à se trouver


So rtir du confinement est
une urgence économique
mais aussi psychologique.
Une coordination entre
les pays européens les plus
touchés, Italie, Espagne,
France, serait judicieuse
mais délicate.


tème de s anté, le gouvernement
pensait qu’il suffisait d’attendre
que le nombre de personnes
infectées double tous les 10
jours, comme c’est le cas actuel-
lement. Une durée de 14 jours
semble plus réaliste, juge-t-il
désormais.
Quand bien même les mesu-
res de restriction porteraient
leurs fruits après Pâques, B erlin
craint qu’un retour rapide à la
vie normale ne provoque une
deuxième vague de contamina-
tion. Laquelle serait catastro-
phique pour la santé de la popu-
lation, et pour l’économie. Les
économistes s’accordent à dire
que le rebond de l’activité sera
d’autant p lus rapide q ue l’épidé-
mie sera vite contenue.

La Rhénanie-du-Nord
prend les devants
La priorité des autorités est donc
de développer une solution per-
mettant d’avertir rapidement les
personnes ayant été en contact
avec de nouveaux malades pour
les isoler à leur tour. L’Institut
Robert Koch travaille avec 130
scientifiques de 8 pays différents
sur une application mobile qui,
grâce à la fonction Bluetooth du
téléphone, peut récupérer de
façon anonyme les contacts des
mobiles ayant été à proximité
dans les 21 jours.
L’efficacité de cette solution
dépendra de son adoption par
la population allemande, très
frileuse à l’idée que ses données
puissent être utilisées par l’Etat.
L’enjeu est clé pour le gouverne-
ment s’il ne veut pas prolonger
encore des mesures de restric-
tion qui risquent de mettre à
l’épreuve les nerfs des citoyens.
Un r isque que l e Premier minis-
tre de Rhénanie-du-Nord-
Westphalie, Armin Laschet, a
voulu prévenir e n dégageant u n
début d’horizon : il vient de
créer un conseil d’experts
chargé de travailler sur un plan
de retour à la vie normale dans
son Land.n

Ni non Renaud
@NinonRenaud
—Correspondante à Berlin

Il n’es t « pas question d’avoir un
débat sur une stratégie de sortie »
en Allemagne. Le Premier
ministre bavarois et président
de la CSU Markus S öder a coupé
court, mercredi, au débat qui
avait frémi le week-end précé-
dent sur l’opportunité de donner
aux Allemands une perspective
de retour à la vie normale.
Angela Merkel venait aussi
d’annoncer à la presse la déci-
sion prise « à l’unanimité » avec
les seize Länder de prolonger de
quinze jours « au moins », jus-
qu’au 19 avril, la période de res-
triction de contacts sociaux
entamée le 23 mars.
Le pays est encore assez épar-
gné par l’épidémie mais le nom-
bre de personnes infectées par le
Covid-19 augmente rapidement.
L’institut Robert Koch comptait
jeudi 73.522 cas, soit une hausse
de 9,1 % en 24 heures, et totalisait
872 morts, ce qui représente un
taux de mortalité de 1,1 % contre
0,59 % il y a une semaine. Berlin
craint que cette dégradation ne
s’accélère au fil de l’épidémie.

Contenir durablement
la pandémie
« No us avons constaté que la
durée de récupération des per-
sonnes gravement infectées est
plus longue q ue nous l e pensions,
bien plus de deux semaines », a
expliqué Angela Merkel. Pour
éviter l’engorgement du sys-

Le gouvernement
allemand se refuse à
évoquer un assouplisse-
ment des restrictions
sociales, de peur de
ruiner ses efforts pour
ralentir l’épidémie.
La priorité est de
trouver un moyen de
traquer la propagation
du virus avant de
relancer toute activité.

Berlin craint une


deuxième vague


de contamination


mesures de confinement – jeudi
soir en Floride –, la sortie de crise
ne sera ni rapide ni uniforme,
estime une « feuille de route »
publiée fin mars par un collège
d’experts c omptant l’ancien patron
de la Food and Drug Administra-
tion (FDA), Scott Gottlieb.
La sortie du confinement ne
pourra, d’abord, être pensée qu’Etat
par Etat, ou zone par zone, quand
chacun sera en mesure de « dia-
gnostiquer, traiter et isoler en toute
sécurité les cas de Covid-19 et leurs
contacts ». Une approche déjà envi-
sagée par la Maison-Blanche, qui
suggère de classer les comtés en

fonction de leur niveau de risque.
Quelle que soit la zone géographi-
que, le relâchement du confine-
ment correspondra à un moment
précis : quand les contaminations
auront diminué régulièrement pen-
dant quatorze jours consécutifs
(soit un cycle d’incubation), quand
tous ceux ayant des symptômes
pourront être testés et que le sys-
tème de santé pourra à la fois traiter
tous les nouveaux malades et sur-
veiller la propagation du virus.
Pour arriver au plus tôt à cette
étape, tout le monde devrait porter
un masque, même n on médical tant
qu’il existe des pénuries, promeut le

rapport. Interrogé s ur ce point lundi
lors de son point de presse à la Mai-
son-Blanche, Donald Trump a
reconnu que la question était à
l’étude. « On ne va pas porter des
masques pour toujours, mais cela
pourrait se faire pour une courte
période », a-t-il jugé.
Des lieux d’isolement et de qua-
rantaine comme des hôtels dédiés
ou des baraquements militaires
pourraient aussi être utilement mis
à disposition de ceux ne pouvant ou
ne souhaitant pas rester chez eux,
suggère la feuille de route publiée
par l’American Enterprise Institute.
Elle propose, surtout, de tracer les

nouvelles personnes contaminées
via le GPS de leur smartphone afin
de mieux contrôler l’épidémie. Une
« idée très sévère », a commenté
Donald Trump, mais à laquelle il a
promis de « jeter un coup d’œil ».

Renforcer l’hygiène
Les restrictions pourraient ensuite
être levées, mais progressivement,
et en conservant des règles de dis-
tance physique : les écoles et les
entreprises rouvriraient mais les
rassemblements seraient toujours
limités à 50 personnes et les plus de
60 ans devraient sortir avec parci-
monie. L’hygiène serait renforcée et

le télétravail promu « quand il est
pratique ».
Alors que la levée des restrictions
d’activités et de circulation dépen-
dra, à chaque étape, de la disponibi-
lité des outils de mesure, le retour à
l’avant-coronavirus ne sera envisa-
geable que lorsqu’un vaccin et des
traitements auront été testés et
autorisés. Il faudra aussi s’assurer
que « l’impréparation constatée aux
Etats-Unis ne puisse se reproduire »,
pointent les experts. En redonnant
à la Maison-Blanche une mission
de coordination « analogue à celle
du directeur du renseignement
national ».n

Les Etats-Unis se préparent à une lente sortie de crise


Véronique Le Billon
@VLeBillon
—Bureau de New York


Progressive et différenciée. Alors
que certains Etats américains
viennent à peine d’adopter des


Alors que certains Etats
américains adoptent à
peine des mesures de
confinement, le relâche-
ment des restrictions ne
pourra être que progressif
et différencié selon les
territoires, estime un
groupe d’experts.


en capacité d e lever le confinement,
avec quelques jours d’avance sur
l’Espagne, la France et la Belgique.
Elle n’aura certainement pas envie
d’attendre ses voisins, puisque cha-
que jour de confinement lui coûte
0,1 % de PIB, sans compter l’impact
psychologique.
L’Allemagne n’est pas concernée
par cette problématique, puis-
qu’elle a choisi, comme la Suisse, de
ne pas confiner sa population. Elle
recommande seulement une dis-
tanciation sociale et un large dépis-
tage, qui devraient se prolonger des
semaines, voire des mois. Le risque
est non négligeable d’une
deuxième vague épidémique, ainsi
que le fait craindre le rebond de cas
en Extrême-Orient. Cette résur-
gence avait déjà été observée lors de
la grippe espagnole de 1918. « Quel-
ques personnes peuvent suffire à lan-
cer une nouvelle vague épidémique.
On retourne alors à la case départ »,

avertit Guido Marinoni, président
d’un syndicat de médecins italiens.

Casser les chaînes
de contagion
Comment fixer la date optimale de
déconfinement? Quand les Etats
seront assurés qu’ils ont cassé pres-
que à coup sûr les chaînes de conta-
mination, donc repéré et mis en
quarantaine tous les cas conta-
gieux et testé tous les suspects. « Il
faut compter deux à trois semaines, à
partir du moment où le nombre de
cas cesse de croître », estime Marc
Baguelin. La durée maximale
d’incubation, entre l’infection et les
premiers symptômes, est en effet
de deux semaines maximum dans
99 % des cas, mais peut atteindre
vingt jours. Il faut aussi envisager
que le virus continue de circuler via
des cas sans symptômes, lesquels
ne sont plus contagieux au bout
d’une semaine. Certains pays sont

tentés de lever le confinement pour
les personnes dont les tests sérolo-
giques montrent qu’ils sont dotés
d’anticorps caractéristiques du
Covid-19, révélateurs donc de leur
immunité. Au total, il ne paraît pas
imprudent d’estimer que le virus a
disparu (sauf chez les patients en
soins intensifs) quatre semaines
après que le nombre quotidien de
nouveaux cas est tombé à zéro.
Cela se complique toutefois
dans les pays, comme la France,
qui ne testent pas systématique-
ment leur population mais uni-
quement l es cas graves, c’est-à-dire
ceux arrivant à l’hôpital une
semaine après que la maladie s’est
déclenchée. Ce qui porterait le
délai à cinq semaines. En extrapo-
lant la situation actuelle, le nom-
bre de nouveaux cas tomberait à
zéro en France vers le 20 avril, ce
qui signifierait que le confinement
pourrait être levé le 25 mai...n

La place San Carlo à Turin en Italie, déserte, le 31 mars. Phot o Marco Bertorello/AFP

Le Grand rendez-vous


Dimanche de 10h à 11h sur Europe 1


Présenté par Michaël Darmon et Nicolas Barré
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